Ce matin, les Libanais contemplent un champ de ruines: leur pays. Un pays en bonne voie de disparition, qui se disloque lentement, à l’image des silos du port qui s’effondrent petit à peu, comme pour mieux remuer le couteau dans la plaie.

Le Liban commémore donc aujourd’hui l’explosion du port de Beyrouth. Il y a deux ans, une terrible tragédie plongeait une (partie) d’une population, déjà exsangue, encore plus profondément dans un abîme de souffrances sans fond.

Il faut dire que depuis la  " révolution  " d’octobre 2019, les Libanais n’ont pas connu un seul moment de répit et n’ont pratiquement pas cessé d’essuyer leurs larmes. Pas un jour ne passe sans que leurs dirigeants inspirés ne leur assènent un nouveau lot de malheurs.

Mais il est dit que dans un pays où le symbole national est le Cèdre, l’espoir ne meurt jamais.

L’éclaircie enfin

Ainsi une éclaircie a enfin pointé à l’horizon: les hommes politiques se seraient-ils enfin réveillés de leur coma collectif? Que nenni! L’éclaircie est venue du basket-ball.

Il est des signes qui ne trompent point. Le hasard du calendrier de la Coupe d’Asie de basket a bien fait les choses dans la mesure où la compétition, à quelques jours près, a coïncidé avec la triste commémoration du port de Beyrouth. Du coup, l’équipe nationale libanaise n’a pas manqué cette occasion pour saisir la balle au bond et rendre un glorieux hommage aux 234 victimes du 4 août 2020.

Venus en Indonésie avec pour modeste objectif de se qualifier pour les quarts, les Libanais ont bien failli décrocher la lune de Djakarta face à l’Australie. Le Liban, petit poucet méditerranéen de six millions d’habitants, a fait trembler jusqu’au bout l’Australie, un  " grand  " du basket international (3e au classement mondial). A titre de rappel, l’Australie, un continent à elle seule, a ramené l’été dernier la médaille de bronze des JO de Tokyo.

Contre les  " Boomers  " (surnom des joueurs australiens) en finale, il a manqué au Liban quelques secondes en fin de match pour remporter une victoire historique. Mais qu’importe, l’essentiel était ailleurs. En l’espace de quelques jours, cette poignée de garçons a rassemblé tous les Libanais, remplaçant les larmes par les rires et redonnant l’espoir d’un lendemain meilleur. Ils étaient partout, ces Libanais de tous âges, certains vêtus du maillot de leur équipe nationale, dans les rues et les cafés de la capitale ou des banlieues. Même les propriétaires de générateurs, pourtant guère enclins à l’empathie, ont fait un effort pour fournir plus de  " jus  " pendant les heures de retransmission des rencontres.

Est-il vraiment besoin de rappeler que ces héros ont été sélectionnés uniquement pour leur compétence? Loin, très loin de toute appartenance religieuse, clanique ou autre quota confessionnel imbécile propre à ce pauvre pays.

Arakji, Haïdar, Saoud, Darwiche, Khayat, Gyokchyan, Arledge et consorts ont tout simplement brillé. Cette poignée de garçons déterminés a réussi à faire oublier sa misère à toute une population.  Ils ont réussi à redonner le sourire à tous les Libanais en dépit des efforts incessants de leurs dirigeants pour les accabler avec une constance qui force l’admiration.

Ce n’est pas rien, et tous ceux qui ont vu cela, qui l’ont vécu pourront le raconter dans dix, vingt ou trente ans.

C’est là que réside le vrai, le seul visage du Liban. Parce que cette poignée de garçons déterminés représente infiniment plus le Liban que les salafistes et autres takfiristes fous à lier de ce pays. Parce que cette poignée de garçons déterminés représente infiniment plus le Liban que les mercenaires d’un parti totalitaire qui souffle la guerre et la paix selon l’humeur d’un ancien empire nostalgique de ses gloires passées. Parce que cette poignée de garçons déterminés représente infiniment plus le Liban que cette meute d’incapables forcenés: incapables de former un gouvernement, incapables d’élire un président, incapables de délimiter une frontière maritime, incapables d’assurer du pain, de l’électricité, de l’eau, des médicaments, incapables de pondre une loi pour protéger les épargnants, incapables de retenir la jeunesse et l’élite du pays, incapables impériaux.

S’il est écrit à ce pauvre pays de connaître un jour la paix, il le devra assurément à ces héros du sport, ou encore de la culture, qui se positionnent exactement aux antipodes de cette kyrielle de dirigeants irresponsables, assassins de la démocratie.