Plus de cinquante ans après la mort du dictateur Franco, un projet de loi de " mémoire démocratique " génère des controverses et un malaise en Espagne: le texte prévoit d’exhumer les disparus des fosses communes et faire de la recherche des victimes de la Guerre civile et de la dictature une " responsabilité d’État ". La droite s’est aussitôt insurgée contre un projet de loi qui, pour eux, " ravive les blessures du passé ", et a promis de l’abroger si elle gagne les élections législatives de 2023.  De nombreuses personnalités politiques avaient bénéficié en 1977 d’une loi d’amnistie…

Belchite a été dévasté durant la guerre civile espagnole entre le 24 août et le 7 septembre 1937. Après la bataille, Franco a ordonné que les ruines soient laissées intactes comme monument de guerre " vivant ". (AFP)

Les députés espagnols doivent voter jeudi un projet de loi visant à réhabiliter la mémoire des victimes du franquisme et à exhumer les disparus des fosses communes, un texte controversé dans un pays où les blessures du passé ne sont pas refermées.

Arrivé au pouvoir en 2018, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez s’est fixé comme l’une de ses principales priorités d’avancer dans le travail de mémoire sur la sanglante Guerre civile (1936-1939) et la dictature mise en place par son vainqueur, le général Francisco Franco, jusqu’à sa mort en 1975.

Cette loi de " mémoire démocratique " est le deuxième temps fort de son action sur ce sujet après l’exhumation en 2019 du " Caudillo " de son mausolée monumental situé près de Madrid. " L’Histoire ne peut pas se construire sur la base de l’oubli et du silence des vaincus " de la Guerre civile, dit le texte.

Après l’adoption en première lecture, prévue jeudi en fin de journée, ce texte phare du gouvernement de gauche partira au Sénat. Son adoption définitive est attendue à la rentrée.

Les victimes de la guerre civile et de la dictature, une " responsabilité d’État " 
Les disparus de la Guerre civile sont très majoritairement républicains, le régime franquiste ayant exhumé de nombreuses victimes issues du camp nationaliste des fosses communes, pour leur donner une sépulture. (AFP)

Principale mesure de ce projet de loi, le gouvernement espagnol va, pour la première fois, faire de la recherche des victimes disparues de la Guerre civile et de la dictature, une " responsabilité d’État ".

Ce qui impliquera un financement direct par l’administration centrale alors que les recherches sont aujourd’hui principalement du fait des associations de proches des victimes, comme l’a montré Pedro Almodovar dans son dernier film " Madres Paralelas ", et des régions.

" L’État doit exhumer les corps des victimes de la dictature franquiste (…) Il y a toujours 114.000 disparus forcés en Espagne ", c’est-à-dire des personnes dont le sort a été volontairement dissimulé, a lancé mardi M. Sanchez à la tribune de la Chambre des députés. L’Espagne est " le pays au monde comptant le plus de disparus (…) après le Cambodge ", meurtri par les exactions des Khmers rouges, a-t-il affirmé.

Les disparus de la Guerre civile sont très majoritairement républicains, le régime franquiste ayant exhumé de nombreuses victimes issues du camp nationaliste des fosses communes, pour leur donner une sépulture.

Le projet de loi du gouvernement va entraîner par ailleurs la création d’une banque d’ADN des victimes afin de faciliter leur identification, ainsi que l’élaboration d’une carte de toutes les fosses communes du pays. Il prévoit par ailleurs l’annulation des condamnations prononcées par la justice du régime franquiste contre les républicains ou la communauté homosexuelle.

Et il va aussi créer un parquet qui se dédiera aux enquêtes sur les violations des droits humains commises durant la Guerre civile et la dictature. Jusqu’ici, la loi d’Amnistie de 1977 a empêché toute poursuite au nom de la transition vers la démocratie.

Un grand malaise 
Le paléoanthropologue Jose Ignacio Lorenzo exhume les restes de personnes tuées entre 1936 et 1939 pendant la guerre civile espagnole dans le cimetière de Belchite, près de Saragosse, le 8 juillet 2022. (AFP)

Le Parti Populaire (PP), principale formation de l’opposition de droite qui ne cesse d’accuser la gauche de vouloir raviver les blessures du passé en prônant un travail de mémoire, a promis qu’il abrogerait cette loi s’il parvenait à revenir au pouvoir lors des élections prévues fin 2023.

Le dernier Premier ministre PP, Mariano Rajoy (2011-2018), s’était déjà vanté de ne pas avoir dépensé un euro d’argent public dans l’application d’une première loi de " mémoire historique ", adoptée en 2007 sous un précédent gouvernement socialiste et qui visait à reconnaître les victimes du franquisme.

Et l’opposition farouche du PP à ce texte a été démultipliée par les concessions arrachées à M. Sanchez par les séparatistes basques de Bildu en échange de leurs voix.

Mettant en avant l’absence d’épuration dans l’appareil policier durant les premières années de la démocratie, cette formation, héritière de la vitrine politique de l’organisation armée ETA, a obtenu qu’une commission rédige un rapport sur de possibles violations des droits humains de 1978, année de l’adoption de la Constitution, jusqu’à fin 1983.

1983 est notamment l’année de création des GAL (Groupes antiterroristes de libération), organisation para-policière responsable de 28 assassinats de militants basques jusqu’en 1987.

Au-delà de la droite, cet amendement a également provoqué un grand malaise chez certaines figures socialistes, en particulier Felipe Gonzalez, Premier ministre de 1982 à 1996.

Avec AFP