Direction Basta, ce matin. Yassine travaille dans ce vieux quartier de Beyrouth depuis qu’il est en âge de le faire. Il est vitrier, mais surtout vitrailliste. Un métier appris auprès de son père dont la photo encadrée domine l’atelier. Un de ses frères vit à Vichy où il a ouvert un restaurant libanais. Yassine me donne sa carte et me fait promettre d’aller y manger un jour. J’ai beau lui expliquer que je ne passe pas tous les jours à Vichy, rien n’y fait. C’est le meilleur libanais de France, répète Yassine, interrompu dans ses considérations gastronomiques et ses comparaisons entre cuisine libanaise et cuisine syrienne par un grand gaillard, casquette sur la tête et un accent américain qui lui semble devenu totalement naturel.

Il a grandi dans ce quartier, mais depuis 17 ans maintenant, il vit en Californie. Il est de passage et ne pouvait manquer de venir saluer Yassine.

Adolescent, il a travaillé chez lui et le vitrier lui a " tout appris, surtout qu’il faut se battre pour réussir. Toujours ". Il tient deux supérettes aux États-Unis, mais il a la nostalgie d’ici, surtout de son quartier de Basta. La décrépitude des vieilles maisons plus que centenaires le désole. " Aux États-Unis, des gens dépenseraient des millions de dollars pour retaper des maisons comme ça. Ici, tout tombe en ruines et quand vraiment il n’y a plus rien à sauver, un promoteur débarque, achète à bas prix, rase tout et monte une tour. "

C’est vrai qu’elles sont nombreuses ces maisons aux balustrades art-déco et aux arcades ottomanes, visiblement désertées depuis longtemps. Devant l’une d’elle, un marchand d’huile m’explique que ses propriétaires sont partis à l’étranger à la fin des années 1970, quand la guerre faisait rage ici. Ils ont tout laissé. Les meubles et même ce qu’il y avait dans le frigo. La maison a été pillée, il ne resterait même plus de tuyauteries mais, curieusement, les vandales n’ont pas pris les beaux volets en bois. Leur peinture s’écaille, ils sont un peu de guingois, mais toujours là.

Le quartier est séparé entre partie basse et partie haute par un pont provisoire érigé pour désengorger les rues. C’était en 1979. Il a pris racine. On raconte qu’au plus grand carrefour du quartier, un policier a longtemps tenté de mettre un peu d’ordre au milieu de ce bazar et que, pour cela, il avait été envoyé en formation à Tokyo. Légende urbaine? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que ce quartier palpite et qu’il fait bon de s’y perdre.

J’y ai croisé un éditeur de livres qui voulait absolument m’en vendre quelques-uns, mais ils étaient tous en arabe, une coiffeuse qui m’a promis un brushing de star, des gamins qui tapaient dans le ballon, des hommes installés là, sur un bout de trottoir où ils semblent passer leurs journées, un antiquaire qui m’a servi un café le temps de vider son sac et de m’expliquer comment le Liban en est arrivé là. Ça a pris du temps. Il y avait à dire.

Et puis, Mohammed qui a perdu son emploi dans une entreprise de nettoyage quand sa patronne est partie pour l’Angleterre. Il prend tous les petits boulots qu’il trouve, mais c’est devenu vraiment difficile. Heureusement, l’oncle de sa femme Mariam envoie un peu d’argent tous les mois depuis la Suède. Ça finance au moins l’école de son gamin, Ali, presque 6 ans.

Avec Mariam, ils vivent de très peu, mais tant qu’il le pourra, il enverra son fils dans cette école du quartier qui ne demande pas une fortune, mais quand même. Ça pèse lourd dans le budget. Il dit qu’il veut émigrer, lui aussi, comme tous ceux qui le peuvent. Il a tenté plusieurs ambassades européennes, aucune ne lui a délivré de visa. Il va essayer le Canada. Son anglais n’est pas terrible, mais il se débrouille.
Mohammed est sans grandes illusions, mais c’est toujours mieux que rester à ne rien faire. Tourner dans son deux-pièces modeste et chichement meublé, c’est ça qui le rend fou. C’est sa prison. Ce sont ses mots.

Prochain article le vendredi 17 décembre

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