Parmi les morts après les frappes russes sur la ville de Vinnytsia, figurent trois enfants dont Liza Dmitrieva, une fillette trisomique de quatre ans que sa mère Iryna poussait dans une poussette rose vif. " Où est-ce qu’on va, ma chérie ? " demandait la maman à sa fille dans une vidéo qu’elle avait postée sur Instagram à 9H38, 80 minutes avant la frappe. Chez " Alla! " (un diminutif de prénom, ndlr) avait répondu la petite fille en secouant ses cheveux blonds, attachés avec une pince blanche en forme de papillon. Il n’est resté, sur la place de Vinnytsia, que la poussette rose tachée de sang. La fillette est morte; la mère, amputée d’une jambe, est toujours entre la vie et la mort. (AFP)

Les civils ukrainiens continuent de payer le lourd tribut de la guerre, à l’instar du bombardement par les Russes de la ville de Vinnytsia. Cette ville se trouve loin du front, ses habitants n’étaient pas préparés à des frappes en l’absence de couvre-feu, comme c’est le cas dans les villes du Donbass. Vendredi, un rapport du Centre pour la résilience de l’information (CIR), une organisation non gouvernementale qui lutte contre la désinformation, a révélé une augmentation brutale du nombre des enterrements dans les régions d’Ukraine occupées par les Russes. Le rapport se base sur l’analyse de photographies par satellite ou issues des réseaux sociaux.

Kramatorsk, ville du Donbass encore sous le contrôle de l’Ukraine, a subi vendredi soir plusieurs bombardements au moment où Vinnytsia, beaucoup plus loin du front, continuait de compter ses morts après une frappe russe meurtrière la veille.

La frappe sur la place centrale, nommée Place de la Paix, a laissé un cratère de deux mètres et brisé les vitres des immeubles alentour, mais n’a pas fait de victimes car elle est intervenue après le couvre-feu, selon un responsable de la défense antiaérienne de la 81e brigade ukrainienne, qui n’a pas souhaité donner son nom.

" J’étais sur mon balcon, j’ai vu un truc en train de brûler au milieu de la place puis ça a explosé ", a dit Genya, un habitant de 72 ans.

Auparavant au moins trois frappes avaient touché le sud de Kramatorsk, vers l’aéroport, où des reporters de l’AFP ont vu un important panache de fumée. Depuis une hauteur, ils en ont aperçu un autre au-dessus de Sloviansk, une ville voisine également convoitée par les Russes.

Le ministère russe de la Défense a de son côté accusé les forces ukrainiennes de bombarder Sloviansk en faisant croire à des frappes russes " afin d’instiller des sentiments antirusses parmi la population civile ".

Ces bombardements sur des villes interviennent au lendemain de frappes aux missiles de croisière qui ont dévasté le centre de Vinnytsia, à des centaines de kilomètres à l’ouest.

Le missile de croisière russe Kh-101.

" L’identification de toutes les personnes coupables " de cette attaque " a déjà commencé ", a indiqué vendredi soir le président ukrainien Volodymyr Zelensky, rappellant le bilan de 23 morts, mais aussi quatre disparus et plus de 200 blessés, dont quatre dans un état critique.

" La société russe, avec autant de meurtriers et de bourreaux, restera anéantie sur des générations, et ceci par sa propre faute ", a-t-il lancé, affirmant que la quasi totalité de l’Ukraine était sous alerte aérienne vendredi soir avec des frappes signalées à Dnipro (est), Krementchouk (sud-est de Kiev) et dans la région de Kiev.

Peu après, l’armée de l’air ukrainienne a indiqué que des missiles russes Kh-101 avaient été tirés vers 22H00 de la mer Caspienne sur Dnipro, dont quatre ont été détruits, mais plusieurs ont atteint un site industriel sans faire de victime a priori.

A Kramatorsk, une frappe russe a touché la place centrale, nommée Place de la Paix, sans faire de victimes car elle est survenue après le couvre-feu.

Face aux condamnations occidentales – le secrétaire général de l’ONU s’est dit " atterré " et l’UE a dénoncé de nouvelles " atrocités " et un comportement " barbare " des Russes – le ministère russe de la Défense a affirmé vendredi avoir frappé une réunion du " commandement des forces aériennes ukrainiennes avec des représentants de fournisseurs étrangers d’armements ".

Un haut responsable américain de la défense a cependant observé, sous couvert de l’anonymat, n’avoir " pas d’indication sur la présence d’une cible militaire à proximité ".

La Russie n’a jamais reconnu de bavure ou crime de ses forces armées en Ukraine et assure systématiquement ne frapper que des cibles militaires.

Livraison des lance-roquettes multiples M270

Londres avait d’ailleurs annoncé en juin la livraison à l’Ukraine de lance-roquettes multiples M270 d’une portée de 80 kilomètres, en complément des systèmes américains Himars de même portée envoyés par Washington.

Kiev a annoncé avoir reçu vendredi ces armes qui lui permettent de frapper avec précision la logistique de l’ennemi bien en arrière des lignes, et ont commencé à compenser le différentiel de puissance de feu.

Sur le terrain, les autorités séparatistes de Donetsk ont fait état vendredi matin de quatre personnes tuées et 16 blessées en 24 heures par des bombardements ukrainiens dans la zone sous leur contrôle.

Les forces séparatistes ont également affirmé continuer à progresser et être en train de prendre le contrôle complet de la ville de Siversk, attaquée après la prise de Lyssytchansk plus à l’est au début du mois.

Un lance-roquettes multiples M270 de la Bundeswehr, l’armée allemande. Le M270, d’une portée de 80 kilomètres, complète le Himars de même portée, envoyé par Washington.

" Les forces russes progressent lentement vers l’ouest après des bombardements et des assauts en direction de Siversk depuis Lyssytchansk, pour ouvrir une voie vers Sloviansk et Kramatorsk ", selon le ministère britannique de la Défense.

L’Ukraine a de son côté lancé depuis plusieurs semaines une contre-offensive dans le sud pour reprendre Kherson, unique capitale régionale capturée par Moscou.

Viktor Orban égal à lui-même

Meilleur allié de Moscou en Europe, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a lui abondé dans le sens des Russes, appelant les dirigeants de l’UE à revenir sur leur politique de sanctions, " une erreur " selon lui.

Un autre sujet de discorde entre Moscou et Kiev: le sort de la récolte de blé ukrainien, toujours privé de ports pour l’exportation.

Mais l’Union européenne va la poursuivre et viser les exportations d’or russe dans son prochain train de sanctions, a annoncé vendredi à l’AFP le commissaire européen Maros Sefcovic.

" Cela permettra de couper un autre robinet de financement de la guerre de Poutine en Ukraine ", a-t-il souligné.

Un humanitaire britannique tué

Vendredi également, l’annonce par les autorités séparatistes prorusses de la région de Donetsk de la mort en captivité d’un Britannique, Paul Urey, a relancé les hostilités entre Londres et Moscou.

Une ONG basée au Royaume-Uni, Presidium Network, avait annoncé le 29 avril que deux travailleurs humanitaires, Paul Urey et Dylan Healy, avaient été capturés par l’armée russe dans le sud de l’Ukraine. Mais selon Daria Morozova, une responsable des séparatistes de Donetsk, Paul Urey avait " dirigé des opérations militaires, fait du recrutement et de la formation de mercenaires " pour les forces ukrainiennes.

A Melitopol, ville conquise par les Russes, les affiches de propagande fleurissent partout et l’on distribue des passeports russes à la population restée sur place.

A Londres, le ministère britannique des Affaires étrangères a indiqué avoir convoqué l’ambassadeur russe Andrei Kelin. La ministre des Affaires étrangères Liz Truss s’est dite " choquée par les informations faisant état de la mort du travailleur humanitaire britannique Paul Urey, détenu par des auxiliaires de la Russie en Ukraine ".

Le Royaume Uni est en pointe dans le soutien à l’Ukraine, dans la ligne de relations très dégradées avec Moscou depuis des années.

Avec AFP