" O’er the land of the free and the home of the brave "… Avortement, droit du port d’arme, religion ou encore climatoscepticisme: ces derniers jours, la Cour suprême américaine a opéré un virage extrêmement conservateur sur des questions qui touchent la vie quotidienne de millions de personnes, là où le congrès, déchiré entre deux camps, peine à avancer. Et ce ne pourrait être que le début.

Sous l’impulsion de juges nommés par Donald Trump, la Cour suprême des Etats-Unis a opéré un virage à droite toute dont les effets devraient se faire sentir durant des décennies.

Au cours des dix derniers jours, la plus haute juridiction des Etats-Unis a annulé le droit des Américaines à avorter, consacré le droit de porter une arme en public, élargi la place de la religion dans la sphère publique et drastiquement limité les moyens fédéraux pour lutter contre le réchauffement climatique.

Ces décisions, adoptées par les six juges conservateurs de la Cour au grand dam de ses trois sages progressistes, sont la première illustration d’un puissant retour de balancier judiciaire après des années plus tempérées, parfois marquées d’arrêts progressistes historiques, comme la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe en 2015.

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La décision anti-avortement de la Cour suprême a créé un mouvement d’indignation dans tous le pays (AFP)

Un retrait pur et simple de droits constitutionnels

Avec leur solide majorité conservatrice, renforcée sous la présidence de Donald Trump, les juges offrent une revanche à la droite républicaine qui, depuis les années 1970, cherchait à prendre un véritable contrôle du temple du droit, afin de renverser certaines décisions clés qu’elle jugeait excessives.

Au cours de la session tumultueuse 2021-2022 qui s’est achevée jeudi 30 juin, la Cour a pris " un virage spectaculaire et soudain dans une direction beaucoup plus conservatrice ", analyse Stephen Wermiel, professeur de droit constitutionnel à la American University.

Il s’agit d’une " des rares situations où la Cour suprême a radicalement retiré des droits constitutionnels ", souligne-t-il.

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Ce virage conservateur fait retourner le pays plusieurs décennies dans le passé (AFP)

La dernière fois qu’une Cour suprême a été relativement homogène sur le plan idéologique remonte aux années 60, quand elle a adopté certaines de ses réformes les plus progressistes, rappelle Neal Devins, expert en droit à l’université William & Mary.

Sous la présidence du juge Earl Warren (1953-1969), le temple du droit a radicalement changé le quotidien de millions d’Américains, mettant fin à la ségrégation, renforçant le pouvoir de l’Etat fédéral et jetant les bases de la décision de 1973 qui avait fait de l’avortement un droit pour toutes les Américaines.

La cour d’Earl Warren était dénoncée avec véhémence par les conservateurs, de la même manière que la gauche attaque aujourd’hui les travaux de celle présidée par le conservateur John Roberts.

Aucun terrain d’entente

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Des manifestations ont eu lieu devant le domicile du chef de la Cour suprême John Roberts dans le Maryland (AFP)

Mais, contrairement à aujourd’hui, les juges ne tranchaient pas forcément les décisions les plus cruciales en fonction de leurs affinités politiques supposées.

Cinq des sept juges qui ont soutenu la décision de 1973 d’étendre à toutes les Américaines le droit d’avorter avaient par exemple été nommés par des républicains.

Dans la Cour suprême d’aujourd’hui, les terrains d’entente entre les deux camps sont bien plus rares.

Le bloc conservateur que John Roberts préside se distingue aussi par sa conviction profonde que la Cour suprême a, dans le passé, accepté d’examiner des questions qu’elle n’aurait pas dû avoir à trancher.

C’est l’argument que ces juges ont utilisé pour justifier d’annuler le droit à l’avortement, estimant qu’il revenait aux électeurs de chaque Etat américain de trancher cette question de société.

Cette cour a aussi estimé qu’il revenait seulement au Congrès, et non à une agence gouvernementale indépendante, d’établir des normes réglementaires comme des limites d’émissions de gaz à effet de serre.

Un avenir inquiétant pour le progressisme

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La Cour suprême adopte également des positions assez climatosceptiques (AFP)

Ses détracteurs l’accusent d’ignorer délibérément la réalité sur le terrain, les Etats américains étant si profondément divisés, de la Californie progressiste au Wyoming conservateur.

La Cour suprême sait aussi que le Congrès, qui peine à adopter des réformes d’ampleur sur les questions de société, " ne fonctionne pas ", estime Richard Lazarus, professeur de droit à la prestigieuse université d’Harvard.

Et pourtant, elle " menace la capacité de l’Etat à garantir la santé et le bien-être de sa population, au moment même où les Etats-Unis et toutes les nations du monde sont confrontés au plus grand défi environnemental de l’Histoire ", regrette-t-il.

Il semble peu probable que le bloc conservateur de la cour s’arrête sur sa lancée. Ses juges ont accepté d’examiner une série d’affaires potentiellement cruciales à la rentrée, portant notamment sur la discrimination positive et la façon dont sont régulées les élections.

Après 50 ans d’attente, les conservateurs " ont l’occasion de donner une orientation radicalement différente " au pays, juge le professeur Wermiel. " Ils ne vont pas laisser passer cette chance. "