Lors d’une entrevue avec l’historien Benjamin Stora, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a proposé d’entamer un travail de mémoire commun sur la colonisation française, alors que le pays a récemment fêté le 60e anniversaire de son indépendance. Des propos qui témoignent d’une volonté de reprendre le dialogue, après plusieurs mois de tensions diplomatiques après que le président Macron a  reproché au système " politico-militaire " algérien d’entretenir une " rente mémorielle " autour de la guerre d’indépendance. Le sujet mémoriel pourrait être l’objet de prochains échanges entre les deux chefs d’État.

L’Algérie a récemment célébré en grandes pompes le 60e anniversaire de son indépendance, à travers un défilé militaire dans les rues d’Alger. (AFP)

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a proposé un " travail de mémoire " commun sur toute la période de la colonisation française en Algérie, lors d’un entretien avec l’historien français Benjamin Stora, a raconté ce dernier à l’AFP.

L’entretien était d’autant plus inédit que le rapport de Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, remis en janvier 2021 à Emmanuel Macron, avait été fraîchement accueilli en Algérie.

L’historien, qui était porteur d’une lettre du président français, a été reçu plus d’une heure lundi à Alger par le président Tebboune, à la veille de la commémoration en grande pompe du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. " C’est la première fois qu’il y avait une discussion au fond " côté algérien sur ces questions mémorielles depuis la publication du rapport, a souligné Benjamin Stora.

Le rapport, sur lequel Emmanuel Macron s’est appuyé pour sa politique mémorielle, ne préconise ni excuses ni repentance, ce qui a très critiqué en Algérie, notamment par les associations d’anciens combattants.

Les relations franco-algériennes ont aussi connu un gros coup de froid lorsqu’en septembre 2021, le président Macron a reproché au système " politico-militaire " algérien d’entretenir une " rente mémorielle " autour de la guerre d’indépendance.

Une histoire commune marquée par des traumatismes

Les accords d’Evian, signés entre le FLN et le président Charles de Gaulle en 1962, ont marqué l’indépendance de l’Algérie après une guerre sanglante. (AFP)

L’entretien témoigne du réchauffement en cours dans les relations franco-algériennes depuis quelques semaines. " Je pense qu’il y a une volonté, de relancer, je ne sais pas si c’est le mot, mais de poursuivre un dialogue ", estime Benjamin Stora, en notant un " changement de ton " entre Paris et Alger.

Le président Tebboune lui a expliqué " l’importance majeure d’un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation ", au-delà de la seule guerre d’Algérie (1954-1962), un avis partagé par l’historien.

" La guerre de conquête a été très longue et très meurtrière. Elle a duré pratiquement un demi-siècle ", de 1830 à 1871, rappelle Benjamin Stora. Elle a été marquée par une " dépossession foncière et identitaire " – " lorsque les gens perdaient leur terre, ils perdaient leur nom " – et par la mise en place d’une " colonie de peuplement ", avec au final un million d’Européens sur neuf millions d’habitants.

Autant de traumatismes qui perdurent jusqu’à aujourd’hui dans la perception réciproque des deux peuples et qui " expliquent la difficulté des relations franco-algériennes ", dit-il.

" Les gens ne connaissent pas ce qu’il s’est passé. C’est le problème de la transmission aux jeunes générations et du travail en commun ", souligne Benjamin Stora.

Affrontements de groupes mémoriels

Selon l’historien Benjamin Stora, il y a eu une polarisation extrême sur la " guerre de libération ", et notamment la fin de celle-ci, entre 1960 et 1962. Il appelle à " élargir le champ de réflexion " à l’ensemble de la colonisation française dans le pays.

" En Algérie, l’accent a été mis essentiellement sur la guerre de libération nationale. Il y a eu en France comme en Algérie une polarisation extrême sur l’unique séquence de la guerre et même de la fin de la guerre, les années 1960 à 1962 ", note-t-il.

Avec en toile de fond les " affrontements de groupes mémoriels " autour des différents massacres, l’exode des pieds noirs, les luttes de pouvoir à l’intérieur du nationalisme algérien. " On s’est tous focalisés sur 1962 ", des accords d’Evian en mars à l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet, dit-il. Mais " on ne peut pas rester prisonnier d’une seule date, 1962, il faut élargir le champ de réflexion ", considère-t-il.

Le président Tebboune n’est pas revenu durant l’entretien sur les propos controversés d’Emmanuel Macron, qui s’était également interrogé sur l’existence d’une " nation algérienne " avant la colonisation française. Le sujet mémoriel pourrait être l’objet de prochains échanges entre les deux chefs d’État.

Dans la missive remise par Benjamin Stora, le président français appelle au " renforcement des liens déjà forts " entre les deux pays et réitère son " engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation des mémoires ". Il évoque aussi une " prochaine " visite en Algérie.

Avec AFP