Pourquoi les Libanais élisent-ils des députés qui recourent constamment aux insultes pour venir à bout de leurs adversaires politiques ?

Nous avons, en effet, assisté il y a quelques jours à un déferlement d’insultes proférées par le député Ali Hassan Khalil à l’encontre de son homologue du parti Kataëb, Sami Gemayel, l’accusant lui et son père, de même que son parti, d’être des "assassins".

De son côté, le député Ghazi Zeayter, ne trouvant aucun reproche à faire à son homologue Melhem Khalaf concernant son passé, s’en est pris à lui en proférant des insultes futiles.

Il serait pertinent de signaler que les insulteurs sont deux anciens ministres poursuivis par la justice dans le cadre de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Qui plus est, ils sont membres d’un parti ayant des antécédents peu glorieux.

L’accord de Taëf de 1989 qui devait mettre fin à la guerre libanaise n’a pas pour autant surmonté les tiraillements confessionnels et sectaires, comme l’illustre la difficulté de convoquer à une réunion du gouvernement d’expédition des affaires courantes ou de fixer l’heure d’été, ou encore comme le montre la dynamique qui prévaut au sein du Parlement où chaque groupe campe sur ses positions.

D’aucuns diront que les insultes ne sont pas la fin de l’histoire et qu’il s’agit d’un comportement humain assez courant dans les ruelles du monde moderne en général, mais également dans les Parlements. Par conséquent, nul besoin de monter sur ses grands chevaux toutes les fois qu’un député fait une entorse au comportement éthique et laisse éclater ses émotions en public, lorsqu’il est mis au pied du mur, lorsqu’il est en colère ou lorsqu’il manque d’argument pour fustiger ses homologues ; et ce, devant des députés qui s’accrochent à la Loi et à la Constitution et tentent d’en empêcher toute violation par le camp politique adverse.

Il est possible de trouver diverses justifications pour passer outre à une insulte. Comme si de rien n’était. Dans ce contexte, il faut dire que Sami Gemayel a rapidement réagi pour contenir la situation, suite à l’intervention de Nabih Berri, président de la Chambre et chef du parti de Khalil et Zeaiter, et grâce à la médiation du vice-président de la Chambre Elias Abou Saab visant à convaincre l’insulté, qui n’est autre qu’un leader à la tête d’un grand parti, fils d’un autre leader, d’accepter les excuses de son insultant.

Toutefois, le cas ne s’applique pas à l’insulte proférée par Zeaiter à l’encontre de Melhem Khalaf. Elle est restée lettre morte et nul n’est intervenu pour exiger des excuses. On pourrait attribuer cela au fait que M. Khalaf appartient à ces députés que le peuple libanais a élus pour défier ses dirigeants, faisant fi de leurs compétences et aptitudes. Sans compter que les députés du système leur refusent toute légitimité.

Tout cela nous ramène donc à la question primordiale, à savoir, pourquoi les Libanais élisent-ils des députés qui profèrent des insultes et ne s’excusent pas si l’insulté est plus faible qu’eux politiquement ou si son parti est plus faible ou si aucune communauté ne le soutient ou si aucune armée électronique ne monte au créneau pour le défendre sur les réseaux sociaux.

Quelles sont donc les causes et les justificatifs d’une telle attitude?

Force est de relever que les députés qui insultent ne sont nullement des références en matière de droit ou des législateurs de renom qui auraient une plus-value en termes de respect de la Constitution. De plus, ils n’ont pas contribué à des projets "révolutionnaires" s’agissant de l’économie ou du développement au Liban. Ils sont cependant des constantes dans leurs partis sectaires depuis des décennies. En réalité, ils ne font que transmettre les messages de leurs chefs à qui veut bien les entendre. Ce ne sont que des pions qui servent à garantir le quorum.

Telle est leur limite, et c’est tout ce qui leur est demandé de faire. De plus, les insultes à l’encontre de leurs confrères sont monnaie courante depuis la perte de prestance entre ces partis suite aux soulèvements populaires. Même si ces derniers n’ont pas abouti au changement du système ni de la classe politique, ils ont néanmoins contribué à franchir les lignes rouges et à faire la lumière sur tous les crimes commis aux dépens du peuple, dans le seul but de s’enrichir de l’argent public et de garantir une pérennité au sein du pouvoir.

La réponse résiderait-elle dans l’absence de culture politique?

Mais ya-t-il un public doté d’une culture politique? Ou bien est-ce un public grégaire et instinctif?

La réponse la plus plausible est sans doute l’absence de l’État, ce qui engendre un électeur quémandant ses droits auprès de députés se cachant derrière leurs chefs qui se muent en prestataires de services pour ceux qui les sollicitent personnellement…