Le rapprochement entre le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, et le Hezbollah, qui a été consacré par une rencontre jeudi à Clemenceau entre le leader druze et deux hauts responsables de la formation chiite, a été l’évènement politique marquant de la semaine. Il a suscité de nombreuses questions, relatives notamment à la teneur des discussions et l’impact de ce repositionnement sur les prochaines échéances, à commencer par l’élection présidentielle.

Alors que le Parti des Forces libanaises, principal allié du PSP lors des dernières législatives, ne semble pas particulièrement inquiet de ce nouveau développement, la visite rendue vendredi par le chef du Rassemblement démocratique Teymour Joumblatt au patriarche maronite Bechara Raï à Dimane, et sa déclaration à l’issue du déjeuner, ont dû rassurer ceux qui craignaient une volte-face politique du Parti socialiste progressiste.

Walid Joumblatt estime qu’un règlement régional et international est en train d’être finalisé et il ne voudrait pas que le Liban soit pris au dépourvu. "Si ce règlement a lieu, le Liban sera prêt, et dans le cas opposé, la tension aura été réduite entre les protagonistes libanais ", soulignent des sources proches du PSP.

La réunion de Clemenceau a porté sur des dossiers bien précis, notamment l’importance de maintenir le contact et la coordination, sans pour autant s’entendre sur un mécanisme de suivi bien défini. La discussion entre M. Joumblatt et ses visiteurs, l’assistant politique du secrétaire général du Hezbollah, Hussein Khalil, et le responsable du comité de coordination du parti, Wafic Safa, a été très franche. Ils ont précisé qu’ils allaient transmettre les questions posées par le chef du PSP au secrétaire général du Hezbollah, cheikh Hassan Nasrallah, et revenir avec des réponses.

L’un des sujets les plus importants a été celui de la prochaine élection présidentielle. Dans ce cadre, précise une source proche du PSP, Walid Joumblatt a mis l’accent sur le fait que la présidence actuelle a eu des répercussions particulièrement négatives sur le Liban, soulignant que le pays ne pouvait pas supporter un nouveau président " de défi " ou du 8 Mars. Les responsables du Hezbollah ont indiqué, pour leur part, être " ouverts à la discussion ", et opposés à une vacance présidentielle.

Pour ce qui est des récentes menaces du secrétaire général du Hezbollah, cheikh Hassan Nasrallah, contre Israël, et de l’envoi de drones vers le champ de Karish, le chef du PSP a souligné que les ressources pétrolières du Liban constituent " une opportunité pour ce pays ", qu’il ne faut pas risquer de perdre en raison d’une guerre, qui d’ailleurs détruirait ce qui reste Liban. À cela, les responsables du Hezbollah ont répondu que leur formation ne cherche pas la guerre, ajoutant que si Israël empêche le Liban de mettre à profit ses ressources gazières ou pétrolières, " toutes les options sont ouvertes ".

Concernant le dossier des négociations avec le Fonds monétaire international, Walid Joumblatt a voulu savoir si le Hezbollah avait des réticences, mais il est apparu qu’il n’en avait pas, " à condition de ne pas signer aveuglément " l’accord, précisent les sources du PSP. Quant à l’électricité, le leader druze a critiqué la gestion du Courant patriotique libre de ce dossier, alors que ses interlocuteurs ont précisé qu’ils sont en faveur de tout plan qui augmente l’approvisionnement du courant.

Pour ce qui est de l’impact de la reprise du dialogue avec le Hezbollah sur la relation avec le parti des Forces libanaises, des sources proches du PSP soulignent que ce parti n’a aucun problème avec la formation dirigée par Samir Geagea. Répondant aux accusations d’affaiblir " la nouvelle majorité " issue des élections législatives, en se démarquant des positions du camp " souverainiste ", les sources précitées soulignent que lors des consultations visant à désigner un Premier ministre, les députés du Rassemblement démocratique avaient nommé le candidat de l’opposition, Nawaf Salam, mais les députés FL s’étaient abstenus de le faire.

Sur ce point, des sources proches des FL indiquent que le PSP avait décidé de ne pas désigner Nawaf Salam, avait informé le bloc de " la République forte " de cela, et avait changé d’avis à la dernière minute.

Les FL pas inquiets

Du côté des Forces libanaises, justement, comment perçoit-on la reprise du dialogue entre Walid Joumblatt et le Hezbollah ?

Pas trop mal pour le moment. Si les FL auraient préféré que " le camp souverainiste reste soudé dans un même front, uni par une même lecture et menant une même confrontation ", comme le soulignent des sources proches de ce parti, elles constatent que les déclarations faites à l’issue de la réunion de Clémenceau sont plutôt rassurantes.

" Walid Joumblatt a voulu savoir si le Hezbollah accepterait d’élire un président hors du camp du 8 Mars, ce qui veut dire que lui-même est opposé à la candidature de Sleiman Frangié et de Gebran Bassil, et c’est déjà un bon début ", affirment les sources proches des FL.

" Il a également exprimé son opposition à toute guerre qui pourrait être déclenchée par le Hezbollah, et c’est également une très bonne chose ", ajoutent les sources.

Le chef du PSP n’a jamais totalement interrompu le dialogue avec le parti de Hassan Nasrallah, et a toujours alterné les périodes de rapprochement et d’éloignement, d’après les sources précitées, qui considèrent que le leader druze ne pouvait pas dialoguer avec le Hezbollah juste avant et durant les élections, mais que rien ne l’empêche de le faire à présent.

Les sources proches des FL estiment que Walid Joumblatt " ne veut pas être contre le Hezbollah, mais cela ne veut pas dire qu’il va se jeter dans les bras de cette formation non plus ", soulignant que ce positionnement lui permet de jouer un rôle dans les échéances à venir. La plus pressante étant la présidentielle, ces sources croient savoir que le maitre de Moukhtara souhaite " un président centriste qui ne dérange pas le Hezbollah et serait accepté par la France ".

En résumé, ces sources soulignent que " chaque parti politique a ses choix et ses tactiques et stratégies ", ajoutant : " les FL et Walid Joumblatt différent au niveau de la tactique politique, puisque lui rencontre le Hezbollah et les Forces libanaises s’abstiennent de le faire, mais également au niveau du plafond de la position politique, celui des FL étant clair et stable ".

Toutefois, ajoutent les sources, les deux formations sont " d’accord sur la définition du problème, et sur le fait qu’il résulte de la présence des armes illégales, mais aussi sur l’objectif : un État qui a le monopole des armes ".

L’important reste le résultat. Si le rapprochement Joumblatt-Hezbollah demeure dans le cadre de ce qui a été annoncé après la rencontre de Clemenceau, les FL ne considèrent pas qu’il y ait de raisons de s’inquiéter. Pour elles, " l’essentiel est de continuer à coordonner pour la présidentielle ".

Nouvelle étape

Le repositionnement de Walid Joumblatt signale une nouvelle étape, et marque le fait que l’ère de Michel Aoun est terminée, estiment des observateurs politiques. Le leader druze, qui a passé six mauvaises années sous le mandat Aoun, est un électeur important dans la présidentielle, ajoutent-ils.

Le chef du PSP est sorti vainqueur des législatives, ayant remporté la plus grande partie des sièges de sa communauté (6 sur 8), et évincé ses deux principaux rivaux druzes, Talal Arslan et Wiam Wahab, eux-mêmes alliés du président Aoun. Le Hezbollah est lui aussi un grand électeur dans la présidentielle

La région traverse de grands changements, qui la redessinent politiquement. Au dialogue entre les États-Unis et l’Iran, et entre l’Arabie saoudite et l’Iran, viennent s’ajouter la récente tournée du président américain John Biden au Moyen-Orient, le sommet Iran-Turquie-Russie, ainsi qu’un possible rapprochement entre la Turquie et la Syrie, que signalerait la rencontre entre les chefs de la diplomatie des deux pays.

" Le Liban a une chance de profiter de cela et d’élire un nouveau président qui puisse rassembler et apporter de la stabilité ", estiment ces observateurs. D’où le rapprochement PSP-Hezbollah, qui vise, aux yeux de Walid Joumblatt, à faire en sorte que le Liban ne paie pas une nouvelle fois le prix des changements dans la région. La rencontre de jeudi sera suivie d’autres réunions, qui permettront à chacun des deux partis d’obtenir des assurances de la part de l’autre, analysent les observateurs.

Pour ce qui est de l’identité du prochain président, ces observateurs estiment qu’il ne sera probablement pas issu des deux principaux partis chrétiens, les Forces libanaises et le Courant patriotique libre. Ils rappellent dans ce cadre que les deux formations se sont abstenues de désigner un candidat au poste de Premier ministre, ce qui fait que Najib Mikati n’a été désigné qu’avec 54 voix. Et même si une partie des députés du CPL a voté en faveur du président Nabih Berry, les FL ne lui ont pas donné leurs votes, et il n’a été élu qu’avec 65 petites voix alors qu’il a raflé avec son allié tous les sièges chiites lors des élections.

Ce comportement des FL et du CPL lors de l’élection du chef du Parlement et la désignation du Premier ministre, principaux postes chiite et sunnite, justifie que le président de la République soit lui aussi élu avec le minimum de voix requises. Le slogan du " président fort et représentatif " ne tiendrait plus, puisque ce critère n’a pas été respecté avec M. Berry, estiment ces observateurs.

Teymour chez Raï

C’est dans ce contexte que le chef du Rassemblement démocratique Teymour Joumblatt a rendu visite vendredi au patriarche maronite Bechara Raï à Dimane, en compagnie des députés Wael Abou Faour et Akram Chéhayeb. À l’issue du déjeuner à la table de Mgr. Rai, le député Joumblatt a déclaré : " Notre partenariat national et historique (avec le patriarcat maronite) est un partenariat stable qui a commencé avec la réconciliation de la montagne et, si Dieu le veut, se poursuivra dans l’avenir pour l’intérêt, l’indépendance et la souveraineté du Liban malgré toutes les pressions et positions politiques. "