La démographie est souvent présentée comme un certain gage de réussite sportive par les médias. Pourtant, d’autres critères comme le PIB, le cadre juridique et réglementaire, la couverture médiatique et la recherche scientifique semblent beaucoup plus importants.

Le nombre de fois où des médias sportifs présentent un match sous l’angle de David contre Goliath, en se basant sur des écarts de taille de population entre deux pays se rencontrant, est très fréquent. Aussi bien au Liban qu’en France, et dans tous les pays, les médias partent du principe qu’avoir une grande population est forcément un gage de performance sportive. En réalité, cette affirmation semble discutable, tant d’autres critères, tels que le cadre juridique et réglementaire, le PIB, la couverture médiatique et la recherche scientifique, pèsent bien plus lourd dans la balance pour déterminer le succès sportif des nations.

Dans un entretien avec Ici Beyrouth, le fondateur du World Ranking of Countries in Elite Sport (https://www.worldsportranking.info/), Nadim Nassif, explique: "Les études de corrélation entre mon classement de performance sportive des nations et la démographie ont prouvé que cette dernière n’était pas un indicateur de réussite sportive. En effet, d’après des calculs de corrélation que j’ai fait sur 6 ans entre le classement WRCES et le classement de la population, la corrélation a toujours été inférieure à 0,4. Par conséquent, la taille de la population n’a pas, ou très peu d’effet sur la performance. Si l’on prend les 20 pays les plus peuplés du monde, 12 d’entre eux n’ont jamais été dans les 20 meilleurs en termes de performance sportive dans le WRCES. Par exemple, l’Inde est le 2e pays le plus peuplé et n’a jamais été classé dans les 20 premiers du WRCES. L’Indonésie est le 4e pays le plus peuplé et n’a jamais été classé dans les 50 premiers au classement. Le Pakistan, 5e nation la plus peuplée, peine à finir dans les 90 premiers du classement. Le Nigeria, 6e pays le plus peuplé, peine à terminer dans les 70 premiers. Le Bangladesh, 8e pays le plus peuplé, est en dehors des 100 premiers."

Interrogé par Ici Beyrouth sur le fait que les trois premières nations du classement WRCES, à savoir les USA, la France et la Grande-Bretagne, sont des nations à démographies importantes, Nassif explique: "Si les trois pays en tête du classement WRCES sont certes des pays fortement peuplés, ce n’est toutefois pas leur démographie, mais d’autres facteurs, tels que leur PIB et leur niveau de recherche scientifique, qui expliquent davantage leurs bonnes performances sportives. La corrélation avec le PIB est supérieure à 0,7, et avec la recherche scientifique, elle tourne autour de 0,8. Il est donc beaucoup plus important d’avoir de l’argent et du savoir-faire qu’une forte démographie."

Cette erreur concernant l’importance accrue accordée à la démographie est la conséquence d’un manque d’études scientifiques sur le sujet. Nassif explique que "selon un vieil adage, si un pays a une plus grande population, il aura plus de médailles. Il n’y a pas encore eu un travail scientifique approfondi sur la question de la corrélation entre la démographie et la performance sportive des nations. On ne fait que reprendre des statistiques préfabriquées par les médias sans creuser le fond de la question. Et l’absence d’un classement sportif et holistique n’a pas aidé à établir de bonnes corrélations entre démographie et résultats sportifs. Avec le WRCES, nous avons pu établir des corrélations adéquates entre le PIB, la recherche scientifique ou la démographie d’un côté, et les performances sportives des nations de l’autre."

Le cas du Liban

La faible démographie du Liban (près de 5,5 millions d’habitants) ne serait donc pas un handicap structurel pour faire du pays du Cèdre une grande nation sportive. À noter qu’un pays moins peuplé que le Liban a déjà remporté la Coupe du monde de football. Il s’agit de l’Uruguay, qui compte 3,5 millions d’habitants, en 1930 et 1950. La Croatie, finaliste de cette compétition en 2018, compte, elle aussi, seulement 4,3 millions d’habitants.

Outre un PIB et un niveau de recherche scientifique loin des meilleures nations du monde, d’autres facteurs peuvent expliquer la faible ou moyenne performance d’une nation sportive comme le Liban.

Le facteur juridique et règlementaire est très important. Au Liban, les clubs sportifs ne peuvent pas se constituer en entreprises, mais uniquement en associations. Cette contrainte empêche les clubs de différents sports de drainer de plus gros investissements et d’effectuer des planifications budgétaires sur du long terme, avec notamment l’interdiction, inhérente au statut associatif, de réaliser des profits annuels.

Le Liban se trouve également dans une zone géographique qui ne favorise pas la libre circulation des sportifs, qui pourrait être favorable au développement de sports collectifs populaires tels que le basket, le football ou le volley. En comparant l’impact de l’arrêt Bosman de 1995 sur les performances des nations sportives européennes en Coupe du monde de football, avec 5 coupes du monde sur 7 gagnées depuis, les pays arabes auraient tout intérêt à inciter à développer des synergies et des échanges de savoir-faire sportifs, via la libre circulation de joueurs, pour contribuer au développement de leurs sportifs.

Un autre facteur important est la couverture médiatique, déficiente au Liban pour tous les sports, à l’exception du football et du basket. La médiatisation, ne serait-ce que numérique (qui nécessite un coût économique moindre que la diffusion télévisuelle), est absente de la quasi-totalité des sports, alors qu’elle est indispensable pour développer le sport. La couverture médiatique permet, en effet, d’attirer les sponsors, et donc de financer l’écosystème d’un sport. Le Liban regorge d’athlètes talentueux qui n’arrivent pas à franchir des caps de performances internationales du fait de son incapacité à financer les différents besoins de leurs carrières. Un très bon exemple en est la tireuse internationale libanaise, Ray Bassil, dans le Top 20 mondial, qui a participé aux trois derniers JO d’été – dont le sport n’est quasiment jamais diffusé à la télé – et qui rencontre des difficultés à trouver suffisamment de sponsors.

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