Exaspérés par la crise économique sans précédent, la colère des Sri-lankais a pris un tournant politique spectaculaire. Après avoir chassé le président de son palais, ils ont décidé d’occuper le bâtiment jusqu’à ce qu’il démissionne la semaine prochaine, comme il l’a promis. Ils étaient des centaines de milliers samedi rassemblés dans le quartier des résidences officielles, pour contester le luxe du clan Rajapaksa, accusé d’être en partie responsable de la crise actuelle.

Le luxueux palais présidentiel est investi par les Sri-Lankais.
Démission programmée
Et parmi eux plusieurs centaines ont réussi à pénétrer dans le palais présidentiel, escaladant les grilles tandis que les gardes s’efforçaient de les retenir juste assez longtemps pour pouvoir emmener le président. " Notre lutte n’est pas finie ", expliquait dimanche Lahiru Weerasekara, un des étudiants à la tête du mouvement. " Nous n’abandonnerons pas tant qu’il ne sera pas vraiment parti ", a-t-il déclaré aux journalistes.Le président, réfugié à bord d’un navire militaire et en route pour une base militaire du nord-est de l’île, a en effet annoncé, à l’issue d’une journée marquée par d’autres coups de force des manifestants, qu’il était prêt à démissionner… mercredi prochain.

Deux moines bouddhistes au milieu des débris à l’intérieur de la résidence du Premier ministre sri-lankais, un jour après qu’elle a été vandalisée par les manifestants.

Les événements de samedi sont le point culminant des manifestations incessantes et parfois violentes de ces derniers mois face aux pénuries d’alimentation, de médicaments et d’énergie que connaît le pays, et dont les habitants rendent en grande partie responsables l’incompétence et la corruption du clan Rajapaksa, des frères qui se partageaient le pouvoir depuis plus de quinze ans.

Luxe du pouvoir

Dans ce pays autrefois à revenu intermédiaire, les trois quarts de la population en sont maintenant à réduire leur alimentation, selon les Nations unies qui ont prévenu dimanche d’un risque de grave crise humanitaire. Mais dimanche, pour les manifestants, l’humeur était à la joie. Joie de la victoire, puisque le président a promis qu’il quitterait son poste. Mais aussi joie plus immédiate de profiter pour quelques heures du luxe habituellement réservé aux dirigeants de l’État.

Une invitée surprise du processus de contestation.

Car ils occupent non seulement le palais présidentiel mais aussi celui du Premier ministre, et les bureaux de ces deux dirigeants. Et dimanche matin on pouvait voir la foule déambuler tranquillement dans tous ces bâtiments, profitant des fauteuils moelleux ou faisant la queue pour s’asseoir, à tour de rôle, dans le fauteuil présidentiel, admirant les oeuvres d’art, essayant le piano à queue ou s’émerveillant de l’air conditionné.

" Quand les dirigeants vivent dans un tel luxe, évidemment ils n’ont aucune idée de la façon dont vivent les gens ordinaires ", expliquait à l’AFP Sri Sumeda, un moine bouddhiste. " Tout ça montre ce qui peut être fait quand le peuple décide d’exercer son pouvoir ", a-t-il ajouté en montrant la foule autour de lui.

A l’extérieur, certains avaient dès samedi profité de la piscine, et dimanche dans le parc de cette ancienne résidence du gouverneur de Ceylan à l’époque de la colonisation britannique, comme dans celui de la résidence du Premier ministre, des familles pique-niquaient un peu partout, et des cuisines provisoires avaient même surgi ça et là.

Incertitude constitutionnelle

La situation politique, elle, restait dimanche incertaine. Si le président démissionne bel et bien comme promis le 13 juillet, le Parlement aurait alors un mois, selon la loi, pour lui élire un remplaçant. Un délai bien long étant donné l’état de crise du pays. Le président du Parlement a d’ailleurs affirmé que les législateurs désigneraient le nouveau président députés d’ici une semaine. Mais aucun candidat ne semble pour l’instant rassembler une majorité de suffrages.

Tous les responsables, aussi bien au Sri Lanka qu’à l’étranger, espèrent voir la crise politique résolue au plus vite pour que le pays puisse s’attaquer au désastre économique provoqué en grande partie par la perte des recettes touristiques consécutives à un attentat jihadiste en 2019 puis la pandémie de Covid-19. Le pays, qui a fait défaut sur le paiement du sa dette en avril, est actuellement en négociation avec le FMI, qui a dit dimanche espérer " un règlement rapide " de la situation pour permettre " la reprise de notre dialogue ".

Le chef d’état-major a appelé au calme, assurant qu’il était possible " de résoudre la crise de manière pacifique et constitutionnelle ". Dimanche, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a appelé le Parlement " à résoudre cette situation pour le bien du pays, et non pas d’un parti politique ".

Le futur gouvernement " devra travailler vite pour identifier les problèmes et trouver les solutions afin de ramener la stabilité économique ", a-t-il déclaré, ajoutant que ces solutions devraient répondre " au mécontentement du peuple, qui est si puissant et palpable, face à la détérioration des conditions économiques ".

Avec AFP