Contrairement aux attentes, le discours du président de la République Michel Aoun lundi soir n’a pas du tout comporté un changement d’attitude radical vis-à-vis du Hezbollah. Il n’a fait que lui reprocher la paralysie du gouvernement, la détérioration injustifiée des relations avec les pays arabes et l’ingérence dans des affaires régionales où le Liban n’est nullement concerné. Ces reproches n’ont pas été suivis d’une prise de position claire vis-à-vis de son allié devenu un fardeau. Il a juste fait suivre ses reproches par un appel à élaborer une stratégie de défense au sein d’un comité de dialogue national, en disant : “L’État fixe seul la stratégie de défense et veille à sa mise en œuvre …”, ce qui gêne le Hezbollah, et ce qui est une première depuis 2006. Toutefois, il a ajouté qu’avant cette étape il faudrait changer le système libanais.

Il convient toutefois de relever que le président Aoun avait refusé d’aborder la question de la stratégie de défense nationale tout au long des cinq années écoulées de son mandat, et il avait à plusieurs reprises justifié la présence des armes aux mains du Hezbollah tout en affirmant que l’armée libanaise n’était pas en mesure de défendre le pays. Le Hezbollah, pour sa part, avait refusé d’aborder la stratégie de défense au sein du comité de dialogue national lors du mandat du président Michel Sleiman, allant même jusqu’à faire avorter le dialogue lui-même.

Étrangement, au même moment où la stratégie de défense était à l’ordre du jour au sein du comité de dialogue national, deux missiles s’étaient abattus aux environs du palais de Baabda, revendiqués de manière très suspecte par " l’Armée syrienne libre "… Était-ce un message ?

L’appel à élaborer une stratégie de défense à dix mois de l’expiration du mandat présidentiel ne semble donc pas sérieux, surtout avec les élections législatives en perspective car le Courant patriotique libre, dont la popularité est en déclin, ne pourrait assurer un bon score sans son alliance avec le Hezbollah. Une stratégie de défense serait donc un pavé dans la mare.
Par ailleurs, l’appel à réunir un comité national de dialogue reste théorique tant que cet appel n’est pas lancé officiellement. De plus, le dialogue national avait abouti à un certain nombre de décisions, dont la Déclaration de Baabda il y a neuf ans, qui stipule la neutralité du Liban vis-à-vis des conflits régionaux, la non-ingérence en Syrie et l’appui à l’armée libanaise. Tout cela avait été rejeté par la suite par le Hezbollah aussi bien que par le CPL. Aucun nouveau dialogue ne pourrait avoir de valeur s’il n’est pas repris là où les travaux précédents avaient abouti et s’étaient arrêtés. Sinon, ce serait un déni des participants précédents et de leurs efforts, sachant que le contexte libanais intime n’a pas changé depuis l’arrêt du dialogue en 2014.

Enfin, l’appel au changement de régime et la remise en cause de la formule libanaise du vivre-ensemble sont très préoccupants, surtout qu’ils émanent d’un président de la République entouré d’experts en droit constitutionnel. L’un des principes fondamentaux dans l’exercice du pouvoir est qu’on ne légifère pas sous la pression des armes, car ce serait celui qui détient ces armes qui ferait prévaloir ses revendications. En d’autres termes, le changement de régime ou de système est inacceptable avec un groupe surarmé et surentraîné qui tient le peuple libanais en otage. Lorsque toutes les parties libanaises seront un jour égales, sans armes et organisations paramilitaires, elles auront le temps de vérifier si la Constitution libanaise assure ou non les intérêts suprêmes du pays, ou si le véritable problème se situe en fait au niveau des personnes en charge des postes-clefs au sein des institutions de l’État, cette seconde alternative étant la plus probable.