En raison de l’invasion russe de l’Ukraine et des sanctions contre Moscou, les pays occidentaux se doivent de diversifier leur approvisionnement en pétrole et en gaz, au risque de légitimer davantage d’autres acteurs "peu fréquentables".

Le commerce avec d’autres pays non démocratiques connaît actuellement un nouveau chapitre. Mise à l’écart par les grandes puissances, la Russie de Vladimir Poutine paie le prix fort. L’Union européenne a trouvé un accord permettant de se passer presque totalement du pétrole russe, au bout d’âpres négociations, et ce malgré l’entêtement de la Hongrie. Pour l’instant, les discussions pour passer aux sanctions visant le gaz sont toujours en cours. L’Allemagne, principal client européen, envisagerait de s’en passer progressivement d’ici début 2023. En transitant à 30% par le territoire ukrainien, la Russie a compris bien avant la guerre que l’approvisionnement en pétrole et en gaz pouvait être utilisé comme une arme économique et géopolitique. Rappelons que le paquet de sanctions européennes inédites sur les énergies russes vise à tarir le financement de la guerre contre l’Ukraine, et in fine, conduire Poutine à arrêter ses actes de guerre.

Des pays comme la Turquie, l’Algérie, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, l’Irak et même l’Iran pourrait être sollicités pour combler les éventuelles pénuries, et à leur tour jouer de l’arme énergétique, en attendant certaines contreparties. Sera-t-il possible de compter sur ces pays autocratiques (faut-il le rappeler) afin de se défaire complètement d’une dépendance européenne à la Russie, étant donné les ambitions affichées par la Commission européenne? Comment assumer ces rapprochements avec des pays violant de nombreux droits de l’homme ? " En coopérant avec ces pays, sans condamner publiquement leurs violations des droits de l’Homme, l’UE donne pratiquement son feu vert à ces violations ", s’indigne Iverna McGowan, d’Amnesty International, interrogé par EurActiv.

Une aubaine pour le Qatar, petit pays, mais grand producteur de gaz liquéfié. L’émirat est en bonne position à la table des négociations après le début de la guerre en Ukraine, un timing qui colle à la modernisation réalisée de ses infrastructures pour exporter davantage de gaz. Avant la guerre, le pays prévoyait d’augmenter sa capacité d’exportation d’environ 60 % d’ici 2027.

Dépendance énergétique: le casse-tête

Les alliances qui se font et se défont sont portées par les actes des différents acteurs. Ainsi, si Washington a levé certaines sanctions pesant sur le régime vénézuélien de Nicolas Maduro, c’est dans l’optique de contrecarrer les conséquences de l’embargo sur le pétrole russe, même si d’autres motifs politiques sont derrière cette manœuvre. Ce virage pragmatique de la part de Washington dénote avec la ligne affichée jusqu’à présent par l’administration Biden, plutôt hostile aux acteurs autoritaires de par le monde, notamment vis-à-vis de l’Arabie saoudite.

En Europe, Mikhaïlo Podoliak, conseiller de la présidence ukrainienne, a récemment reproché à l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel d’avoir soutenu le projet de gazoduc controversé Nord Stream 2, destiné à acheminer le gaz russe en Europe via l’Allemagne notamment. " Si la chancelière Merkel a toujours su que la Russie préparait une guerre et que l’objectif de Poutine est de détruire l’UE, alors pourquoi construire Nord Stream 2?", a-t-il écrit sur Twitter. Il a accusé Mme Merkel d’avoir favorisé la dépendance européenne au gaz et au pétrole russes.

Côté italien, c’est vers l’Algérie, l’Egypte, le Congo, l’Angola et le Mozambique que Rome s’est tourné pour diversifier ses ressources. En se lançant dans une offensive diplomatique en Afrique pour sortir de sa dépendance au gaz russe, Rome espère réduire sa dépendance envers Moscou. Pour l’instant, la Russie fournit à la péninsule 45% de son gaz. Le Premier ministre italien Mario Draghi a déclaré vouloir changer cette situation " au plus vite ". Parallèlement, lors de sa récente visite à Ankara, le président vénézuélien Nicolas Maduro a lancé un vibrant appel aux investisseurs turcs en faisant valoir les nombreuses richesses de son pays, dont le pétrole et le gaz.

Pour pallier conséquences économiques de la guerre en Ukraine, les acteurs ayant sanctionné la Russie envisagent de resserrer leurs liens pour amortir le choc. Pour l’OCDE, les sanctions visant la Russie et la guerre en Ukraine vont lourdement peser sur la croissance et l’inflation dans le monde cette année, selon son dernier bulletin publié début juin. Cette observation pourrait donc servir de " justification " aux rapprochements avec les pays producteurs de gaz et de pétrole précités.

Nouvelle phase pour les pays du Moyen-Orient

Si les géants pétroliers et gaziers du Moyen-Orient sont clairement les gagnants de l’invasion russe, à long terme, ce nouveau levier pourrait engendrer quelques problèmes avec Washington. Notamment en ce qui concerne les Emirats Arabes Unis, qui rechignent à se froisser avec Moscou, tout en profitant de la situation. Oscillant entre abstention et condamnation, les monarchies et régimes arabes se font discrets vis-à-vis du cas ukrainien.

En outre, les Emirats perçoivent d’un mauvais œil le rapprochement de Washington avec le Qatar, ainsi que les compromissions avec l’Iran. L’Arabie comprend également que les Etats-Unis sont devenus des concurrents, le pays étant désormais autosuffisant, mais également un exportateur. L’exploitation du gaz de schiste est également à surveiller. De nouveaux marchés énergétiques s’ouvrent à des acteurs en mal de légitimité. Pour toutes ces raisons, l’équilibre économique et géopolitique pourrait changer durablement, en fonction de l’issue de la guerre en cours. Au final, la nouvelle dépendance d’État démocratique envers des pays autocratiques pourrait bien avoir des conséquences similaires en cas de troubles, de révolutions ou de guerres dans ces pays, à moins que des énergies propres n’arrivent à supplanter cette dépendance forcée.