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Après quatre décennies de recherches de longue haleine, l’espoir d’une guérison du sida s’intensifie. Trois cas de rémission ont été recensés depuis 2009, à la suite d’une transplantation de moelle osseuse, provenant de donneurs porteurs d’une mutation particulière. Cette victoire thérapeutique ouvre ainsi de nouvelles perspectives dans la lutte contre le VIH-1.

L’histoire de la découverte du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) est jalonnée de moments tantôt porteurs d’espoir tantôt empreints de déception. Le 5 juin 1981, le Centre de contrôle et de prévention des maladies des États-Unis (en anglais Centers for Disease Control and Prevention ou CDC) émet un rapport concernant cinq jeunes hommes en bonne santé à Los Angeles, en Californie, atteints d’une pneumonie à Pneumocystis carinii, une pneumopathie infectieuse opportuniste fongique sévère. Deux d’entre eux sont morts. Ce rapport sera ultérieurement reconnu comme le premier compte rendu scientifique publié de ce qui deviendra connu sous le nom de virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et du sida. Dès lors, le monde est confronté à une épidémie dévastatrice qui a touché des millions de vies. Si l’avènement des thérapies antirétrovirales hautement actives a révolutionné la survie des patients atteints du sida, aucun traitement curatif n’a pu être développé jusqu’à présent.

Patient de Berlin

Cependant, au milieu de cette pénombre, une lueur d’espoir a émergé dans la quête d’un remède contre cette maladie avec un cas assez singulier: le patient de Berlin. Nommé Timothy Ray Brown, il est diagnostiqué du sida, alors qu’il poursuivait ses études universitaires à Berlin, en 1995. Il est dès lors mis sous thérapie antirétrovirale classique, lui permettant de mener une vie presque normale. Dix ans plus tard, une fatigue intense le conduit à consulter un médecin. Les analyses sanguines révèlent alors une anémie persistante. Malgré de multiples transfusions, l’état du patient ne présente aucun signe d’amélioration. Par conséquent, son hématologue lui recommande une biopsie de la moelle osseuse qui met aussitôt en évidence la présence d’une leucémie aiguë myéloïde (LAM). Il entame ainsi un protocole chimiothérapeutique, et alors qu’il est en voie de rémission, son cancer récidive en 2006. Une transplantation de moelle osseuse (plus précisément de cellules souches hématopoïétiques) est alors préconisée.

"De nombreux patients n’ont aucun donneur compatible; j’en avais beaucoup, 267 pour être précis. Cela a donné au Dr Huetter l’idée de rechercher un donneur porteur d’une mutation appelée CCR5-delta 32 (CCR5Δ32) sur les lymphocytes T (type de globules blancs), les rendant presque immunisées contre le VIH", explique Timothy Ray dans un article publié dans une revue scientifique. CCR5 est également le corécepteur principal du VIH, favorisant son entrée dans les lymphocytes T qui sont les protagonistes principaux de l’immunité. Une mutation naturelle, connue sous le nom de CCR5Δ32, rend les porteurs de cet allèle résistants à l’infection par le VIH de type 1 (VIH-1). "Son équipe a finalement trouvé un donneur avec cette mutation à la soixante-unième tentative. Il a accepté de faire un don si cela était nécessaire", raconte Timothy Ray Brown dans l’article susmentionné.

Victoire thérapeutique

Suite à une chimiothérapie intensive et à la transplantation de moelle osseuse, le Dr Huetter préconise au patient de Berlin de mettre fin à son traitement antiviral. Trois mois plus tard, la charge virale est sensiblement réduite. Elle est indétectable dans le sang du patient jusqu’à sa mort en 2020 d’une leucémie.

Cette avancée médicale a ravivé l’espoir de trouver un remède pour le sida. Depuis, la recherche s’est intensifiée pour explorer cette piste prometteuse. En mars 2019, un deuxième cas de rémission est signalé chez Adam Castillejo, un autre patient porteur du VIH-1 et atteint d’un lymphome hodgkinien de stade 4b. Il a, lui aussi, subi une transplantation de cellules souches hématopoïétiques en mai 2016, provenant d’un individu porteur de la mutation CCR5Δ32. En effet, trente mois après l’interruption de la trithérapie antivirale, le patient de Londres, comme il a été désigné, voit sa charge virale nulle dans diverses régions examinées, telles que le sang, les tissus intestinaux, le liquide céphalorachidien et les ganglions lymphatiques. Cela conduit Gupta et al. à publier les résultats de ce cas clinique dans Nature, le considérant comme un modèle de guérison du VIH-1.

Ciblage de CCR5

Selon de récentes publications scientifiques, le ciblage du corécepteur CCR5, dans le but de conférer une résistance ou de réduire la susceptibilité des cellules hôtes à l’infection, pourrait potentiellement entraîner une inhibition efficace de l’infection par le VIH-1, surtout si cette approche est combinée à d’autres stratégies anti-VIH-1. Les cas des patients de Berlin et de Londres ont incité la communauté scientifique à explorer d’autres moyens de ciblage du CCR5 et à évaluer leur pertinence en tant que méthode curative pour le VIH-1 chez d’autres patients. Des chercheurs ont investigué l’inhibition du CCR5 extracellulaire, au moyen de petites molécules ou d’anticorps monoclonaux inhibiteurs du CCR5, ainsi que la suppression de l’expression de ce corécepteur par des techniques d’édition génétique, notamment avec les ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9, couronnée du prix Nobel en 2020.

Le patient de Düsseldorf

En février 2023, alors que la communauté internationale s’apprêtait à proclamer son triomphe sur la pandémie de Covid-19, un troisième cas de guérison probable de l’infection par le VIH est annoncé: le patient de Düsseldorf. Il s’agit d’un homme de 53 ans, atteint du sida depuis 2008, qui a subi en février 2013 une transplantation de moelle osseuse, provenant d’un individu porteur de la mutation CCR5Δ32, dans le but de traiter sa LAM.

Il convient, toutefois, de noter qu’une telle transplantation représente en elle-même un défi médical de taille. Il faut, en effet, trouver un donneur ayant un profil génétique compatible, en se basant sur un test connu sous le nom de typage des antigènes leucocytaires humains (en anglais Human Leukocyte Antigens ou HLA), afin d’éviter tout rejet. De plus, moins de 1% de la population porte la mutation CCR5Δ32 qui protège contre le VIH. Il est donc assez rare de trouver un donneur de moelle osseuse dans les registres (inter)nationaux, porteur en même temps de ladite mutation.

Suite à la transplantation de moelle osseuse, l’état du patient de Düsseldorf a oscillé pendant cinq ans avant de se stabiliser. En 2018, la mise en évidence de l’absence de charge virale a conduit le Dr Björn-Erik Ole Jensen et son équipe à élaborer un protocole en vue de l’arrêt supervisé du traitement antirétroviral du quinquagénaire. À la suite de la suspension du traitement, une surveillance attentive du patient par l’équipe médicale s’est étendue sur une durée de 44 mois, révélant l’absence totale de toute trace de particules virales ou de réservoirs viraux latents, que ce soit au niveau sanguin ou tissulaire. Parallèlement, aucune réaction immunitaire caractéristique de l’infection par le VIH n’a été observée.

Cette troisième guérison du VIH-1 après une transplantation allogénique de moelle osseuse portant la même signature mutationnelle CCR5Δ32 pourrait orienter les stratégies thérapeutiques futures.

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