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À huit semaines du coup d’envoi des jeux Paralympiques, Aude Moulin-Delalande, responsable des sports au sein d’APF France handicap a accordé un entretien exclusif à Ici Beyrouth. Une rencontre édifiante avec une personnalité passionnée et engagée pour les jeux Paralympiques.

Mme Moulin-Delalande, pouvez-vous nous présenter lassociation APF France handicap et son rôle lors des jeux Paralympiques?

APF France handicap est une association de personnes en situation de handicap réunissant celles-ci, leurs familles et des personnes valides. Elle a fêté ses 90 ans l’année dernière. C’est en 1933 que quatre jeunes atteints de poliomyélite, confrontés à une société dans laquelle rien n’était prévu, ni adapté pour eux, ont décidé de fonder l’association.

Révoltés par cette exclusion et désirant rompre l’isolement des personnes, ils ont conçu leurs propres solutions et services, incitant les personnes handicapées à faire de même.

Aujourd’hui, nous poursuivons leurs combats. La défense des droits des personnes handicapées et de leurs familles, la lutte contre les discriminations et les préjugés dont elles sont victimes, leur accompagnement au quotidien dans tous les domaines de la vie (accessibilité, éducation, emploi, santé…) partout en France, sont l’ADN d’APF France handicap.

D’ailleurs, "Risquer l’impossible" est la devise d’André Trannoy, l’un des fondateurs de l’association. Cette devise peut tout à fait être transposée au sport. Notre association milite pour l’accès aux activités sportives pour toute personne en situation de handicap. En effet, c’est un véritable vecteur de bien-être et de cohésion sociale. C’est pour cette raison que nous sommes fortement impliqués dans les jeux de Paris 2024: ils représentent une véritable opportunité de faire évoluer le regard sur le handicap et d’avancer vers plus d’inclusion. Pour cela, nous proposons des solutions concrètes allant dans ce sens. Par exemple, nous avons mobilisé 200 travailleurs en situation de handicap via notre réseau d’entreprises adaptées pour le service de navettes PMR proposé par Île-de-France Mobilités. Ils conduiront les spectateurs en situation de handicap entre les gares parisiennes et tous les sites olympiques et paralympiques. Nous avons également 150 volontaires en situation de handicap qui participeront au bon déroulement des jeux et une dizaine d’adhérents de l’association figurent parmi les relayeurs qui porteront la flamme. Enfin, APF France handicap soutient 4 para-athlètes qui incarnent le rêve olympique! (Hélios Latchoumanaya, numéro 1 mondial et numéro 1 français de para-judo, Alexandra Saint-Pierre, numéro 2 mondiale, numéro 1 européenne et numéro 1 française de para-tennis de table, Dimitri Jozwicki, 4e sur 100 m aux jeux de Tokyo, vice-champion d’Europe et Sandrine Martinet, porte-drapeau à Tokyo en 2021, médaillée d’argent en para-judo aux jeux Paralympiques de Tokyo, championne du monde en 2022, championne paralympique en 2016). Comme vous pouvez le constater, nous sommes pleinement investis pour promouvoir les jeux Paralympiques auprès d’un public le plus large possible, pas uniquement celui en situation de handicap.  J’ajouterai que tous ces sports pourront être appréciés à des prix raisonnables: près de la moitié des billets pour le grand public seront à 25 euros ou moins. Finalement, les vrais jeux populaires, ce sont les jeux Paralympiques. Comme le disent les para-athlètes, il ne leur manque que des stades pleins pour vivre des jeux exceptionnels!

À quelques semaines du coup denvoi des jeux Paralympiques, est-ce que vous estimez que Paris est prêt pour ces jeux en matière daccessibilité?

À quelques semaines des jeux (les personnes en situation de handicap ont également l’intention d’assister aux jeux Olympiques), nous pouvons déjà tirer un premier bilan de l’accessibilité et deux points positifs sont à mettre en avant: la méthode employée pour faire progresser l’accessibilité et la palette de services proposés pour faciliter les déplacements des personnes en situation de handicap. Nous tenons à saluer cette méthode de consultation plus systématique des acteurs concernés: c’est le cas du groupe d’expert d’usage mis en place par la DIJOP (Délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques) entre autres dans lequel nous intervenons régulièrement pour faire progresser l’accessibilité. Par exemple, des adhérents de l’association en situation de handicap ont testé le cheminement à réaliser pour arriver sur le lieu de compétition en utilisant différents moyens de transport. Cela a permis d’anticiper les aléas et de prévoir des solutions.  Autre exemple positif, concernant les équipements neufs comme l’Adidas Arena et le centre aquatique de Seine-Saint-Denis, certaines mesures ont dépassé la réglementation (fontaines à eau accessibles aux personnes à mobilité réduite dans le stade ou zones d’aisance canine pour les chiens guides d’aveugle dans le centre aquatique). Par ailleurs, un certain nombre de services ont été mis en place pour faciliter la venue et le séjour des personnes en situation de handicap à l’occasion des jeux (navettes adaptées, taxis accessibles, places de stationnement disponibles, zone de dépose proche, accueils dans les aéroports et dans les gares, etc.)

Avez-vous 2 ou 3 exemples de ce qui va ou ne va pas?

Si je ne devais en retenir qu’un, il s’agirait du métro. En effet, il reste le gros point noir en matière d’accessibilité. Seulement 3% des stations du métro parisien sont accessibles aux utilisateurs de fauteuil roulant, soit les 9 stations de la ligne 14 sur 309 stations au total. Seules les nouvelles stations sont accessibles (prolongement lignes 4, 11, 12 et 14), les anciennes ne le sont pas. Il est donc impossible d’effectuer un trajet sans rupture sur la ligne entière. C’est pour cette raison que nous souhaitons obtenir d’Île-de-France Mobilités, la promesse de tenir systématiquement compte du paramètre de l’accessibilité lors des travaux de rénovation des stations du métro. Je tiens à préciser que Paris 2024 n’est pas responsable de l’inapplication de 3 lois en l’espace de 49 ans. Il ne fait qu’hériter de l’inertie des pouvoirs publics nationaux et locaux depuis des décennies.

Quel est votre principal combat à loccasion de ces jeux?

Je ne parlerai pas de combat, les jeux sont avant tout un événement festif et fédérateur. Ils sont une chance pour accroître la visibilité des personnes handicapées. Ce changement de regard est d’ailleurs mis en avant par 86% des Français que nous avons interrogés dans le cadre d’un sondage avec l’Ifop. Ils estiment que les jeux Paralympiques vont permettre de remettre en cause les stéréotypes associés aux personnes en situation de handicap. Notre combat, notamment celui de l’accessibilité, se poursuivra une fois les jeux terminés. Nous en mesurerons l’héritage. En effet, quel que soit le bilan, après les jeux, le chantier de l’accessibilité doit continuer.

Avez-vous quelque chose à ajouter pour les lecteurs d’Ici Beyrouth?

Et si vous veniez? Durant 11 jours, ce sont 4.400 athlètes paralympiques, 22 sports paralympiques, 184 délégations paralympiques, 20 sites de compétitions paralympiques qui contribueront à ces premiers jeux Paralympiques d’été. L’affiche est belle, la promesse de vibrer aussi. On vous attend!