Calfeutrée dans mon coin habituel, je me retiens de commander un deuxième café, quoique l’envie m’en pressait: le couple quinquagénaire de la table voisine rompait! Je suspendais toute action rédhibitoire à ma curiosité et j’écoutais sans devoir faire un effort puisqu’entre eux, le ton montait.

– Nous avons évolué, Patrick, chacun à sa manière. Nous ne nous retrouvons plus. Je n’y peux rien. Je ne t’aime plus, voilà!

Ses propos l’horripilaient. Tout en faisant semblant de comprendre, il était sur la défensive, en plein déni, bien que les propos de sa femme étaient on ne peut plus clairs.

– Je n’aurais pas dû prendre ce nouveau travail et être loin de toi, des enfants. Comment peux-tu? Mais comment peux-tu mettre fin à notre histoire?!

Elle, avec sa tête en friche et la posture d’une rose qui vient d’éclore, avait l’air de planer au-dessus d’un nouvel Everest alors que lui, ici-bas, n’arrivait plus à contrôler le mouvement de ses pieds, cognant nerveusement le sol, ni ses mains grandes ouvertes prêtes à lâcher un coup. Il avait pourtant de belles mains d’artiste tachetées d’histoires légères lesquelles, donnaient à sa tête d’ours mal léché, un petit air frivole . Elle, en bonne je-m’en-foutiste, renchérit:

– Cela ne sert à rien de te morfondre Philippe. Tu ne me fais plus rêver, tu ne me fais plus vibrer, Philippe. J’aurai 50 ans dans quelques mois, je t’ai connu quand j’en avais 20. N’en fais pas un drame, Philippe, il est temps que je vive ma vie.

Son prénom revenait comme le leitmotiv d’une tragédie racinienne qui annoncerait le baisser de rideau. Rien ne semblait pouvoir atténuer sa bouillante témérité. Elle n’était pas là pour discuter ou tenter de sauver la barque qui prenait l’eau; encore moins pour ajouter du piment à leur relation matrimoniale qui s’est affadie par les absences récurrentes. Elle était venue pour achever leur histoire, trancher avec le passé, tourner la page.

Il me semblait évident qu’elle avait quelqu’un dans sa vie, mais la question.
"Qui est-il?" restait suspendue sur le bout des lèvres de Philippe qui les mordillait sans arrêt.

Chaque personne possède une vie qui lui est propre, au cours de laquelle les quatre saisons s’entrechoquent en permanence; là où toutes les couleurs de la palette d’une vie se mêlent et se démêlent. Nous passons notre temps à creuser sans relâche dans les tréfonds de notre âme, afin de mieux comprendre ses rouages. "Aime ton prochain comme toi-même"; n’est-ce pas ce but vers lequel nous devrions tous tendre et qui résume notre existence? Sans doute…

Il est néanmoins vital de s’aimer soi-même en premier, sinon toute relation est vouée, d’avance, à l’échec ou aux accrochages récurrents qui nous attendent à chacun des tournants de la vie.

Cette femme s’était sans doute engagée un peu trop tôt dans une vie de couple et avait peut-être décidé de balancer à la poubelle, dans la même foulée, passé et présent, tendue vers l’amour de soi… ou celui d’un autre?

Nous souhaitons au fond de nous-mêmes que tout soit planifié, noté, inscrit sur les pages de notre vie sans qu’un imprévu ne surgisse d’ailleurs et fasse tout basculer.

Néanmoins ce désir de l’immuabilité demeurera une pensée (comme beaucoup d’autres) belle à lire, bien cadrée, plantée sur l’étagère des chimères.

 

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