Pourquoi le pape François a-t-il décidé de débarquer sur Netflix le 25 décembre (avec la mini-série Stories of a Generation with Pope Francis), le jour où, l’on regarde probablement le moins la télévision ? Sans doute pour mener la bataille culturelle qui fait rage autour de cette date. Or pour expliquer cette bataille, il faut d’abord la comprendre.

Depuis de nombreuses années, les deux derniers papes et de nombreux prêtres, pas tous, ont exprimé à la fois, même de manière solennelle, leur malaise et leur confusion face à la réduction de Noël à un pur produit de consommation. Pourtant, Noël reste d’abord le " grand repas " pour beaucoup. Cette fête où l’on fait étalage de la consommation et du bien-être, qui ne sont peut-être plus aussi abondants qu’autrefois, mais qu’on ne peut ignorer en ce jour de fête " universelle ". Universelle ? Bien entendu, mais il existe aussi d’autres fêtes " universelles " dont on ne se souvient jamais, que l’on supprime tout simplement, et qui célèbrent d’autres événements qui se caractérisent par un esprit tout aussi universel, à l’instar de la fête de la naissance, de l’éveil et de la mort du Bouddha, par exemple.

Néanmoins, Noël reste à nos yeux " la seule fête au monde " qui célèbre la culture de la possession tout en excluant les démunis. Les membres les mieux informés de la hiérarchie ecclésiale sont conscients qu’une guerre, une bataille se livre actuellement autour de Noël. Sont-ils en passe de la perdre ? Ils n’entrent pas dans la bataille, probablement par sagesse, de peur de la perdre. Cependant, ils essaient de garder l’esprit de Noël dans cette grande fête d’exclusion à l’occasion de Noël.

En revanche, François semble avoir choisi de passer à l’attaque, de rallier à nouveau la culture du monde à l’esprit de Noël. Du moins, en ce qui le concerne, sans pour autant prétendre assimiler les autres, mais bien au contraire. Car c’est avec eux que cette culture vit et prend vie. Le jour de cette fête contestée, il présente donc, non en tant que protagoniste, mais plutôt en tant qu’un fil qui unit, différentes visions de ce qu’est l’amour. N’est-ce pas le moteur qui anime chacun de nous ? Tout dépend de ce qu’est la nature de cet amour. Il s’agit précisément du thème du premier épisode du programme, tandis que le second, un grand classique s’agissant de François, traite du rêve. La mise en scène astucieuse dirigée par le père Antonio Spadaro y est pour beaucoup. Elle lie l’histoire de personnes âgées à celles des jeunes afin de reconstituer ensemble la perception de l’amour et comment rêver.

Noël indique, comme c’est le cas pour toutes les religions qui prônent l’amour, qu’à la base du projet de Dieu il y a ce que nous pourrions appeler " la spiritualité communiste ", une invitation à l’humanité à se considérer comme une grande famille avec des frères tous différents, mais appelés à se connaître et à vivre ensemble. C’est un message de partage dans la diversité et c’est ce qu’il faut entendre par " la spiritualité communiste ". D’ailleurs, il n’est pas un hasard que le sacrement fondamental du christianisme s’appelle " communion ". Les histoires d’amour, comme les autres histoires de rêves que présente ce feuilleton, sont loin d’être à l’eau de rose. De même, elles ne sont pas seulement chrétiennes ou occidentales. Pourquoi ? Et quel rapport ont-elles avec la bataille pour Noël?

Depuis que la chrétienté a connu ce schisme entre l’Occident et les autres, à savoir les Orientaux et les Nords-Africains, en raison de la querelle sur la nature du Christ, le christianisme occidental victorieux a pourchassé les " hérétiques " au point de les éliminer. C’est le christianisme, celui en provenance d’Orient, qui avait atteint la Chine à cette époque. Ses grandes villes ont été depuis rayées des cartes. L’histoire occidentale du christianisme, qui avait connu son apogée en Europe, est devenue occidentale au sens atlantique du terme et sa culture capitaliste-consumériste. Ainsi, Noël s’est transformé en un " symbole de dépossession ". La culture capitaliste et consumériste se propose aujourd’hui comme universelle, avec un certain succès, étant donné que le communisme chinois est également capitaliste, et que le Noël capitaliste et uniformisant constitue un symbole de conquête et d’homologation. C’est pour cette raison qu’il a été volé, confisqué à ses dépositaires originels, les bergers, les seuls auxquels l’avènement du Sauveur a été annoncé, afin de lui retirer son message spirituel de partage et le substituer avec celui de l’uniformisation et l’accumulation. Celui où la religion de l’amour doit devenir " l’amour de soi et de son cercle réduit ", et par conséquent, un amour sélectif qui exclut l’autre.

Voici donc le premier épisode que le pape présente et accompagne sur Netflix. Il nous présente une toute autre civilisation globale, composée d’êtres humains différents, de cultures variées, qui créent ensemble l’histoire de l’humanité. Il ne s’agit pas d’hommes de pouvoir, mais plutôt de belles âmes, ou de gens simples, tous unis par l’idée de partage. L’un des plus grands réalisateurs contemporains (Martin Scorsese) présente ainsi son chef-d’œuvre, en se consacrant aux soins de son épouse malade. Une femme modeste présente un drame survenu quelques décennies auparavant, la découverte de l’arrestation de sa fille, libre-penseuse, aussitôt exécutée, suivie, peu après, par l’enlèvement du nouveau-né de cette dernière par les mêmes bourreaux. Elle le découvre et dénonce le pouvoir, elle hurle, non seulement pour elle, mais pour beaucoup de ses compatriotes qui ont subi cette même violence, et modifie le cours de l’Histoire, par amour.

Un grand ethnologue change au contraire la science par amour des gorilles et ose expliquer aux grands scientifiques que les ces animaux sont dotés d’émotions, contrairement à toutes les pseudo-preuves scientifiques. C’est ensuite au tour de deux personnes âgées, qui découvrent en vieillissant que la vie est encore belle et décident de la vivre en dansant le tango ensemble. Puis, contrairement à toute attente, vient l’histoire d’un pêcheur qui part en mer et devient pêcheur de réfugiés, lesquels lui glissent entre les mains parce qu’ils sont imbibés de kérosène. Il n’a pas d’enfants et c’est un amoureux de la mer. Mais depuis ce jour, il ne peut plus aller en mer. Cependant, des jeunes l’appellent " père ". Cette catastrophe a changé sa vie pour toujours, tout comme il a changé la leur en les sauvant. Il est désormais le père d’enfants étrangers, mais dans la mer, sa mer, il ne peut plus aller à la pêche.

C’est cette histoire qui a bouleversé cette génération, et non pas celle des chefs d’État. L’amour est le moteur qui nous fait avancer. Tout dépend de la compréhension que nous avons de cet amour. Pour ceux qui croient en Jésus, c’est bel et bien le message de Noël. C’est l’amour qui fait avancer l’histoire des hommes, différemment. Ces histoires se croisent, tandis que les personnes âgées racontent aux jeunes réalisateurs comment l’histoire s’est déroulée, notre histoire, la vraie. Et l’histoire continue.

Dans le deuxième épisode, le rêve prend le dessus. Le rêve sans lequel il est impossible d’aimer. L’histoire se poursuit. La bataille n’est pas perdue, bien au contraire ! François, lors de l’homélie de Noël a parlé de " l’Église en marche ". Qu’est-ce que cela signifie ? Voici la réponse. Et pour cette réponse, ouverte à tous les hommes de bonne volonté, qui font l’histoire en aimant, comme nous, il met son pontificat en jeu sans prétendre en être le protagoniste. Antonio Spadaro et Netflix ont fait un travail formidable. Seul un média de cette envergure pouvait réussir ce tour de force d’introduire ce message au sein de chaque foyer, croyant ou non croyant, et nonobstant la civilisation à laquelle il appartient, et lui rappeler que l’amour nous unit. Le vrai moteur de l’histoire de l’Humanité.

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