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Très exactement vingt ans et un mois après son adoption, la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies, revient sur le tapis. Et en force, au vu du déluge de fer et de feu qui s’abat sur le Liban, à cause d’une guerre déclenchée par une formation armée, le Hezbollah, en soutien au Hamas palestinien.

S’il est vrai que cette résolution a permis le retrait des troupes syriennes du Liban en 2005, sa mise en œuvre complète, notamment en ce qui concerne le désarmement de toutes les milices et l’exercice de l’autorité du gouvernement sur l’ensemble du territoire libanais, demeure inachevée. Une ombre sur la souveraineté et l’indépendance du pays.

La 1559, perçue par certains comme un soutien de la communauté internationale à l’État libanais, est dénoncée par le Hezbollah comme une "ingérence" dans les affaires internes du Liban. Mais en matière d’ingérence, l’enfant chéri du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) n’est-il pas mal placé?

Avec la montée en puissance du Hezbollah qui s’est imposé sur la scène politique libanaise et s’est arrogé le droit de décider de la guerre et de la paix, l’État libanais a progressivement lâché son rôle d’autorité légale au profit de la formation pro-iranienne armée.

La 1559, adoptée le 2 septembre 2004, était le fruit d’une dynamique transcommunautaire locale, soutenue par une autre, internationale, qui a culminé avec le sommet franco-américain de Normandie, entre les présidents français, Jacques Chirac, et américain, Georges Bush, alors que l’influence iranienne sur la région, et plus particulièrement sur le Liban, devenait, pour Paris et Washington, un objet de préoccupation commune.

L’initiative franco-américaine visait à rétablir la souveraineté du Liban, en appelant au retrait des forces étrangères et au désarmement des milices libanaises et non libanaises.

Dans les faits, cette résolution s’adressait principalement à une milice: le Hezbollah. Alors que la plupart des factions armées libanaises avaient déposé leurs armes à la suite de l’accord de Taëf de 1989, le Hezbollah, lui, n’a pas joué le jeu, prétextant qu’il représente une "résistance" et non une milice.

Il a de ce fait conservé, puis renforcé, ses capacités militaires. Cela lui a permis de s’imposer comme une force incontournable, à la fois sur le plan politique (n’est-il pas capable d’exercer une sorte de droit de véto sur certains dossiers, dont notamment la présidentielle?), qu’au niveau militaire​ (la formation pro-iranienne n’a-t-elle pas le monopole des armes, notamment au Liban-Sud?)

Le Hezbollah justifie donc le maintien de ses armes par la nécessité de défendre le Liban face à Israël, une rhétorique reprise par sa base. Si cette position lui a valu le soutien d’une faction de la population libanaise, notamment au sud du pays, n’expose-t-elle pas du même coup une partie du Liban et de ses citoyens au feu de l’armée israélienne? On l’a bien vu et vécu depuis le 8 octobre 2023, lorsqu’il a décidé d’ouvrir le front sud pour soutenir le Hamas dans sa guerre contre Israël.

En ce sens, la capacité militaire du Hezbollah (un des plus puissants groupes paramilitaires au monde) constitue un obstacle majeur à l’exercice de la souveraineté de l’État libanais.

Relance du débat sur le désarmement

La crise de mai 2008, au cours de laquelle le Hezbollah a fait usage de ses armes pour s’opposer aux décisions du gouvernement de Fouad Siniora, qui voulait démanteler son réseau de communication illégal et soustraire l’aéroport à son emprise, a marqué un tournant dans la perception de son potentiel militaire. Ce coup de force a rappelé à tous que le Hezbollah n’est pas, comme ses affidés le serinent à longueur de journée, une force de "résistance" contre Israël, mais surtout un acteur politique capable de peser lourdement (de tout le poids de son arsenal) sur l’équilibre interne du pays, surtout lorsque ses intérêts sont en jeu.

Cette démonstration de force qui s’est manifestée par son invasion de Beyrouth et les affrontements qui l’ont marquée, avait ravivé le débat sur la nécessité de son désarmement et de l’application de la 1559. Celle-ci est cependant restée lettre morte, les événements du 7 mai 2008 ayant renforcé la mainmise du Hezbollah sur le Liban, en rendant toute tentative de désarmement encore plus délicate, à cause des risques d’une guerre civile.

Pour Samy Gemayel, leader des Kataëb, la 1559 représente la seule voie possible vers un Liban libéré de la menace des milices et des influences étrangères. Selon lui, "tant que cette résolution ne sera pas appliquée, la vie des Libanais restera en suspens". Il soutient que le monopole des armes doit revenir exclusivement à l’armée libanaise (Max Weber l’eût soutenu aussi) et que "la résolution 1701, adoptée après la guerre de 2006 pour pacifier la frontière sud, n’aurait pas été nécessaire si la 1559 avait été mise en œuvre dans son intégralité​".

Le Hezbollah et ses alliés, à commencer par l’ancien président Michel Aoun, ont toujours vu dans cette résolution "un piège tendu par la communauté internationale". Aoun lui-même a reconnu qu’il était favorable au retrait des troupes syriennes, mais il a toujours refusé que la question du désarmement du Hezbollah soit abordée par des forces extérieures.

L’absence de progrès sur ce dossier est également liée à la complexité des relations régionales et à l’instrumentalisation du Liban par des puissances étrangères. La montée en puissance de l’Iran et son soutien indéfectible à son poulain favori compliquent davantage la situation. Ainsi, toute solution au problème des armes du Hezbollah semble devoir être envisagée dans un cadre global, incluant la question nucléaire iranienne et les tensions avec Israël.

Vers une internationalisation accrue?

La communauté internationale, bien qu’ayant perdu de son intérêt pour la mise en œuvre de la résolution 1559, après son adoption, continuait cependant de surveiller de près les développements au Liban.

L’implication croissante du Hezbollah dans les conflits régionaux, notamment en Syrie, en 2011, et plus récemment dans son affrontement avec Israël, soulève des inquiétudes quant à la stabilité future du pays.

Les efforts pour relancer le dialogue national sur la question des armes du Hezbollah, amorcés par l’ancien président Michel Sleiman et d’autres dirigeants, n’ont jamais réellement porté leurs fruits. Chaque tentative de dialogue est en effet bloquée par les intérêts divergents, pour ne pas dire les intérêts de l’Iran, qui motivent les troupes aux étendards vert et jaune.

La résolution 1559 reste un document clé pour l’avenir du Liban. Elle incarne les aspirations d’un grand nombre de Libanais qui veulent et militent pour un État souverain, libre de toute ingérence étrangère et capable de contrôler son territoire sans dépendre d’acteurs non étatiques armés.

Mais tant que les réalités géopolitiques ne changeront pas, et tant que le Hezbollah, aujourd’hui décapité et affaibli, restera un acteur imposant sa volonté sur la scène libanaise, il est peu probable que cette résolution soit mise en œuvre dans son intégralité.

La dernière fois que la communauté internationale a mentionné la résolution 1559, c’était par la voix du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, en 2019: "Je demande de nouveau au Hezbollah et à toutes les autres parties concernées de s’abstenir de toute activité militaire à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, conformément aux dispositions des accords de Taëf et de la résolution 1559". Depuis, nous sommes au point mort.

Mais depuis l’assassinat de Hassan Nasrallah et l’élimination de nombre de responsables haut placés de la milice pro-iranienne, sans oublier le point d’honneur qu’a posé le ministre des Affaires étrangères de l’État hébreu, Israel Katz, concernant le désarmement de cette milice, la résolution 1559 serait-elle à nouveau à l’ordre du jour?

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