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Saint-Moritz constitue incontestablement une étape importante pour le sport libanais, dans la mesure où c’est dans la petite commune Suisse que l’aventure olympique des athlètes venus du pays du Cèdre a commencé en 1948.

C’était à Saint-Moritz, à l’occasion des Jeux d’hiver 1948. C’est là, en effet, où la première délégation libanaise comprenant deux athlètes, Ibrahim Geagea et Mounir Itani, s’est envolée au mois de janvier de la même année, avec les rêves olympiques les plus fous.

Mais avant d’en arriver là, la renaissance sportive au Liban remonte à 1920. À partir de cette date, des clubs de football, d’athlétisme, de natation, de ski, de lutte, de boxe, d’haltérophilie ou autres ont successivement vu le jour. Ces sports ont été pratiqués pendant une certaine période sans autorités responsables, et ce n’est qu’en 1933 que les fédérations ont commencé à être formées. Quoique ne possédant pas de comité olympique, le Liban a envoyé une délégation d’officiels, dirigée par Pierre Gemayel, aux Jeux de la XIe Olympiade à Berlin, en 1936. C’est justement à l’occasion de ces Jeux que cheikh Pierre a été impressionné par la discipline teutonne et s’en est inspiré pour son futur parti. Mais cela est une autre histoire.

Boycott des Jeux de Melbourne

Ce n’est que onze ans après, en 1947, sur les conseils et directives d’Angelo Bolanaki, membre du Comité olympique grec, qu’a été fondé le Comité olympique libanais (COL), dont le premier président fut Gabriel Gemayel. À partir de cette date, le COL s’est efforcé d’assurer la représentation de son pays à chaque olympiade d’été à l’exception des Jeux de Melbourne en 1956 où, nassérisme oblige, le Liban est l’une des trois nations (avec l’Irak et l’Égypte) à avoir boycotté l’événement en signe de protestation contre la crise du canal de Suez. Pas besoin de préciser que cet élan panarabe ridicule n’a servi absolument à rien, sinon à briser le rêve olympique des athlètes libanais de l’époque.

Premières médailles

Si à ce jour aucun sportif libanais ne détient de titre olympique, deux lutteurs, Zakaria Chéhab, médaille d’argent, et Khalil Taha, médaille de bronze, se sont illustrés en 1952 (lutte gréco-romaine), et un haltérophile, Mohammad Traboulsi, a remporté la médaille d’argent en 1972. La dernière breloque olympique nationale remonte aux Jeux de Moscou (1980), où Hassan Béchara décrochait le bronze – décidément, c’est une spécialité – en lutte gréco-romaine.

Par contre, aux JO d’hiver, le Liban, depuis sa première apparition en 1948, n’a pas réussi à glaner la moindre médaille. Rien d’étonnant pour un petit pays où les sports de glisse sont réservés à une classe plutôt aisée. En outre, la qualité de la neige n’est pas toujours au rendez-vous et le professionnalisme n’existe point. Du coup, il n’y a jamais eu foule parmi les athlètes libanais à tel point qu’aux Jeux de 1952, 1972 et 1976, la délégation libanaise était réduite à sa plus simple expression: un seul participant. Du coup, il n’est guère étonnant que les performances aient été pour le moins modestes.

La première athlète féminine aux jeux d’hiver était Farida Rahmé aux JO d’Innsbruck en 1976 (slalom géant). C’est d’ailleurs cette même Farida Rahmé qui signait la meilleure performance libanaise de tous les temps, aux Jeux d’hiver à Lake Placid en 1980, en se hissant à la 19e place au classement général au slalom.

L’exceptionnelle Chirine Njeim

À noter aussi, la performance de Chirine Njeim, qui a représenté le Liban à trois JO (2002, 2006 et 2010), porté à deux reprises le drapeau national aux cérémonies d’ouverture (2002 et 2010), avant de se consacrer avec succès… à l’athlétisme. Ainsi, la jeune Libanaise originaire de Maasser el-Chouf a réussi la gageure de participer aux Jeux olympiques de Rio en 2016, dans l’épreuve du marathon, devenant la première athlète au monde à concourir en ski alpin et en athlétisme. La tireuse Ray Bassil va représenter le Liban pour la 4e fois consécutive aux Jeux de Paris, ce qui est un exploit en soi.

Situation ubuesque

Mais il est des natures qu’on peut difficilement contrecarrer. Aussi, à l’approche de chaque édition de Jeux olympiques, été comme hiver, il est de bon aloi de se trouver dans une situation ubuesque au niveau de la représentation libanaise.

Ainsi, le Liban s’était purement et simplement absenté des Jeux de 1994. La cause: un bon petit schisme, spécialité maison qui avait abouti à diviser la Fédération de ski en deux. Du coup, le Liban s’était retrouvé avec deux fédérations rivales! Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, le Liban a réédité son numéro de haute voltige en manquant les Jeux de 1998 pour la même raison. Ubuesque.

Un autre exemple tout aussi ridicule, mais édifiant: en février 2014, le monde entier se préparait à assister tranquillement aux Jeux olympiques d’hiver de Sotchi. Mais c’était compter sans le génie créatif de l’univers sportif libanais. Reflétant son inépuisable imagination destructrice, le sport libanais en général, et le ski en particulier, ont été au centre d’une polémique relayée par les réseaux sociaux. Polémique pour le moins contre-productive, dans la mesure où Jackie Chamoun se préparait à défendre les couleurs libanaises dans le slalom des Jeux de Sotchi. La jeune championne s’était retrouvée au début des Jeux d’hiver confrontée à un pseudo-scandale provoqué par la diffusion d’une vidéo et de photos la montrant en petite tenue lors d’une séance photo. Portée par un incroyable élan de solidarité populaire, Jackie Chamoun avait fait fi de cette polémique, mais n’a pu récolter les résultats espérés. Sans rire, le ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque, Fayçal Karamé avait même jugé bon de commander une enquête. Chapeau, les artistes !

Dernière ligne droite avant Paris

Soixante-dix-huit ans plus tard, le Liban se rend donc à Paris avec une délégation forte de 9 athlètes, avec pour objectif de mettre un terme à une disette de 44 années. " Ce n’est pas impossible de décrocher une médaille ", confiait il y a quelques jours à Ici Beyrouth, le président du COL, Pierre Jalkh. Les chances libanaises pourraient venir du côté de Ray Bassil, qui à 35 ans va participer à ses quatrièmes Jeux olympiques, ou encore du mystérieux Caramnob Sagaipov. D’autres comme Laetitia Aoun peuvent au meilleur de leur forme créer la surprise et aller plus loin dans la compétition. C’est en tout cas tout le mal que l’on souhaite à nos ambassadeurs.

Au-delà des médailles et des records, les Jeux olympiques ont une signification particulière pour le Liban. Ils sont une occasion de transcender les divisions et de célébrer l’unité nationale… Enfin, presque.

Loin d’être une armée, au contraire des États-Unis qui enverront 592 athlètes à Paris ou encore la France avec ses 571 représentants, la délégation libanaise ne comprendra que neuf sportifs et une vingtaine d’entraîneurs, ainsi qu’une pléiade d’officiels, histoire de ne pas changer les bonnes habitudes.

Souvenir ému des Jeux de Pékin en 2008, où les dirigeants étaient (beaucoup) plus nombreux que nos athlètes… Toujours à Pékin mais à l’occasion des Jeux d’hiver 2022 cette fois-ci, la délégation libanaise était dirigée par le président de la Fédération libanaise de… judo! Ça ne s’invente pas.

En outre, il est tout à fait normal à l’approche de toutes sortes de jeux, de s’entre déchirer immanquablement sur le choix du porte-drapeau libanais. Sans parler de la rocambolesque et surtout triste affaire de l’athlète Nour Hadid, pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir.

Pour un peu, on regretterait l’époque où le Liban avait un seul représentant. Comme cela, des choix cruciaux pour la nation auraient été évités.

Il est des atavismes qui forcent le respect par leur constance.