" Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter " – Georges Santayana

Machiavel insistait, dans son magnum opus Le Prince, sur l’étude méticuleuse des actes des anciens grands dirigeants afin de reconnaitre leurs exploits et vertus ainsi que d’éviter leurs erreurs. L’Histoire est la collection et l’arrangement systématique des données concernant le passé, mais c’est surtout une science humaine. Elle s’intéresse au contenu des actions humaines qui ont eu lieu précédemment. Cette discipline semble être objective à la surface, mais son étude présente beaucoup de problèmes épistémologiques et méthodologiques.

Nous remarquons que l’objet d’étude de toute science historique est toujours le passé et non pas le futur ; il est alors fallacieux et erroné de faire des prédictions confiantes, dans les sciences humaines, en se basant sur des faits du passé. Qu’est-ce qui peut nous confirmer que le futur ressemblera au passé ? C’est le rôle des sciences naturelles d’étudier et comprendre le monde qui nous entoure par le biais d’expériences répétables dans un laboratoire en isolant des variables. Cette méthodologie n’est pas applicable dans les sciences humaines et ne le sera jamais, peu importe ce qu’on vous raconte à l’université.

Les sciences naturelles – la physique, la chimie, la biologie – s’intéressent au passé, elles aussi. Toute expérience dans ces sciences sont des expériences passées – il n’y a pas d’expériences futures. Pourtant, ces sciences diffèrent radicalement des sciences humaines. Les hommes ne sont pas des objets inertes, mais des êtres en chair et en os, capables de raisonner et d’argumenter, et pourvus de valeurs qui changent en permanence : le changement est la seule constante dans le domaine des sciences humaines.

Toute action humaine est unique, et, de ce fait, non répétable. En étudiant l’Histoire, nous ne pouvons pas isoler des variables ou des constantes dans un laboratoire pour vérifier nos hypothèses. La méthodologie des sciences naturelles n’est pas parfaite, elle, non plus, mais se raffine avec le temps. Les mythologies d’aujourd’hui étaient jadis vues comme étant scientifiques. Cependant, nul ne peut nier les avantages et apports pratiques des sciences naturelles en suivant la méthode scientifique et empirique.

Pourtant, cette même méthode, appliquée aux sciences humaines et à l’économie, est le début de tous les totalitarismes et de " l’ingénierie sociale " : elle voit les hommes non pas comme étant des fins en soi, mais des moyens, des machines qui peuvent être configurées à notre aise. Elle cherche à les assujettir aux planifications centrales d’une élite de bureaucrates " illuminés " et dotés d’une vision divine qui leur permet, selon eux, de savoir comment l’allocation des ressources serait à son optimum grâce aux informations fournies par des équations différentielles et des modèles mathématiques complexes et détachés de la réalité, comme si le monde était aussi simple que ça.

Certes, l’étude de l’Histoire rend un homme sage et judicieux. Mais omniscient ? Surtout pas. Il est impossible, pour l’historien, de rassembler tous les faits qui auraient pu causer un certain évènement. Comment l’historien peut-il savoir, en écrivant l’Histoire, si un fait vaut la peine d’être mentionné ? Le détail le plus infime peut avoir des conséquences gargantuesques. L’historien doit alors sélectionner les faits qui lui semblent importants. Or ce choix implique nécessairement un jugement de valeur, et comme toute valeur est subjective, l’écriture de l’Histoire l’est aussi. Elle ne peut être écrite qu’à travers un point de vue spécifique, et pour rendre les choses encore plus compliquées, chaque évènement peut être interprété d’une infinité de manières différentes – voire contradictoires ! Après tout, les croisades ne sont pas vues de la même façon par les Arabes et par les Européens. Le même Mao Zedong est un héros pour les communistes et un monstre pour les personnes ayant un minimum de bon sens. La guerre civile libanaise n’est pas vue de la même façon par un barbare du Hezbollah et par un fanatique maronite.

Plus encore, l’Histoire ne peut percevoir les relations de causalité qui ne peuvent pas être connues a posteriori par l’expérience, mais a priori par le raisonnement déductif. En français : l’Histoire peut vous dire qu’un fait a eu lieu, mais elle ne pourra pas vous dire ce qui a vraiment causé ce même fait. Pour illustrer, nous savons qu’au XIXᵉ siècle, les régulations économiques étaient rares et que le niveau de vie était plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui. Au XXIᵉ siècle, les régulations économiques sont beaucoup plus fréquentes et le niveau de vie est relativement plus élevé qu’avant. Comment l’historien peut-il savoir si cette hausse du niveau de vie a eu lieu malgré cette accumulation de régulations ou bien à cause d’elles ?

L’historien doit à ce stade abandonner les documents et annales poussiéreux et avoir recours à sa raison : il doit se référer à la théorie pour interpréter la pratique. C’est facile de cueillir des données historiques qui justifient beaucoup de propositions contradictoires qui ne seront jamais réglées. C’est un jeu d’enfant de trouver un article " académique " avec un jargon impénétrable, des graphes, des courbes, et des lettres grecques obscures pour supporter notre point de vue. La seule théorie valable est celle qui reconnait l’axiome irréfutable selon lequel l’Homme est un être limité par son corps et son temps, et qui poursuit ses fins subjectives en employant des moyens qui existent en quantités limitées. Bizarrement, parmi les différentes écoles de pensée économique, seule l’école autrichienne admet cette vérité.