Un pilier du camp du 14 Mars rappelle que lors de la troisième vacance présidentielle de 2014, le 8 Mars, plus précisément le Hezbollah, avait réclamé, à en croire certaines sources, la modification de l’accord de Taëf, l’amendement de la Constitution et la convocation d’une constituante pour changer le régime et refonder le pouvoir. Cependant, ces trois revendications n’étaient qu’un moyen de pression du parti chiite dans le but de propulser Michel Aoun à Baabda.

Dès lors, le Premier ministre Saad Hariri et Samir Geagea se sont mobilisés pour freiner cette tentative de sabotage de l’accord (le document d’entente nationale), en soutenant la candidature de Michel Aoun à travers l’accord de Meerab qui a mis fin à la vacance présidentielle et favorisé l’élection de Michel Aoun (candidat du 8 Mars) à la première magistrature et la nomination de Saad Hariri à la tête du gouvernement.

Cependant, M. Aoun n’a pas tardé à renier cette entente en se débarrassant de M. Hariri du Grand Sérail, et en rompant l’accord de Meerab. En effet, le président Aoun, qui a certes gouverné sous l’accord de Taëf, s’est en réalité plié à la politique, au projet et à l’agenda du Hezbollah. Ce faisant, les pays du Golfe se sont détournés du Liban qui s’est retrouvé dans le giron de l’axe iranien et du projet du parti chiite.

Cette personnalité susmentionnée ajoute que nous nous retrouvons en 2022 face à ce même scénario, s’agissant de l’échéance présidentielle. Le Courant patriotique libre  (CPL) ainsi que le Hezbollah ont tenté pour la deuxième fois de porter un coup à l’accord de Taëf en brandissant le mot d’ordre de changement de régime à la faveur d’une répartition tripartite entre les trois communautés, coupant ainsi court à tout retour potentiel de l’Arabie saoudite sur la scène politique libanaise par le biais de Taëf, après que ce pays a tourné le dos au Liban en raison de la politique libanaise servant l’agenda iranien.

À cet égard, le CPL et le Hezbollah ont tenté de profiter du rôle de la capitale française afin d’accélérer un changement de l’accord existant au profit d’un nouveau contrat social, à travers une conférence libanaise semblable à celle de la Celle-Saint-Cloud, sous le thème de la "recherche d’un consensus libanais sur la présidentielle", qui se tiendrait en France et serait parrainée évidemment par cette dernière.

Ce faisant, les Saoudiens se sont mobilisés en amont en attirant l’attention de Paris sur le danger comporté par la tenue d’une telle réunion qui, si elle venait à avoir lieu, ne ferait que mettre à exécution le plan du clan pro-iranien. Pour les Saoudiens, ce clan profite de l’ouverture française pour pousser vers une conférence qui amenderait l’accord de Taëf. Après quoi, la France a fait marche arrière, d’autant que Riyad l’a informée de sa volonté d’abandonner le Liban pour de bon si les Libanais renonçaient à Taëf.

De plus, l’Arabie saoudite a fait part de sa position à Washington, d’où la déclaration tripartite des ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de la France et de l’Arabie saoudite à New York qui ont souligné "la nécessité d’adhérer à l’accord de Taëf, qui est le garant de l’unité nationale et de la paix civile au Liban". S’en est suivi un forum organisé sous la houlette de l’Arabie saoudite au palais de l’Unesco à Beyrouth à l’occasion du 33ᵉ anniversaire de la signature de l’accord de Taëf, auquel ont participé des représentants des forces politiques, à l’exception du Hezbollah, avec la présence remarquée d’un représentant du chef du Parlement, Nabih Berry, et d’une délégation dépêchée par le chef du CPL, Gebran Bassil. Toutes les forces présentes ont affiché au terme de ce forum leur attachement à l’accord de Taëf.

Par ailleurs, des milieux proches des Forces libanaises (FL) soulignent que le bras de fer en cours au Liban se joue actuellement entre les Iraniens et les Saoudiens qui tentent, chacun de leur côté, d’asseoir leur influence. Dans ce cadre, le Hezbollah s’efforce, à la suite de la signature de l’accord sur la démarcation des frontières maritimes avec Israël – qui a vu le jour grâce à la médiation et aux garanties américaines –, de consolider sa présence politique et son hégémonie sur le pouvoir et sur les décisions libanaises dans le but de garder le Liban sous la coupe iranienne. L’Arabie saoudite tente de son côté d’extraire le Liban de cet axe et de le ramener dans le giron arabe ainsi qu’à une politique de neutralité et de distanciation. En outre, l’Arabie saoudite œuvre à relancer Taëf comme cadre de référence pour la politique de l’État libanais. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Royaume saoudien a précisé que le prochain président devra être "souverainiste et non soumis au Hezbollah".

Pour en revenir à l’élection présidentielle, force est de souligner que le camp du 8 Mars, qui ne possède pas la majorité parlementaire, s’accroche au vote blanc, en s’alignant sur le Hezbollah, alors que l’opposition, qui détient la majorité absolue, est dispersée, divisée et répartie entre des figures du 14 Mars, des indépendants et des députés dits du changement. Certaines de ses composantes continuent de voter pour Michel Moawad ou pour Issam Khalifé ou encore pour "un Liban libre". Par ailleurs, l’absence de la composante sunnite à la suite du retrait de l’ancien Premier ministre Saad Hariri de la scène politique complique la situation. Sans compter le clivage entre les forces chrétiennes, faute d’un accord entre les FL et le parti Kataëb.

Dès lors, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, profite de cet état de fait pour tenter de faire élire au plus tôt un président, parce que, comme il le dit, "personne ne veut d’une vacance présidentielle". Il ajoute à ce propos: "En tant que résistance, nous aspirons à un président de la République rassurant et courageux. En d’autres termes, un président qui ne se soumet pas, qui fait primer l’intérêt national sur ses craintes et, finalement, un président qui ne cède pas au chantage".

Hassan Nasrallah souligne également qu’il ne souhaite pas un président qui "couvre la résistance ou la protège, mais plutôt un président qui ne la poignarde pas dans le dos". "Les Américains affirment publiquement qu’ils soutiennent l’armée libanaise. Nous faisons également confiance à cette armée ainsi qu’à son commandement qui s’oppose à toute confrontation avec nous", ajoute-t-il.

Par ailleurs, des milieux de l’opposition admettent que la lutte entre eux et les forces du 8 Mars est désormais à son apogée, dans la mesure où le Hezbollah utilise le CPL comme carte de pression pour les affronter. D’ailleurs, Gebran Bassil reconnaît que le parti chiite a besoin de lui à ce stade crucial. Partant, le chef du CPL exerce des pressions sur le Hezb afin d’écarter Sleiman Frangié au profit de sa candidature.

Sur ce point, le député d’Amal, Ali Hassan Khalil, a annoncé que bien que Sleiman Frangié soit le candidat du tandem chiite, sa candidature devra néanmoins faire l’objet d’un consensus. Et de rappeler que jusqu’à présent, M. Frangié n’a pas réussi à obtenir les 65 voix dont il a besoin (selon les milieux aounistes), à un moment où l’opposition continue de se mobiliser pour assurer la majorité absolue (65 voix) à son candidat. De ce fait, les FL affirment que l’opposition pourrait imposer son candidat et briser la routine des séances électorales.

Sur base de ce qui précède, l’affrontement sera-t-il désormais entre Sleiman Frangié et le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun? Le chef des Marada abandonnera-t-il la bataille si les FL et le CPL persistent à ne pas le soutenir? La majorité donnera-t-elle ses voix au général Joseph Aoun, qui serait alors élu d’office? Enfin, quelles seront les positions de Nabih Berry et de Walid Joumblatt à l’aune de ces nouvelles donnes?