Pour Anne Le Huerou, maître de conférences à l’Université de Nanterre et spécialiste de la Russie contemporaine, "le déploiement d’unités tchétchènes en Ukraine participe à la guerre psychologique en cours".

Très actifs aux côtés des forces fédérales russes à Donetsk depuis 2014, et en Syrie sous forme de "police militaire", les contingents tchétchènes servent de supplétifs à l’armée fédérale russe. Leur récente implication dans l’invasion de l’Ukraine pose question. Ici Beyrouth fait le point de la situation alors que Kiev reste sur le qui-vive.

Ces derniers jours, des vidéos sont devenues virales, notamment sur Telegram (messagerie cryptée russe), mettant en scène les pro-Kadyrov. Une vidéo montre un soldat accrochant un drapeau tchétchène à l’effigie de leur président, au-dessus d’un portail à l’entrée d’une zone ceinte par des barbelés. Cette vidéo vérifiée témoigne de la présence tchétchène en territoire ukrainien.

Les raisons qui ont amené les contingents tchétchènes à intervenir en Ukraine sont multiples. "On ne peut chiffrer de manière exacte leur présence. Je pense qu’ils sont moins nombreux que ce que Ramzan Kadyrov a annoncé, en parlant de 75.000 combattants mobilisables. La vidéo de propagande avec des milliers d’hommes est avant tout une opération de communication interne, destinée à redorer le blason de Kadyrov. Il a un message à envoyer: je suis là, je suis tout puissant, je peux tout faire chez moi et j’ai carte blanche", selon Anne Le Huerou, spécialiste de la Russie et maître de conférences à l’Université de Nanterre (Paris). Le leader de la République du Caucase a mobilisé ses troupes pour une grande mise en scène à Grozny, capitale de la Tchétchénie.

Ce même dispositif avait été observé en 2014 lors de la guerre à Donetsk. Les contingents tchétchènes ont aussi été actifs en Syrie. "Contrairement aux militaires russes de carrière, les Tchétchènes envoyés notamment à Kharkiv sont bien entraînés et formés aux combats de rue. Il existe aussi un bataillon présent au sud du pays", rappelle Anne Le Huerou.

Des tâches spécifiques

Si d’autres villes venaient à tomber, les Tchétchènes présents en Ukraine pourraient se charger de tâches spécifiques, telles que le combat urbain, les arrestations et les actions de terreur à l’encontre de la population, selon la spécialiste de la Russie. "Alors que des contingents russes sont parfois gênés de demander leurs passeports aux checkpoints, comme observé sur certaines vidéos, les Tchétchènes n’auront pas ce problème. Les Ukrainiens pourraient dès lors se sentir plus menacés que face à des soldats russes", analyse l’experte.

L’implication des milices tchétchènes peut-elle pour autant changer la donne dans l’invasion russe en cours? "En Ukraine, je ne pense pas que ces groupes auront un impact décisif sur la situation. Ce sont des unités qui sont rattachées à la Fédération de Russie, même si elles jouent un jeu en interne. Dans la situation de guerre actuelle, ce sont les forces fédérales qui ont la main", estime Anne Le Huerou.

Les bataillons tchétchènes bénéficient d’une image qui diffère de celle des unités russes présentes sur le terrain. Cette annonce intervient dans un contexte de démoralisation d’une partie des troupes russes, avec l’impréparation observée à certains endroits et les pertes annoncées qui sont conséquentes. "Même si des villes ukrainiennes venaient à tomber successivement aux mains des Russes, nous observons une capacité de résistance qui existe bel et bien. Les éventuelles pertes tchétchènes en Ukraine ne sont pas connues à l’heure actuelle ", rappelle la spécialiste.

Les contingents tchétchènes sont-ils à part ou mélangés à des unités russes sur le terrain ukrainien? La question reste pour l’heure en suspens.

Allégeance à la Russie

Suite aux deux guerres successives de Tchétchénie, Kadyrov s’est positionné comme le bras armé de Vladimir Poutine dans cette petite république du Caucase. Il est l’un des soutiens indéfectibles du maître du Kremlin. Par conséquent, le dirigeant peut se présenter comme un responsable étatique musulman et il est reçu régulièrement dans les pays du Golfe.

Si le conflit s’éternise, nous ne sommes pas à l’abri d’une plus grande mobilisation des contingents tchétchènes auprès de l’armée russe, estime Anne Le Huerou. "On peut néanmoins supposer que les responsables aux ministères russes de l’Intérieur et de la Défense n’aient pas les faveurs des Tchétchènes. La relation des commandements militaires entre les différentes forces n’est pas connue", ajoute-t-elle. Les unités tchétchènes restent cependant de facto rattachées aux forces fédérales russes, la Tchétchènie n’étant pas un État indépendant.

"Kadyrov peut envoyer ses hommes en Russie pour arrêter certaines personnes et compter sur la diaspora, mais sa capacité d’action reste limitée", conclut la spécialiste.

Si d’autres villes venaient à tomber, les Tchétchènes présents en Ukraine pourraient se charger de tâches spécifiques. (Photo Alexander NEMENOV / AFP)

 

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