Devant la statue de l’Émigré, les familles éplorées appellent les députés à boycotter la séance parlementaire de mardi.

La nuit commence à tomber, samedi soir, sur Beyrouth. Sur la route parallèle au port, des proches des victimes de la double explosion meurtrière du 4 août 2020 commencent à se rassembler devant la statue de l’Émigré. Munis de portraits de leurs proches, vêtus de noir, ils sont venus crier justice. La lassitude et la fatigue se lisent sur leurs visages, mais leur détermination à poursuivre le combat continue malgré tout de l’emporter.

À la veille de la séance parlementaire prévue mardi au cours de laquelle sera débattue la question de juger les personnalités politiques poursuivies par le magistrat Tarek Bitar, chargé du dossier, devant le Haut conseil pour juger les présidents et les ministres, ils tiennent à interpeller les parlementaires pour qu’ils boycottent la réunion. "C’est comme si on tuait une seconde fois les victimes", lit-on sur une grande banderole hissée sur les lieux du sit-in.

"Mardi, le peuple libanais saura qui a rendu justice aux innocents et qui les a offensés", met en garde une proche des victimes. Une autre interpelle les avocats qui essaient d’entraver le cours de l’enquête à "œuvrer avec éthique professionnelle".

Dans une allocution, la représentante des familles dénonce toutes les ruses auxquelles ont eu recours les responsables poursuivis pour paralyser le travail du juge Bitar, et ce tantôt en prétextant la suspicion et tantôt en réclamant son dessaisissement. Remettant en question la Haute cour pour les présidents et les ministres, elle s’interroge ironiquement sur son existence et son efficacité, mais surtout sur sa capacité à juger des accusés qui ont participé au processus de formation de cette instance .

Seize mois se sont écoulés depuis l’apocalypse du 4 août et la justice n’a pas encore eu gain de cause. Le duopole chiite Hezbollah-Amal ne rate aucune occasion pour tenter de dessaisir le juge Bitar et d’obstruer les chemins qui conduisent à la vérité. L’impunité perdure. Hier encore, le conseiller de l’information du Hezbollah, Mohammad Afif, déclarait que l’impasse gouvernementale persistera tant que le juge Bitar sera maintenu et que le procès des accusés ne se tiendra pas au Haut conseil pour les présidents et les ministres.

"Nous tenons à ce que la vérité éclate au grand jour, notre mouvement ne connaîtra aucun répit jusqu’à ce que les criminels soient jugés", confie une dame à Ici Beyrouth. "Seize mois plus tard, personne n’a encore été conduit en justice dans notre État corrompu", déplore une mère éplorée ayant perdu son fils unique. Fixant des yeux les silos de blé, elle lance: "Ici seront pendus les criminels."

Tenant le portrait de sa fille tuée dans l’explosion, un homme insiste sur l’importance de la justice pour que le pays ne sombre pas davantage. "Nous voulons que le juge Bitar poursuive son travail, lance une femme dont la sœur a été tuée dans la déflagration. Nous voulons que tout responsable de l’explosion soit puni pour qu’un drame pareil ne se reproduise plus, et pour qu’on puisse vivre dans notre pays, en liberté et en paix."

18h07. Comme à chaque fois depuis, les familles clôturent leur rassemblement en allumant des bougies à l’intention de leurs morts.

Plus loin, devant la porte 3 du port de Beyrouth, un collectif mené par Ibrahim Hoteit, a également organisé un sit-in. Dans un discours virulent, M. Hoteit a réclamé une fois de plus que le juge Bitar soit dessaisi de ses fonctions.