Comme on se sent petit, comme on se sent insignifiant dans l’enceinte céleste de marbre et de nuées. Partout sur les murs, inscrites en lettres de silence, on croit être toisé de la parole de l’Éternel qui commandait un jour à sa glorieuse création, du temps où elle n’était encore qu’un nourrisson dans l’Être : n’oublie jamais que tu es fait de poussière, et qu’à la poussière tu retourneras.

Oui, comme on est insignifiant du haut de notre misérable arrogance, écartelé entre le temps et l’espace, les cherchant désespérément du regard dans un lieu où ils n’existent plus. Ici, c’est l’Histoire humaine qui se retrouve condensée, ses soubresauts, ses tragédies, ses lubies et ses espérances. Les statues mouvantes jugent les esprits et les cœurs, elles racontent Athènes, Rome, Lutèce, Paris, Iéna, Austerlitz, Essling. C’est la poussière qui s’est faite marbre. C’est le marbre qui veut se faire cristal.

On caresse du regard les fresques encerclant fermement nos considérations mortelles, les étouffant presque de leurs couleurs de sang, de ciel et de monts, on aperçoit Sainte Geneviève descendre du haut de sa colline pour nous oindre le front, on contemple le Christ rédempteur, la destinée dans la main, présidant ce cortège de figures qui tantôt s’agenouillent, tantôt résistent à son règne sur le fil de vie ; ils font la guerre, et puis l’Empire, la Révolution, et puis la convention, ils portent la tête du roi, et puis ils la couronnent. Jeanne d’arc tend la main à Robespierre, Bonaparte cherche Clovis, Chateaubriand étudie le pendule de Foucault. La science se tient au centre, admirée par la littérature, se balançant impétueusement entre la gloire et l’éternité. Oh, qu’ils ont été grands, qu’ils ont été beaux, ceux qui ont surmonté leur mortalité en fondant leur destinée dans celle de la France, en renonçant à être l’édifice pour pouvoir s’enivrer éternellement de l’honneur d’être une simple brique. Tout est grand sous la gigantesque coupole, tout élève l’âme et le cœur, tout fait remuer le corps, fait tituber la vanité. C’est l’humilité qui triomphe en nous lorsque nous contemplons cet Everest de grandeur. Il faudrait être Atlas pour ne pas se faire écraser : ici la France annonce que jamais homme n’aura les épaules pour soutenir sa gloire. Dans la crypte, le silence est de mise pour rendre hommage aux incarnations de la nation, à ces avatars dorés, ces géants qui semblent avoir œuvré toute leur vie à s’emmurer eux-mêmes dans le sein de la terre qu’ils ont aimée. Ils tremblent presque, les blocs de granit, sous le poids de la gloire qu’ils doivent contenir, à tout moment ils vont s’effondrer, et les lettres d’or auront à nouveau un visage, une voix, une destinée. On peine à croire que notre médiocrité soit autorisée à s’approcher d’aussi près de ces noms qui résonnent partout, sous tous les cieux, dans tous les siècles. Celui-là a versé son sang pour la Patrie, l’autre l’a glorifiée dans ses écrits, celui-ci l’a portée dans les assemblées et reposée près de celui qui lui a donné l’esprit. Ceux-là, dont les noms restent cachés, ont encore risqué leur vie pour sauver l’humilié et le persécuté.

Oui, c’est bien l’Histoire humaine qui semble ici rassemblée, c’est la lutte de la France qui crie encore, dans ce cœur ou rien ne semble pouvoir l’atteindre : l’individu ne doit pas se contenter de faire l’Histoire, il doit la devenir.

Et l’on se prend ensuite à rêver, sous le ciel de ce panthéon faisant écho à celui qui s’élevait jadis sur les monts de cette Athènes tant de fois invoquée, à un rassemblement des voix qui ont fait notre nation, cette nation si proche de celle glorifiée ici, entre ces murs, et qui a poussé avec le Cèdre et le Pin sur nos plaines, qui y a laissé son sang et ses souvenirs, cette nation qui s’est entremêlée à notre être et dont l’héritage sert aujourd’hui d’exemple dans notre combat pour nous-même. On se prend à rêver de ces arcades sous lesquelles l’auteur du Prophète ferait face à cet émir Druze admiré des seigneurs de Toscane, sous le regard bienveillant du moine aux habits noirs qui plaide pour nous auprès du Ciel, où Beyrouth l’éternelle contemplerait cette Tyr qui fit un jour trembler Alexandre, où la Phénicie se rappellerait à ses enfants, ces fils prodigues qui la laissent aujourd’hui croupir sur l’étagère poussiéreuse de l’oubli quand leur âme et leur être tout entier continuent à chanter en silence les dieux des anciens temps. Regardez, qui se dressent déjà sévères et immaculés, Charbel, Hannibaal, Gebran, Bachir, Fakhreddine ! On aperçoit déjà la Nation enfin libre, libre de ses oppresseurs comme de ses démons, se réunissant autour de ce point de l’ultime convergence, cette matérialisation de l’union éternelle dans l’esprit et dans le souvenir. Alors, alors peut-être, verrons-nous enfin briller sous notre ciel ces mots que tous les cœurs sains scandent déjà à l’unisson dans l’obscurité de leurs poitrines : aux grands hommes, à ceux qui nous ont fait, à ceux qui nous feront, aux grands Hommes, la Patrie reconnaissante.