Les matières chimiques conservées dans des dépôts à la centrale de Zouk représentent un danger, au vu des conditions dans lesquelles elles sont stockées. Toutefois, "elles ne représentent pas de risques imminents d’explosion", selon un expert.

Encore une affaire de produits chimiques explosifs qui fait planer une grave menace sur la population, mais cette fois-ci à Zouk Mikaël, dans le périmètre de la centrale d’électricité. Dans un rapport présenté mercredi au Conseil des ministres, dont Ici Beyrouth a pu se procurer une copie, le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui met en garde contre la dangerosité de matières chimiques périmées stockées dans la centrale. À la suite de ce rapport, le Conseil des ministres a chargé mercredi soir l’armée d’assurer la sécurité des lieux, d’examiner les matières stockées, de prendre les mesures nécessaires pour limiter tout dégât et d’œuvrer à les transporter et à les neutraliser.

Revenant sur les faits, M. Maoulaoui a rappelé dans le rapport que lors d’une inspection de la centrale de Zouk entre le 8 août et le 22 octobre 2020, sur décision du parquet général près la Cour de cassation, les services de renseignement des Forces de sécurité intérieure ont trouvé "des dépôts de matières chimiques dangereuses (…), parmi celles-ci des produits périmés et mal stockés". Ils se trouvaient dans un mauvais état et ne répondaient pas aux conditions de stockage. Les services de renseignement avaient également constaté "l’absence d’extincteurs, des fuites dans les réservoirs de fuel, ainsi que des brèches dans la clôture technique". Selon le document, les matières chimiques ont été traitées pour limiter leurs risques. De nouveaux dépôts avaient également été mis en place et les matières chimiques avaient été séparées. De son côté, Électricité du Liban avait livré d’autres produits périmés à des entreprises privées pour les recycler, comme elle avait chargé plusieurs sociétés d’effectuer une maintenance de la centrale. Au terme de la mission des services de renseignement des FSI, fin octobre 2020, "les matières chimiques se trouvaient dans un lieu sécurisé". Les experts avaient alors proposé à la direction d’EDL d’assurer un dépôt dans une zone lointaine afin de détruire les produits chimiques, en coordination avec le ministère de l’Environnement.

 

Toujours d’après le document présenté par M. Maoulaoui, les services de renseignement des FSI ont été chargés le 14 mars 2022 de mener une seconde inspection de la centrale de Zouk. Les résultats sont alarmants. Ils ont constaté "une absence de gardiennage, après le retrait de l’armée qui assurait la surveillance à l’entrée de la centrale". Mais aussi "l’absence de mesures de protection nécessaires à l’usine et au dépôt d’hydrogène qui est considéré comme le plus dangereux en raison des brèches dans la clôture technique et des portes ouvertes des dépôts, sachant qu’en cas d’incendie, l’hydrogène peut exploser". Les agents des services de renseignement des FSI ont aussi constaté que les brèches dans la clôture extérieure n’ont pas été colmatées. Cela est d’autant plus grave que "du côté sud de la clôture, un grand trou permet aux pêcheurs de s’introduire dans l’enceinte de la centrale, ce qui constitue un risque pour la sécurité et la sûreté de l’usine". "Les matières chimiques périmées – du phosphate de sodium – sont toujours stockées dans la centrale dans l’attente que l’accord avec la compagnie Tecmo soit finalisé en vue de les exporter pour les détruire", peut-on lire dans le document. Elles constituent toujours un danger, en l’absence de gardiens. (…) Au cas où ces matières sont visées par un acte de sabotage ou un acte terroriste, elles peuvent entraîner une grande explosion dans une zone urbaine vitale, sachant que de gros réservoirs de Liquigaz sont situés à proximité de la centrale."

Risques de toxicité 
Ces matières sont certes dangereuses, au vu des conditions dans lesquelles elles sont stockées, toutefois, "elles ne représentent pas de risques imminents d’explosion", assure à Ici Beyrouth Naji Kodeih, spécialiste en toxicologie chimique et expert international en environnement et en matières dangereuses. Il estime que "les risques réels liés à la conservation de ces substances périmées ne sont pas tant explosifs que corrosifs et toxiques".

L’expert explique que l’acide chloridrique, le phosphate de sodium et l’hydroxyde de sodium sont des substances communément utilisées dans l’industrie. "L’acide chlorhydrique n’est pas considéré comme dangereux, sauf en cas de concentration élevée ou s’il est périmé, précise-t-il. Le phosphate de sodium sert à nettoyer les équipements métalliques (brûleurs, moteurs…) pollués par les graisses et les hydrocarbures. En ce qui concerne l’hydroxyde de sodium, il permet de diminuer l’acidité de diverses solutions liquides."
Et M. Kodeih d’insister: "Indépendamment de leur toxicité, ces matières doivent être considérées comme dangereuses si elles sont périmées. De plus, si elles sont mal stockées, elles peuvent représenter un risque sérieux pour les personnes en contact, comme les employés de la centrale (brûlures, intoxication respiratoire…) et pour l’environnement. La centrale de Zouk donne sur la mer. Un déversement des matières entraînerait une forte pollution des eaux et un grave impact sur la vie marine."

Il rappelle que le Liban est doté de règles qui préconisent "une conservation étanche et sécurisée" des matières chimiques et "une utilisation contrôlée de ces substances pour que les employés n’encourent pas de risques d’inhalation, de brûlures, etc.", une bonne gestion de ces matières et des déchets toxiques qu’elles peuvent générer conformément aux normes internationales et à la convention de Bâle que le Liban a ratifiée. Celle-ci encadre la gestion des déchets toxiques.

Et M. Kodeih de conclure: "Tout ce qui est chimique n’est pas forcément explosif. Toutefois, une mauvaise conservation prolongée pourrait entraîner un incendie qui, lui-même, pourrait provoquer une explosion, mais ce ne sera jamais comme la catastrophe du port de Beyrouth."

EDL répond
Dans son rapport, M. Maoulaoui a proposé de charger provisoirement "l’un des services de sécurité d’assurer la surveillance de la centrale, le temps que la direction d’EDL achève les travaux de maintenance et assurer un nombre suffisant de gardiens". Il a également recommandé de charger le ministère de l’Énergie et EDL de démanteler l’ancienne usine ou de la vider des matières dangereuses, de prendre les mesures nécessaires pour réparer la clôture et de poursuivre les travaux de maintenance.

La réponse d’Électricité du Liban n’a pas tardé. Soulignant qu’elle n’a pas été informé de ce rapport, l’office a précisé dans un communiqué qu’il avait déjà eu l’approbation du commandement de l’armée pour construire un dépôt afin de stocker l’acide chloridrique. "Celui-ci répondait aux normes techniques", ajoute EDL. En ce qui concerne les matières chimiques, l’office précise que le rapport préparé par les services de renseignement des FSI à la fin de leur mission et celui du Centre libanais de l’énergie atomique soulignent que ces matières étaient stockées de manière sûre. Elle a expliqué avoir conclu le 30 mars 2021 un accord avec la société allemande Combilift spécialisée dans le transport des matières chimiques périmées. "Depuis, Combilift tente en vain d’obtenir les approbations nécessaires des administrations et ministères concernés", poursuit le communiqué.

EDL note en outre que la station de production d’hydrogène était neuve et répond aux normes internationales de sécurité. En ce qui concerne la réhabilitation de la clôture, "elle essaie d’assurer les dollars frais nécessaires" pour les travaux. EDL conclut en notant qu’elle manquait d’effectifs, de nombreux employés de l’office et de la centrale de Zouk ayant atteint l’âge de la retraite.