Depuis qu’il s’est déclaré en défaut, en mars 2020, l’État libanais est en cessation de paiement, la Banque du Liban et les banques libanaises aussi. Les créanciers locaux et étrangers sont réticents à accorder le moindre crédit aux entreprises ou aux particuliers résidents au Liban. Et pourtant, des solutions existent.

En droit des faillites, on distingue entre l’illiquidité et l’insolvabilité. La première est une situation où l’emprunteur est temporairement dans l’impossibilité de rembourser ses dettes à leurs échéances. La seconde résulte d’une insuffisance des actifs pour couvrir les dettes.

Clairement, l’État libanais n’est pas dans le second cas de figure. Les actifs de l’État sont en effet très certainement supérieurs aux dettes, même si les premiers n’ont jamais été sérieusement évalués et les secondes sont encore considérées sur base du dollar à 1.500 livres.

D’ailleurs, si toutes les dettes étaient évaluées au prix de marché, l’or de la Banque du Liban, seul, permettrait de les payer intégralement et de conserver un stock d’or parmi les plus élevés du monde. Et cela sans compter que l’État libanais est extrêmement riche en biens immobiliers ou en entreprises d’État.

Alors illiquidité profonde?

En réalité, le Liban dispose de liquidités abondantes. La Banque du Liban possède, en plus du stock d’or, des réserves de change dont pourraient être jaloux la plupart des pays de la région. A titre d’exemple, ces dernières sont, proportionnellement, cinq fois plus importantes que celles de l’Égypte. En outre, nous savons tous que les entreprises et les particuliers libanais possèdent plus de 5 milliards de dollars chez eux et qu’ils détiennent à l’étranger une épargne de plusieurs fois le PIB.

Sur le papier, le Liban ne souffre donc même pas d’une crise de liquidité. Certes, les banques sont dans l’impossibilité de restituer immédiatement à leurs clients plus de 5% des dépôts. Vrai aussi que la Banque du Liban est dans l’incapacité de rembourser immédiatement aux banques plus de 10% de leurs dépôts à la BDL.

Cette situation n’est pourtant pas exceptionnelle. Peu de banques dans le monde seraient capables de faire mieux, et peu de banques centrales pourraient s’en acquitter sans émettre de la nouvelle monnaie.

Où se situe donc le problème?

La réalité est que le Liban est effectivement en faillite, non de liquidités, mais de confiance. S’il fallait quantifier celle-ci, elle serait la somme des crédits bancaires, des dépôts dans les banques, des crédits fournisseurs, de la monnaie nationale, des emprunts nationaux et internationaux de l’État. Plus il y en a, plus le capital confiance est important.

Le Liban jouissait d’un capital-confiance très important: l’État n’avait jamais fait défaut, les banques libanaises avaient un niveau de professionnalisme élevé, les banquiers libanais à l’étranger étaient respectés et influents, la parole donnée par les commerçants était sacrée.

Tout cela a été mis en cause et l’effondrement en a été d’autant plus violent.

Aujourd’hui, qui ferait confiance à une banque pour du ‘fresh’? Quel commerçant ferait crédit à un autre? Qui croit encore aux promesses de l’État?

C’était une faute historique de faire défaut, la fermeture des banques a été une maladresse magistrale, le gel des liquidités à la Banque centrale est une erreur incalculable.

On en mesure aujourd’hui le résultat dans la vitesse de circulation de la monnaie. Jamais calculée au Liban, elle est probablement aujourd’hui équivalente à celui des pays les moins avancés (PMA). En effet, d’une économie où une partie importante des paiements se faisait par transferts, chèques ou cartes, nous sommes passés à une économie presque totalement cash. Le risque, évidemment, est qu’un jour le pays soit considéré comme une plateforme de blanchiment d’argent.

La crise actuelle n’est pas la conséquence directe de la corruption mais de la politique monétaire.

Y-a-t-il une solution?

Les solutions doivent toutes passer par la restauration de la confiance.  Le FMI à lui seul ne pourra pas restaurer cette confiance. Pour la réaliser il faut:

– Des objectifs clairs

– Un engagement

– De la transparence

Le Liban doit viser un PIB par habitant de 15.000 dollars, ce qui est cinq fois plus que ce qu’il est actuellement, mais qui est son PIB potentiel s’il faisait les réformes structurelles, spécialement au niveau du fonctionnement de l’État. Le Liban doit être un modèle d’éthique, de responsabilité, et d’État de droit.

L’engagement doit être de rembourser la totalité des dépôts bancaires, dans la monnaie d’origine; de compenser toutes les personnes ayant subi un dommage du fait de l’État; et de restaurer les retraites à un niveau raisonnable.

Quant à la transparence, elle doit s’appliquer en tout premier lieu à chacune des institutions de l’État. Il s’agit de comprendre et d’expliquer, pour chacune des institutions de l’État, pourquoi elles n’ont pas été en mesure de faire les profits que pourtant leur position de monopole aurait assurés, mais également d’analyser les mécanismes qui ont conduit à l’accumulation de pertes abyssales.

Les moyens de tenir ces engagements existent:

L’État doit commencer par un programme de rachat de ses dettes tout en leur garantissant un prix plancher.

Il ne devrait pas, aujourd’hui, vendre ses actifs qui seraient valorisés à des prix ridicules, mais les exploiter de manière responsable pour qu’ils génèrent des revenus confortables.

Il faut surtout ranimer les créances gelées auprès des banques et de l’État pour qu’elles redeviennent de la liquidité. L’État doit, tout d’abord, prendre à sa charge toutes les dettes de la Banque du Liban à l’égard des banques et proposer un échange contre des actifs négociables et fondés sur le futur.

A titre d’exemple, l’État pourrait émettre des certificats négociables tels que:

– Des avoirs fiscaux.

– Des obligations payables à l’atteinte de certains niveaux de PIB.

– Des obligations dont le revenu suit la rentabilité de certains actifs de l’État.

Ces instruments et d’autres étant tous négociables en bourse recréeraient de la liquidité, encourageraient de nouveaux investissements et restaureraient la confiance en l’État. La liquidité retrouvée remettra le Liban dans un cercle vertueux de croissance.

Mais la condition première pour le rétablissement du Liban est d’avoir le courage de lutter contre le défaitisme. Il faut adopter une attitude digne et morale et prendre des engagements qui respectent le passé et le futur, et s’y tenir.

(*) Riad Obégi est le PDG de la banque Bemo