La sotériologie dans l’architecture maronite sacrée.

Les façades des églises romanes, puis gothiques en Occident présentent des scènes bibliques forts animées destinées à catéchiser le spectateur. L’Église maronite en a fait de même, mais à sa manière. Ce ne sont pas les images de l’enfer et du paradis qui intéressent cette tradition. C’est l’eucharistie comme incarnation du Verbe dans la chair, puis son sacrifice salvateur qui sont au centre de la représentation. Les différents éléments de la façade retracent ainsi le cycle christique.

L’austérité ascétique

La simplicité constitue le caractère principal de l’architecture et de l’art chez les syriaques en général et chez les maronites en particulier. Le concept d’austérité et de dépouillement se retrouve partout comme principe de base et constitue, selon Charles Malik, "la splendeur du rite maronite". Il n’y pas de place pour le faste impérial grec, ni pour la virtuosité et les embellissements, car chaque élément du décor se doit d’avoir un sens et un message. L’ensemble doit se lire comme une icône dans ce que l’évêque Simon Atallah appelle "la nature et le climat des liturgies syriaques".

Dans cette atmosphère ascétique, seul le message sotériologique s’autorise un espace décoratif dans lequel il s’exprime à travers l’art du symbole et de l’épigraphe syriaque. Pour l’église, la façade de l’entrée se permet un décor concentré sur l’axe vertical d’une pyramide fictive qui la structure. Ledit raffinement, ou l’enrichissement, se fait alors plus ou moins timide ou avoué. Il peut aussi se réduire à une simple symétrie localisée sur une partie de la façade dans l’axe de la porte.

La façade acquiert une valeur iconographique dans le sens chrétien de l’icône. Car cette dernière, comme le dit si bien Philippe Sers, n’est "pas illustrative mais représentative". Elle n’est pas destinée à la délectation, mais à la lecture. Nous pouvons dès lors considérer la façade maronite à composition pyramidale comme une sorte d’iconostase où va se lire le cycle christique, ainsi que la théologie du Salut.

Le genre de composition observée dans la majorité des églises maronites de type médiéval (un type qui perdurera jusqu’au XIXe siècle) est assez simple. Et pourtant, cela n’empêche pas qu’il révèle des constantes remettant en évidence des canons artistiques liés à une tradition architecturale.

Notre-Dame-des-Semences (Zrou‘) à Kphiphén

L’église Notre-Dame-des-Semences (Zrou‘), à Kphiphén, nous offre un des exemples les plus aboutis de compositions pyramidales typiques de l’art des épigraphes syriaques du Liban. À la base, le portail reçoit les fidèles venus rencontrer le Christ dans sa chair et dans son sang. Son rôle d’accueil vers la célébration eucharistique est celui défini par le patriarche Estéphanos Douayhi et par l’inscription de la porte de Mor Awtel de Kfar-Sghob, citant tous deux Isaïe: "Tes portes seront toujours ouvertes; ni le jour, ni la nuit, elles ne seront fermées" (Is, 60, 11).

Inscription de la porte de Mor Awtel à Kfar Sghob.

L’hostie et le calice

Au-dessus de ce portail, l’épigraphe déploie son écriture syriaque pure, ne voulant exprimer que le Verbe dans sa condition vétérotestamentaire, sans nom et sans visage, donc sans la moindre ornementation. Mais le Mélto (Verbe) s’incarne aussitôt. Voici qu’au-dessus de l’épigraphe, le Mélto offre son sang dans un calice pour tous ceux venus célébrer ce mystère. L’hostie du Qourbono figure encore plus haut. Elle est lumière divine et fait son entrée dans le sanctuaire, à travers le cercle de l’oculus-hostie.

L’eucharistie est centrale. Elle est le but de la messe; elle est la messe. Ce n’est pas un hasard si, en syriaque, les deux termes Qourobo (célébration de la messe) et Qourbono (eucharistie) se rejoignent dans une source commune. Mais, plus que cela, chez les maronites, la messe en soi se dit simplement Qourbono, ne se distinguant plus de l’eucharistie. Ainsi, la représentation de cette dernière en façade devient celle de la messe entière. Et à Notre-Dame-des-Semences, les deux éléments du repas divin (Oukharistia) s’opposent aux serpents, fruits du Mal, qui ternirent l’image d’Adam et de sa descendance.

La croix

Dans cet élan de rédemption, apparaît le slivo (la croix) du Sauveur, qui vient restituer la divinité de l’Homme. L’instrument mortel de la zqipouto (crucifixion) s’illumine alors pour devenir ilono de piré de hayé (l’arbre du fruit de la vie). Les rayons lumineux en son centre sont ceux de la Résurrection dont il devient désormais le symbole. Le Fils, incarnation du Verbe, a révélé son pouvoir sur le monde.

Les deux astres

Shémsho w Sahro (le soleil et la lune) sont là pour en témoigner. Ces deux astres sont, selon saint Éphrem, les images des natures humaine et divine du Sauveur. C’est donc là que, de christique, le cycle devient christologique. Le soleil témoigne du Mélto (Verbe), et la lune du Pagro (corps), voire même du Bésro (chair).

La composition pyramidale

Ces éléments de la façade finissent par s’organiser en forme de pyramide, dessinant la voie de l’ascension qui signifie le retour du Fils incarné vers le Mélto (le Verbe). Il s’agit donc du cycle christique avec l’incarnation du Verbe dans la chair et le sang du Christ qui sera crucifié pour le salut du Monde. Par sa résurrection et sa victoire sur la mort, il remonte vers le Verbe.

Tout au long du cycle christique, c’est l’histoire du Salut qui raconte la restitution de l’image d’Adam à travers le sacrifice de l’Homme-Dieu par les moyens de l’eucharistie et de la crucifixion. Par sa façade à composition pyramidale, jouant le rôle d’image sainte, l’Église nous invite à l’expérience de la rédemption dans le présent absolu, celui de la contemporanéité du Christ comme vécue dans l’image chrétienne.

L’Église syriaque maronite a développé un art propre, conforme à sa liturgie, à sa théologie et à son identité particulière. L’épigraphie tend à le démontrer à travers ses composantes historiques, littéraires, linguistiques, liturgiques et artistiques. Cela se réalise par des données concrètes, incarnées par les épigraphes syriaques du Liban et par les représentations abstraites et figuratives qui les accompagnent.

L’écriture syriaque

En comparant les épigraphes inscrites en lettres arabes à celles en lettres syriaques, nous avons constaté l’introduction de la virtuosité dans la forme comme dans le fond. La calligraphie arabe s’ornemente et le texte se complexifie. Il y a donc absence du Verbe impliquant la perdition du cycle christique. Par l’austérité et la pureté qu’elle s’impose, l’écriture syriaque demeure transparente pour pouvoir représenter le Verbe. Langue et écriture syriaques apparaissent ainsi comme porteuses de la spiritualité, de l’identité et du rapport au sacré. Loin d’être un simple instrument de communication, le syriaque incarne et transmet les aspirations les plus profondes des maronites et leur relation à l’Absolu. Il engendre, dans leurs arts, l’expression de leur rapport au Créateur.

Les diverses composantes de la façade de l’église participent à l’écriture d’un message. Les serpents du Mal opposés aux fruits eucharistiques de la vie, la croix de la crucifixion et de la résurrection, les deux astres, l’écriture syriaque incarnant le Verbe, le portail invitant à l’eucharistie, tous participent à la représentation christologique. La façade de l’église maronite raconte le concept salvateur de l’Homme Adam. La sotériologie fonde ainsi l’assise de la conception architecturale chez les maronites.