La cour d’appel de Paris doit décider mercredi de la validité du mandat d’arrêt français visant Bachar el-Assad, accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour les attaques chimiques de 2013.

L’immunité de Bachar el-Assad peut-elle tomber face à la gravité des attaques chimiques commises contre le peuple syrien en 2013? La cour d’appel de Paris doit trancher mercredi en validant ou annulant le mandat d’arrêt français visant le président syrien, accusé de complicité de crimes contre l’humanité.

La chambre de l’instruction avait examiné le 15 mai la requête du parquet national antiterroriste (Pnat), qui demande l’annulation de ce mandat au nom de l’immunité personnelle dont jouissent les chefs d’État en exercice devant les juridictions étrangères.

Depuis 2021, les juges d’instruction du pôle "crimes contre l’humanité" du tribunal judiciaire de Paris enquêtent sur la chaîne de commandement responsable des attaques chimiques de la nuit du 4 au 5 août 2013 à Adra et Douma, près de Damas, blessant 450 personnes, et du 21 août 2013 qui avaient notamment fait plus de 1.000 morts dans la Ghouta orientale, selon les renseignements américains.

Leurs investigations ont abouti à la délivrance en novembre 2023 de quatre mandats d’arrêt pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité de crimes de guerre.

Ils visent Bachar el-Assad, son frère Maher, chef de facto de la Quatrième division, une unité d’élite de l’armée syrienne, ainsi que deux généraux, Ghassan Abbas et Bassam al-Hassan.

Selon plusieurs sources proches du dossier, il s’agit du premier mandat d’arrêt émis par une juridiction étrangère contre un chef d’État en exercice.

Les magistrats instructeurs ont développé un argumentaire encadrant "strictement" les conditions dans lesquelles une immunité personnelle d’un chef d’État peut être levée par un pays étranger, afin d’"ouvrir une porte supplémentaire dans la lutte contre les crimes contre l’humanité", a assuré à l’AFP une source proche du dossier.

Le Pnat, lui, avait assuré à l’AFP avant l’audience que "de manière unanime, il est estimé jusqu’à présent" que les exceptions à l’immunité des chefs d’État en exercice sont "réservées au seul bénéfice des juridictions internationales", telle la Cour pénale internationale (CPI).

"Sans remettre en cause l’existence d’éléments démontrant l’implication de Bachar el-Assad dans les attaques chimiques commises en août 2013", le Pnat souhaitait "voir cette question tranchée par une juridiction supérieure".

"Bouclier procédural"

"Reconnaître, comme l’affirme le Pnat, que Bachar el-Assad bénéficie d’une immunité reviendrait à le protéger de toute poursuite en France et consacrerait une situation d’impunité ", déplorent pour leur part Clémence Witt et Jeanne Sulzer, avocates de victimes franco-syriennes et du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM), Open Society Justice Initiative, Syrian Archive et Civil Rights Defenders, parties civiles.

Selon elles, "l’extraordinaire gravité des faits d’une part, en l’espèce la commission répétée d’attaques chimiques contre sa propre population, et d’autre part la solidité du dossier d’instruction, qui établit la participation présumée du chef de l’État, appelle une décision permettant enfin aux victimes françaises et syriennes d’accéder à la justice".

La Syrie n’est, en effet, pas membre de la CPI et Bachar el-Assad, qui a succédé à son père Hafez en 2000, pourrait rester président jusqu’à son décès.

"Une étape a été franchie s’agissant de l’immunité fonctionnelle. Nous espérons qu’une autre étape sera franchie mercredi", a réagi Me Clémence Bectarte, avocate de sept victimes.

Ces derniers mois, plusieurs décisions ont fait bouger les lignes concernant l’immunité fonctionnelle attachée aux agents d’un État étranger.

Trois hauts responsables du régime syrien, jugés par défaut en France pour complicité de crimes contre l’humanité et délit de guerre, ont été condamnés en mai à Paris à la réclusion criminelle à perpétuité.

La cour d’assises a estimé que "les crimes contre l’humanité (…) ne peuvent être couverts par cette immunité dès lors que leur répression tend à la protection de l’humanité dans ses valeurs fondamentales et universelles".

Le 5 juin, la cour d’appel de Paris a développé le même raisonnement pour l’ancien gouverneur de la banque centrale syrienne (2005-2016), Adib Mayaleh, jugeant que "la nature des infractions" qui lui sont reprochées "constitue une exception justifiant l’exclusion du bénéfice de l’immunité fonctionnelle".

Déclenché en 2011, le conflit en Syrie a fait plus d’un demi-million de morts.

Par Julia Pavesi, AFP