Alors qu’Ankara menace depuis plusieurs semaines de rapatrier de force des réfugiés syriens, Moscou pourrait utiliser son droit de veto pour fermer définitivement le passage humanitaire turco-syrien, permettant d’approvisionner Idleb. Les responsables onusiens tirent la sonnette d’alarme.

Les poids lourds sont rangés sur la file de droite, au milieu d’un paysage de cailloux et d’oliviers. C’est par cette route, trait d’union entre la province turque d’Hatay et le nord-ouest syrien, que transitent chaque mois 800 camions d’aide humanitaire de l’ONU.

Ce point de passage, le dernier permettant aux agences onusiennes et leurs partenaires d’atteindre la région d’Idleb, ultime bastion jihadiste et rebelle de Syrie, pourrait fermer le 10 juillet, au risque d' "aggraver les souffrances " des trois millions d’habitants qui y vivent, a alerté jeudi sur place côté turc l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield.

La Russie, soutien de Damas, a déjà réussi ces dernières années à réduire le passage transfrontalier de l’aide à ce seul point d’accès et menace désormais d’utiliser son droit de veto, début juillet, lors d’un vote au Conseil de sécurité de l’ONU pour obtenir sa fermeture.

Pour les observateurs, Moscou cherche à faire du maintien de cet accès humanitaire une monnaie d’échange dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Venue dans le sud de la Turquie mesurer l’ampleur de la potentielle crise qui guette, Mme Thomas-Greenfield s’est inquiétée d’un possible afflux de réfugiés syriens, au moment où Ankara dit préparer le retour chez eux d’un million de réfugiés syriens sur les plus de 3,7 millions accueillis sur son sol.

" Pas d’alternative "

" Nous courons à la catastrophe si la résolution [sur l’accès humanitaire en Syrie] n’est pas renouvelée ", estime Mark Cutts, coordinateur humanitaire régional adjoint pour la Syrie du département des Affaires humanitaires des Nations unies, depuis le centre de transbordement de l’ONU situé aux abords de la frontière, où des camions cul à cul sont chargés et déchargés chaque jour.

A l’intérieur des remorques, des couches pour bébés, des couvertures, des matelas, mais surtout de la nourriture: des sacs de farine de 15 kilos, du boulgour, du sucre, des pois chiches et des pâtes brunes à base d’arachide destinées aux enfants victimes de malnutrition aiguë.

" Il n’y pas d’alternative à ce mécanisme (…) L’aide à travers les lignes de front (de Damas) n’en est pas une ", juge Ammar al Selmo, membre des Casques blancs, des secouristes engagés dans les zones rebelles en Syrie, venu témoigner de la difficile situation sur place auprès de l’ambassadrice américaine.

Dans le nord-ouest de la Syrie, plus de 4,1 millions de personnes sont dépendants de l’aide humanitaire, contre 3,4 millions l’an dernier, selon le Comité international de secours (IRC), rendant son acheminement plus important que jamais.

Au poste frontière turco-syrien de Cilvegözü-Bab al-Hawa, où les camions d’aide d’humanitaire sont scannés un à un, le gouverneur-adjoint de la province d’Hatay, Orhan Aktürk, s’est toutefois voulu rassurant jeudi face à l’ambassadrice américaine.

" Nos ONG locales continueront dans tous les cas d’acheminer de l’aide ", a-t-il assuré, les organisations turques n’entrant pas dans le cadre de la résolution des Nations Unies que la Russie menace de bloquer.

" Désastre "

Un travailleur humanitaire qui suit le dossier de près, et a requis l’anonymat, affirme que le Croissant Rouge turc a proposé à l’ONU d’assurer le passage côté syrien de l’ensemble de l’aide et juge ainsi peu probable le scénario d’une nouvelle crise migratoire.

L’organisation turque achemine en moyenne 500 camions d’aide humanitaire en Syrie chaque mois depuis 2011, selon son président, Kerem Kinik, ce qui en fait un acteur incontournable sur le terrain.

Contacté par l’AFP, M. Kinik n’avait pas répondu dans l’immédiat.

" Il existe très peu d’alternatives viables au mécanisme transfrontalier de l’ONU ", juge cependant Sara Kayyali, chercheuse pour Human Rights Watch (HRW), pour qui l’étendue de l’opération transfrontalière de l’ONU et la confiance dont elle bénéficie chez les donateurs la rendent difficilement remplaçable.

Dans son camp de déplacés de la région d’Idleb, Mohammad Harmoush s’inquiète pour son devenir et celui de ses six enfants: " Les livraisons d’aide sont essentielles pour nous. Leur interruption serait un désastre ", redoute-t-il.

De l’autre côté de la frontière, à Hatay, Mohammad, quasi septuagénaire syrien réfugié en Turquie depuis 2015, se préoccupe du sort de ses neveux restés à Idleb.

L’ex-ingénieur originaire d’Homs, fines lunettes et cheveux tirés, se dit incapable de les aider directement. Sans l’aide humanitaire de l’ONU, lâche-t-il, " on peut les considérer comme morts ".

AFP

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