Dans le cadre de la série sur la thérapie génique anticancéreuse, "Ici Beyrouth" aborde dans ce troisième et dernier volet, l’immunothérapie basée sur les vaccins oncolytiques comme une percée thérapeutique prometteuse. Décryptage avec Jean-François Fonteneau, chercheur en immunologie au Centre de recherche en cancérologie et immunologie intégrée de Nantes-Angers.

Aujourd’hui, plus que jamais, les révolutions biotechnologiques dans le domaine de l’immuno-oncologie ont pavé la voie à l’émergence de nouveaux traitements curatifs contre une panoplie de cancers jusqu’ici incurables. Les virus oncolytiques constituent une nouvelle classe de médicaments biologiques qui s’ajoutent désormais au vaste arsenal thérapeutique contre le cancer. Ces virus, naturels soient-ils ou recombinants, infectent et tuent sélectivement les cellules tumorales, tout en épargnant les cellules normales.

Cette virothérapie oncolytique stimule également les défenses immunitaires de l’organisme, mettant ainsi en place une immunité anticancéreuse plus physiologique. Cette stratégie est toutefois loin d’être à ses balbutiements. Si le premier essai clinique officiel testant un virus oncolytique a été rapporté en 1949, il n’en reste pas moins que des rapports de cas suggéraient, depuis le milieu du XIXᵉ siècle, que des infections microbiennes naturelles chez les patients ayant un cancer peuvent parfois aboutir à une régression temporaire de la charge tumorale.

Prémices de l’immunothérapie 

Le rôle thérapeutique potentiel des microorganismes a été établi par William Coley, considéré aujourd’hui comme le "père de l’immunothérapie", vers la fin des années 1890. L’examen des dossiers hospitaliers l’a, en effet, mené au cas d’un patient présentant une régression spontanée d’un sarcome facial suite à une infection cutanée bactérienne (nommée érysipèle) causée par Streptococcus pyogenes. Le chercheur et cancérologue américain soupçonnait que l’infection était en quelque sorte responsable de cette guérison "miraculeuse". Résolu de mettre sa théorie à l’épreuve, il a infecté un de ses patients atteint d’un sarcome inopérable par un mélange de S. pyogenes vivants et inactivés.

Quelques mois plus tard, il a constaté que la tumeur a bel et bien régressé, avant de disparaître complètement. Cette stratégie a dès lors constitué les prémices d’une nouvelle approche thérapeutique anticancéreuse: l’immunothérapie. Au cours des années suivantes, William Coley a affiné sa concoction et l’a administré à des centaines de patients atteints de divers sarcomes et carcinomes.

Des bactéries aux virus

Malgré ses résultats encourageants (mais à demi-teinte), il a été accusé de charlatanisme et ses traitements ont été rejetés par la Société américaine du cancer. Une meilleure compréhension du système immunitaire, vers la fin du XXᵉ siècle, a fini par changer la donne, accordant au Dr Coley la reconnaissance qu’il méritait.

Plus tard, à partir de 1949, de nombreux essais cliniques ont été entrepris afin de tester cette fois-ci des vaccins thérapeutiques viraux. Ainsi, des virus vivants (tels que le virus du Nil occidental, des lysats d’adénovirus, et la souche Urabe du virus des oreillons) ont été délibérément injectés à des patients ayant un cancer: des résultats prometteurs et de bon augure ont été signalés, mais des effets secondaires potentiellement graves ont été recensés, en particulier chez les patients immunodéprimés atteints de leucémie ou de lymphome.

Peu de temps après, avec l’essor de la biologie moléculaire, les recherches scientifiques se sont concentrées sur les virus modifiés génétiquement, qui sont moins pathogènes pour l’homme, tels que les vaccins vivants atténués. Au cours des trois dernières décennies, les thérapies géniques se basant sur les virus oncolytiques ont révolutionné le domaine de l’oncologie médicale.

Percée prometteuse

"La virothérapie antitumorale est basée sur l’utilisation de virus oncolytiques qui vont se répliquer uniquement dans les cellules tumorales et les tuer d’une manière immunogène", explique à Ici Beyrouth, Jean-François Fonteneau, chercheur au Centre de recherche en cancérologie et immunologie intégrée de Nantes-Angers. "Cette mort immunogène va alors activer le système immunitaire du patient contre le virus, mais aussi contre les cellules tumorales", poursuit le chercheur français Cette virothérapie est donc une forme d’immunothérapie, qui constitue une percée prometteuse dans la recherche en oncologie.

Par ailleurs, en plus de tuer les cellules tumorales et d’activer la réponse immunitaire antitumorale, Jean-François Fonteneau précise que les virus oncolytiques peuvent être modifiés par l’ajout d’un gène qui va permettre la production d’une protéine thérapeutique dans la tumeur lors de la réplication du virus.

"Les premières recherches de virothérapie ont été développées après la Seconde Guerre mondiale après avoir constaté que de rares cas de patients souffrant de cancer allaient beaucoup mieux suite à une infection virale", raconte-t-il. Cependant, il faudra attendre le début du XXIᵉ siècle et les progrès de l’ingénierie en biologie moléculaire pour qu’une première génération de virus oncolytiques soit testée en essai clinique. "L’un d’entre eux, le T-vec, un virus de l’herpès modifié pour cibler les cellules tumorales, a été approuvé en 2015, en Europe et aux États-Unis pour le traitement du mélanome métastatique", indique l’immunologiste qui avait rejoint, entre 1999 et 2003, le laboratoire du professeur Ralph Steinman, lauréat du prix Nobel de médecine en 2011.

Jean-François Fonteneau souligne, toutefois, que le T-vec est peu utilisé, car des médicaments immunothérapeutiques mis sur le marché avant celui-ci, les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (des anticorps visant à lever l’inhibition de certaines défenses immunitaires du patient contre les cellules tumorales) se sont avérés plus efficaces. "Plus récemment, en juin 2021, un virus de l’herpès modifié, le G47delta, a été approuvé temporairement au Japon pour le traitement du glioblastome (cancer du cerveau)", ajoute-t-il.

Nouvelles générations

La manipulation génétique du génome viral a favorisé le développement de nouvelles générations de virus oncolytiques. Ces modifications moléculaires ont ainsi permis d’affaiblir la pathogénicité du virus, d’améliorer la sélectivité des cibles, de réduire les effets indésirables ou même d’insérer des gènes thérapeutiques exogènes dans le génome du virus. À cet égard, le chercheur en immunologie note que les virus oncolytiques de première génération, qui avaient atteint des stades avancés dans les essais cliniques ou avaient même été approuvé (comme le T-vec), étaient souvent modifiés pour produire le GM-CSF, une protéine qui stimule le système immunitaire. "Toute une nouvelle génération de virus oncolytiques produisant des protéines thérapeutiques plus efficaces que le GM-CSF est en préparation. C’est l’un des principaux enjeux de cette approche thérapeutique", révèle Jean-François Fonteneau. En effet, selon plusieurs études scientifiques, les réponses immunitaires déclenchées par les virus oncolytiques ne sont pas assez puissantes, notamment pour les tumeurs solides faiblement immunogènes ou immunosuppressives.

Dans une étude publiée en octobre 2020, dans Journal for Imuunotherapy of Cancer, Macedo et al. ont analysé 97 essais cliniques testant des virus oncolytiques sur 3.233 patients. D’après les résultats publiés, la réponse objective moyenne (c’est-à-dire le pourcentage de patients ayant une réponse partielle ou complète au traitement dans un certain laps de temps) dans ces études était de 9%. Un travail considérable est actuellement en cours pour optimiser les vecteurs viraux par génie génétique afin d’améliorer l’immunogénicité (capacité d’induire une réponse immunitaire). "Par exemple, l’entreprise Transgene teste actuellement en France un virus de la vaccine (virus lié à celui de la variole) modifié chez des patients souffrant de cancer du côlon, lors d’un essai clinique de phase I, souligne Jean-François Fonteneau. Ils ont ajouté un gène qui permet au virus de produire dans la tumeur une enzyme qui transforme une pro-drogue non toxique en drogue très toxique. Cela permet de concentrer l’effet de la drogue dans la tumeur et de moins exposer les tissus sains." L’équipe de M. Fonteneau étudie également avec celle de Frédéric Tangy de l’Institut Pasteur la souche vaccinale du virus de la rougeole qui présente une activité oncolytique contre plusieurs types de cancers.

En somme, avec les progrès continus de la biotechnologie, la thérapie génique basée sur les virus oncolytiques se développe de plus en plus pour tenter de traiter diverses tumeurs. Il est finalement à noter que plusieurs cas de rémission totale ont été signalés chez des patients atteints de lymphomes après avoir contracté le Covid-19, ce qui pourrait suggérer, selon divers rapports de cas, un puissant effet oncolytique du SARS-CoV-2.