Les pays ne peuvent vivre en autarcie, bien que certains aient été tentés de le faire dans l’histoire, mais n’ont pas survécu longtemps. Ils ont vite compris qu’ils ont besoin des autres pour prospérer. Et les autres, pour qu’ils aient envie de traiter avec eux, regardent en premier lieu leur réputation: est-ce qu’ils sont fiables, respectent leurs engagements, bénéficient d’un bon historique?

La réputation: voilà une dimension qui échappe souvent aux comptables, y compris aux ministres des Finances. On a des quantités d’exemples d’entreprises qui arborent des résultats superbes, mais qui périclitent tout d’un coup parce qu’un scandale éclate et emplit l’espace médiatique: pollution délibérée, emploi d’enfants au Bangladesh, agressions sexuelles camouflées, fraude à la fabrication…

Du micro au macro

Le même raisonnement est applicable à l’échelle nationale. Si les entreprises se mobilisent en cellules de crise pour sauver leur réputation, il n’en est pas toujours de même pour les pays. Leurs autorités se concentrent sur des chiffres: déficit/PIB, dépenses vs revenus… Et croient que leur problème est une affaire purement comptable.

Reste que la réputation est un concept abstrait et de ce fait difficile à assimiler, mais nous la définirons comme étant l’opinion générale, favorable ou défavorable, au sujet de quelqu’un ou d’une entité. Mais encore, comment mesurer quelque chose de si platonicien? Bien sûr, tout un chacun peut en avoir une idée en suivant les médias, même si l’image diffusée est parfois erronée ou biaisée. Économiquement, une bonne réputation se traduit par un accroissement du tourisme, de l’investissement, ou encore par le choix du pays concerné pour y travailler, étudier, ou passer sa retraite. Et une mauvaise réputation produit des effets contraires.

Les organismes de référence

Au niveau professionnel, c’est la spécialité de RepTrak, qui publie des rapports sur la réputation des entreprises et des lieux, basés sur la perception de l’environnement (hospitalité, propreté, climat, etc.), la gouvernance et l’économie nationale. Mais le Liban ne figure pas dans son listing. Un autre institut, Knoema, se propose aussi de mesurer la réputation. Là, le Liban occupe une position médiane dans certains paramètres. Mais il est confiné dans le dernier quart ou le dernier tiers dans d’autres paramètres, comme la paix, la corruption, le bonheur, la parité hommes-femmes, ou l’application de la loi. Ces paramètres se retrouvent également dans les listings d’autres organismes plus spécialisés qui relèguent aussi le Liban dans le dernier quart, en queue de peloton, dans une quantité d’indices: perception de la corruption, climat d’affaires, gouvernance, application de la loi, démocratie, liberté économique, fonctionnement du gouvernement… et protection de la propriété privée.

Justement, c’est ce dernier élément qui est le plus important selon Walter Block. Ici Beyrouth a posé la question (qu’est-ce qui fait la réputation d’un pays?) à ce professeur d’économie à l’Université Loyola de la Nouvelle Orléans, et auteur de plusieurs livres et articles académiques. ‘’Je ne vois rien de plus important pour promouvoir une bonne réputation que la protection de la propriété privée et une intervention gouvernementale minimale. Il y a évidemment des dizaines d’autres éléments: monnaie saine, libre-échange, réglementation économique très limitée sur les salaires, les loyers, les licences, etc. Mais ce ne sont que des implications logiques de la protection de la propriété privée et d’une intervention gouvernementale minimale.’’

Le péché originel

Au-delà de cet aspect général, une autre dimension s’impose dans notre cas, c’est la faillite. Si un homme d’affaires est déclaré en faillite financière, il est traité par ses pairs comme un pestiféré. Personne n’a envie de s’en approcher, même pour une simple socialisation. Vous auriez peur qu’on associe les deux noms et que sa plaie déteigne sur vous.

Application pratique: nos responsables ont déclaré notre faillite en mars 2020, en se basant sur de vagues considérations comptables; mais aucune étude préalable n’a été réalisée sur le coût de la mauvaise réputation qui en a découlé. Et aucune initiative n’est venue pour inverser la vapeur depuis. Auparavant, le Liban était réputé de n’avoir JAMAIS failli à ses engagements, même au plus fort de la guerre. Un actif ainsi dilapidé en 2 secondes. Avec toutes les conséquences que nous subissons depuis. Y compris sur nos entreprises et nos banques, qui ont été abandonnées par la plupart des interlocuteurs, la marque au fer rouge ayant gagné l’ensemble des gens et des secteurs. Ainsi, il est très difficile pour un Libanais d’ouvrir un compte bancaire à l’étranger. Il devient même compliqué pour une entreprise qui a des activités à l’étranger, de recevoir de l’argent vers un compte dans une banque au Liban, alors que la transaction est tout à fait réglementaire et transparente. D’autres séquelles ont touché la totalité des activités professionnelles. Le coût économique est devenu exorbitant, résultat de cette satanée mauvaise réputation.