Au lendemain de l’intervention télévisée du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, dimanche, une campagne publicitaire un peu singulière attire l’attention. Alors que l’effondrement dans lequel le pays est plongé depuis plus d’un an ne fait que s’aggraver, que tous les signaux économiques, financiers et sociaux sont passés au rouge, des panneaux publicitaires affichant un portrait du président Michel Aoun à côté d’un slogan :  " Les batailles du sexennat : le retour des réfugiés  " ont été repérés dans quelques quartiers à Beyrouth. Un slogan qui laisse présumer que d’autres suivront, à cause du pluriel employé.
Est-ce la dernière bataille du CPL, en perte de vitesse aux plans populaire et politique avant les législatives de 2022 ? Cherche-t-il à travers elle à marquer un point dans l’espoir de détourner les regards de tous ses échecs, du dossier de l’électricité à celui des réformes promises ? Ou est-ce un moyen de préparer la visite que Gebran Bassil a dit vouloir effectuer en Syrie pour discuter du retour des réfugiés syriens installés depuis 2011 au Liban ? Ces questions ne peuvent qu’être posées. Car, l’enjeu des élections de mai 2022 est de taille. Cette échéance est charnière pour les Libanais dans le pays et à l’étranger. Dans leur majorité, ils sont déterminés à obtenir un changement du paysage politique local. Une opération de séduction serait ainsi déployée par les partis traditionnels pour convaincre l’électorat de la validité de leurs programmes. Tous les moyens possibles et imaginables seraient mis à contribution pour ramasser le plus grand nombre de voix, même par le biais de sujets controversés.
Dans son intervention télévisée, le chef du CPL avait fait part de sa volonté de se rendre en Syrie, avant la tenue des élections législatives libanaises pour discuter du retour des réfugiés syriens. Cette annonce avait choqué certains, mais n’avait pas surpris ses adversaires politiques.
Dans les rangs du CPL, on considère que cette question n’a rien d’électoral et qu’elle est fondamentale. Un retour des centaines de milliers de réfugiés syriens est jugé bénéfique pour l’économie libanaise et s’inscrit dans le cadre du processus de redressement que le Liban est amené à mettre en place. Député du CPL pour le Metn, Edgard Maalouf, précise à  Ici Beyrouth que ˮ le dossier des réfugiés syriens est d’ordre vital, puisque ces derniers constituent un fardeau économique et social immense pour l’Etat libanais ʺ. Et de poursuivre ˮ les réfugiés syriens constituent un gros problème sur le marché du travail libanais, puisqu’ils travaillent à des prix compétitifs, bénéficient d’aides et d’assistances humanitaires fournies par les Nations unies ". " Ils privent par conséquent les Libanais d’opportunités de travail. Il faut donc faire face à cette situation pour ne pas encourir le risque de les intégrer à part entière dans le pays, surtout que les Libanais émigrent pour pouvoir survivre et travailler ʺ, explique-t-il.

Vers une reconquête de la rue chrétienne

Mais cet avis n’est pas partagé par les détracteurs du parti fondé par le président Michel Aoun. La question des réfugiés syriens est certes ʺune priorité dans l’agenda national, commente Ziad Sayegh, expert en politique publique et dans les questions des réfugiés pour _Ici Beyrouth_, cependant, le CPL est mal placé pour traiter cette cause parce qu’il l’utilise à des fins personnelles, afin de renflouer sa base populaire, en jouant sur la fibre du confessionnalisme chrétien, par le biais de slogans patriotiques ˮ. Il explique que ʺle Hezbollah, principal allié de M. Bassil, avait provoqué le déplacement de ces syriens grâce au soutien qu’il a apporté au régime de Bachar el-Assad ", lorsqu’il avait envoyé ses combattants s’engager aux côtés des forces militaires syriennes dans les batailles contre les rebelles syriens. " C’est pourquoi, cette campagne est un moyen de manipulation et de propagande, destiné à semer les graines d’un jeu communautaire dangereux ʺ, avertit-il.
Quant à la visite du député de Batroun au président Assad, elle ne serait qu’un ʺ camouflage ˮ pour Ziad Sayegh. Selon lui, la vraie raison de cet entretien ʺ ne sera que le prolongement de l’axe de la moumanaa et de l’alliance des minorités ˮ.
A neuf mois de la fin d’un sexennat marqué par des querelles et des bras-de-fer politiques sans fin, tous motivés par des intérêts politiciens, et qui ont fini par plonger le Liban dans l’enfer d’une crise sans précédent, le discours du CPL ne convainc pas.  " La campagne du CPL porte sur un sujet épineux, celui des réfugiés syriens, parce que ce parti veut essayer tant bien que mal de récupérer des voix chrétiennes ˮ, explique un politologue sous le couvert de l’anonymat à Ici Beyrouth.
Ce politologue assimile une éventuelle visite de Gebran Bassil à Damas à ʺune quête d’alliance ˮ, puisque le CPL  " n’a que le Hezbollah pour allié et aurait besoin d’un soutien supplémentaire pour renforcer sa position sur l’échiquier politique libanais " . Une théorie confirmée par le député de Jbeil, Ziad Hawat (Forces libanaises) pour qui M. Bassil est " prêt à tout, notamment à s’allier avec la Syrie et à conclure des marchés au détriment des Libanais, tant que cela lui garantira le pouvoir et servira ses intérêts personnels, comme cela avait été le cas en 2006 avec l’accord de Mar Mikhaël conclu avec le Hezbollah ˮ.
M. Hawat relève que ʺla stratégie du CPL a toujours été d’inventer à la veille des échéances électorales, des slogans basés sur des batailles virtuelles construites elles-mêmes sur des chimères, afin de se donner le beau rôle, alors que la réalité est autre : il est directement impliqué avec le Hezbollah, pour entraîner le Liban dans l’axe iranien ˮ. Dans ce contexte, le député de Jbeil s’est indigné de l’appellation ʺmandat fort ˮ, par laquelle le parti de Gebran Bassil désigne le sexennat : ʺDe quel mandat fort parlent-ils ? Ils sont au pouvoir depuis 2016, occupent de hautes fonctions au sein des institutions étatiques, ont le Hezbollah de leur côté, et n’ont rien fait pour régler la question des réfugiés syriens, sous prétexte qu’on ne leur permettait pas de le faire ! C’est seulement maintenant, à l’approche des législatives, qu’ils veulent œuvrer pour le retour des réfugiés en Syrie ?ˮ
Selon Moustapha Allouche, ancien député et vice-président du courant du Futur, la stratégie électorale de Gebran Bassil est flagrante. ˮM. Bassil ressort la carte des réfugiés syriens pour des visées purement électorales, à travers des campagnes populistes et propagandistes ʺ, indique-t-il à _Ici Beyrouth_. Il est persuadé que des entretiens avec le président Assad n’aboutiront à aucun résultat, ˮ car les réfugiés ne rentreront chez eux que lorsqu’un deal à l’échelle internationale sera atteint, forçant la main au régime syrien d’accueillir ses nationaux ʺ.