Depuis mars 2011, l’exode syrien vers le Liban ne cesse de s’intensifier sans obstacle. Le nombre de migrants dépasse largement la moitié de la population libanaise. La guerre en Ukraine a presque éclipsé le conflit en Syrie sur l’agenda européen. Par crainte des répercussions de la migration syrienne vers l’Europe, les puissances occidentales exercent une pression constante sur les autorités libanaises pour faciliter l’intégration des ressortissants syriens, de peur qu’ils ne frappent aux portes de l’Europe. Cependant, le non-retour des migrants syriens dans leur pays d’origine crée un véritable problème existentiel pour le Liban d’un point de vue politico-démographique, menaçant implicitement le Pacte national de vie commune, déjà fragile.

L’enjeu juridique ou l’obstacle de souveraineté

La qualification juridique du statut des ressortissants syriens résidant au Liban prouve qu’ils sont des migrants et non des réfugiés ayant demandé le droit d’asile. Le Liban n’est pas un État membre de la Convention des Nations unies sur le statut des réfugiés de 1951. En droit international, et selon l’article 34 de la Convention de Vienne sur le droit des traités: un traité ne crée ni obligations ni droits pour un État tiers sans son consentement. Même le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a conclu un mémorandum d’entente avec le Liban en 2003, affirmant que le Liban n’est pas un État d’asile. Ainsi, le HCR s’engage à relocaliser les demandeurs d’asile dans un État tiers autre que le Liban dans un délai de six mois, renouvelable exceptionnellement une seule fois. Malgré cette réalité juridique, les différents acteurs internationaux traitent avec le Liban comme s’il avait des obligations en vertu de la Convention sur les réfugiés de 1951. Récemment, le Parlement européen, par le biais du paragraphe 13 de sa résolution 2023/2742, a sollicité l’adhésion du Liban à ladite convention.

Une fois que le Liban aura ratifié la convention, il devra naturaliser tous les Syriens qualifiés comme réfugiés par le HCR en vertu de l’article 34. La naturalisation constitue une violation de la Constitution libanaise, interdite dans son préambule – le pilier essentiel de l’accord de Taëf. Cependant, tous les États européens sont parties à la Convention onusienne sur les réfugiés et sont donc obligés de recevoir les migrants syriens en tant que réfugiés, ce qui entraînerait de facto leur octroi de la nationalité, conformément à l’article 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, complété par les deux directives du Parlement européen et du Conseil "Qualification" (N°2011/95/UE) et "Accueil" (N°2013/33/UE). Les craintes européennes ne sont justifiées ni sur le plan légal ni sur le plan humanitaire.

L’enjeu sécuritaire

Un défi incontournable est que le Liban, exemple de la diversité culturelle au Moyen-Orient et oasis du dialogue des cultures, glisse vers une scène de conflits à deux niveaux: interne et régional. À tout moment, au niveau interne, un conflit peut surgir entre les Syriens et les Libanais, à plusieurs dimensions – nationale, confessionnelle et même sécuritaire. L’effondrement de la sécurité au Liban aurait des répercussions dangereuses sur la zone euro-méditerranéenne et sur l’Europe. L’Europe, déjà éprouvée par la guerre en Ukraine, ne pourrait supporter un autre conflit géostratégique sur la rive méditerranéenne, surtout alimenté par le régime syrien hostile et son allié Moscou. Le terrorisme pourrait envahir l’Europe en raison de la migration de fanatiques et de radicaux des zones limitrophes à l’Europe. La guerre en Arménie et les attentats terroristes en Turquie ne sont que le début et il est possible que la guerre menace de nouveau les frontières de la Syrie. Bien que la guerre à Gaza ait transformé les frontières du Liban-Sud en une zone de conflit en devenir, l’instabilité sécuritaire au sud, qui exposera tout le Liban au danger, pousse de nombreux migrants à aspirer à l’Europe de manière légale ou illégale. De plus, ce conflit encourage de plus en plus la migration clandestine des Syriens vers les villages limitrophes du sud, déjà presque vides, pour les occuper.

Les migrants syriens, victimes de la politique internationale "guerrière"

De plus, les migrants syriens deviennent les victimes d’une politique d’isolation internationale qui ternit leur image tout en les exposant à des discours discriminatoires et haineux, alimentant ainsi le ressentiment et l’insécurité. Ainsi, les ressortissants syriens au Liban, confinés dans un espace géographique restreint, sont exploités pour servir de "mercenaires" dans des conflits confessionnels ou régionaux. Un conflit complexe se dessine, mêlant des forces nationales et des organisations djihadistes, aboutissant à l’implication forcée de puissances étrangères. Au lieu de faciliter le retour volontaire de ces ressortissants, ces derniers sont contraints et/ou encouragés à demeurer contre leur gré, tout en étant empêchés de naviguer en Méditerranée. La présence des Syriens au Liban les expose à un danger existentiel, même si leur pays n’est pas occupé et la majorité écrasante des migrants n’est pas hostile au régime syrien. Il ne faut pas que leur présence sur le territoire libanais en fasse une communauté isolée au Liban suivant l’exemple kurde en Syrie et participe donc à l’exécution d’un plan de partition du Grand Liban. Leur refuge envisageable serait incontestablement la revendication de leur droit à disposer d’eux-mêmes et la réclamation sanglante de l’indépendance dans un canton autonome sur le territoire libanais.

Syrianisation du Liban versus le droit au retour

La syrianisation du Liban n’est pas la bonne solution, un plan qui n’a jamais réussi. La protection de l’Europe et la préservation du rôle du Liban en tant que pays du dialogue nécessitent une autre approche pour remédier à l’exode massif des Syriens. L’Europe est invitée à respecter le principe de la répartition des charges des réfugiés syriens tel que préconisé par le Conseil de sécurité en vertu de sa résolution 2139 (2014), puisque la majorité des États européens en a les capacités.

Le Liban ne peut pas être considéré comme la Turquie, qui est partie à la Convention de 1951 depuis 1962 et a passé un accord avec les autorités européennes depuis 2016 pour sécuriser les frontières de l’Europe en offrant l’asile aux réfugiés syriens, en échange de grandes aides monétaires et de facilités pour les citoyens turcs en Europe. De plus, la turquisation des réfugiés syriens est bénéfique aux plans géopolitiques de la Turquie dans la sphère syrienne.

Le mandat du 4 octobre 2023 arrêté par un acte législatif du Conseil de l’UE visant à gérer les situations de crise constitue une opportunité pour l’Europe de repenser ses plans dans les domaines de la migration et de l’asile. Au lieu d’encourager l’intégration des Syriens dans des sociétés réceptives fragiles, notamment au Liban, il est temps d’assurer l’application du principe du "droit au retour" des migrants syriens dans leur patrie, en suivant un processus politique menant à une transition pacifique. Il est préférable de les soutenir dans leur intégration au projet de démocratisation et de reconstruction de la Syrie, plutôt que de financer des organisations non gouvernementales pratiquant des activités préjudiciables à la dignité des migrants. Ni le HCR ni les ONG ne peuvent se substituer à l’État pour fournir des services publics aux migrants syriens, même si l’État libanais est en faillite non déclarée et démantelée. Tout acte inconstitutionnel de ces organismes et de leurs auteurs devra être soumis à la justice.

La stratégie de l’UE à l’égard de la Syrie, en date du 3 avril 2017 et principalement axée sur la menace représentée par Daech, nécessite une mise à jour, car les catégories de menaces se multiplient, comprenant des terroristes, des islamistes et de nouvelles catégories auxquelles l’Occident s’oppose.

Une fois que le Liban sera touché par la bombe syrienne ou l’engin de mort israélien, les frontières libano-méditerranéennes seront ouvertes au trafic libre pour l’exportation du terrorisme transrégional.