Si Uber fait à présent partie du quotidien de millions de consommateurs, l’entreprise a dû batailler, quitte à employer des moyens douteux, voire illégaux, pour se faire accepter des gouvernements. C’est ce qu’a révélé le journal britannique le Guardian, qui a obtenu près de 124.000 documents révélant comment l’entreprise a " enfreint la loi, trompé la police et les régulateurs, exploité la violence contre les chauffeurs et fait pression en secret sur les gouvernements ". Ces " Uber Files " expliquent de même comment l’entreprise s’est trouvé des alliés au pouvoir, comme Emmanuel Macron lors de son passage au ministère de l’Économie, ainsi que de nombreuses personnalités politiques en Russie et en Allemagne qu’Uber aurait corrompu en leur offrant des actions. Des révélations dont le PDG de Uber relativise, affirmant que l’entreprise est passée d’une " ère de confrontation à une ère de collaboration ". 
Manifestation au siège social d’Uber et de Lyft à New York en 2019.

Le quotidien britannique The Guardian a obtenu et partagé avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) quelques 124.000 documents, datés de 2013 à 2017, comprenant des emails et messages des dirigeants d’Uber à l’époque, ainsi que des présentations, notes et factures. Dimanche, plusieurs organisations de presse (dont le Washington Post, Le Monde et la BBC) ont publié leurs premiers articles tirés de ces " Uber Files ".

Il faut rappeler que le même consortium était à l’origine de l’affaire du logiciel israélien d’espionnage Pegasus. A l’époque, l’ICIJ avait provoqué un scandale politico-diplomatique en révélant que le logiciel était utilisé par le gouvernement marocain pour espionner l’Elysée ainsi que par les SR israéliens. Le prince héritier de Abou Dhabi (de l’époque) Mohammed ben Zayed et cheikh Mohammed ben Rached al-Maktoum, gouverneur de Dubai, figuraient également parmi les clients du logiciel israélien, qu’ils utilisaient pour s’espionner mutuellement.

Pour revenir aux " Uber Files ", les dizaines de milliers de documents mettent en avant certaines pratiques de Uber pendant ses années d’expansion rapide, mais aussi de confrontation, de Paris à Johannesburg. " L’entreprise a enfreint la loi, trompé la police et les régulateurs, exploité la violence contre les chauffeurs et fait pression en secret sur les gouvernements dans le monde entier ", affirme le Guardian en introduction.

Une pancarte indiquant " Uber ennemi public " est accrochée à la fenêtre d’un taxi à Barcelone lors d’une grève des chauffeurs de taxi organisée contre le service de covoiturage Uber, en 2021.
" La violence garantit le succès "

Les articles mentionnent notamment des messages de Travis Kalanick, alors patron de la société basée à San Francisco, quand des cadres se sont inquiétés des risques pour les conducteurs qu’Uber encourageait à participer à une manifestation à Paris. " Je pense que ça vaut le coup ", leur a répondu le cofondateur. " La violence garantit le succès ".

Selon le Guardian, Uber a adopté des tactiques similaires dans différents pays européens (Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie…), mobilisant les chauffeurs et les incitant à se plaindre à la police quand ils étaient victimes agressions, afin d’utiliser la couverture médiatique pour obtenir des concessions des autorités.

Une manifestation anti-Uber en France.

" M. Kalanick n’a jamais suggéré qu’Uber exploite la violence aux dépens de la sécurité des conducteurs ", a réagi Devon Spurgeon, porte-parole de l’ancien dirigeant controversé, dans un communiqué publié par l’ICIJ. Accusé d’avoir encouragé des pratiques managériales douteuses et brutales, sur fond de sexisme et de harcèlement au travail, M. Kalanick avait dû abandonner son rôle de directeur général du groupe en juin 2017. Annonçant sa démission du conseil d’administration, fin 2019, il s’était dit " fier de tout ce qu’Uber a accompli ".

" Carrément hors-la-loi "
D’après les quotidiens, Uber avait mis en place différentes stratégies pour déjouer les tentatives d’intervention des forces de l’ordre, dont celle du " coupe-circuit " (" kill switch ") qui consistait à couper rapidement l’accès d’un bureau du groupe aux principales bases de données informatiques, en cas de perquisition. Le Guardian cite différents extraits de conversation entre des cadres évoquant l’absence de cadre légal pour leurs activités. " Parfois nous avons des problèmes parce que, bon, nous sommes carrément hors-la-loi ", écrivait ainsi la directrice mondiale de la communication d’Uber, Nairi Hourdajian, à ses collègues en 2014, alors que l’existence de la plateforme était menacée en Thaïlande et en Inde. Avant de devenir synonyme de la réservation de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), Uber a dû batailler pour se faire accepter.
Un manifestant est arrêté lors d’une manifestation anti-Uber au Brésil, en 2016.

Le groupe a courtisé les consommateurs et conducteurs, et s’est trouvé des alliés au pouvoir, comme Emmanuel Macron, qui aurait discrètement aidé le service quand il était ministre de l’Économie. Mais Uber aurait aussi offert des actions de la start-up à des personnalités politiques en Russie et en Allemagne et payé des chercheurs " des centaines de milliers de dollars pour produire des études sur les mérites de son modèle économique ", toujours d’après le Guardian.

Le leader des VTC a créé le modèle de l’économie à la tâche, répliqué par de nombreuses autres start-up, mais il a mis plus de douze ans à dégager son premier profit trimestriel. Le statut des chauffeurs, indépendants ou employés, reste disputé dans de nombreux États. Dans son communiqué de dimanche, Uber rappelle que les médias ont déjà abondamment couvert les " erreurs " de l’entreprise d’avant 2017, de la presse aux livres et même à une série télévisée. " Aujourd’hui, Uber (…) fait partie intégrante de la vie quotidienne de 100 millions de personnes ", élabore Jill Hazelbaker. " Nous sommes passés d’une ère de confrontation à une ère de collaboration ".

Avec AFP

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