
En huit jours seulement, ces maisons sortent de terre comme par magie. Imprimées en 3D à partir de terre locale, elles conjuguent robotique et respect de l’environnement. Une solution innovante, simple et belle, pour faire face aux défis climatiques et sociaux d’aujourd’hui.
Elles ressemblent à des cocons, posés sur le sol comme s’ils y avaient poussé naturellement. Aucune ligne droite, aucun béton. Juste de la terre, posée couche après couche par deux bras robotisés qui tournent avec grâce, comme une chorégraphie. En 200 heures – soit à peine huit jours –, une maison entière prend forme. Elle est imprimée sur place, uniquement à partir de matériaux naturels. Son nom? Tecla. Son objectif? Changer notre façon d’habiter la planète.
Tout a commencé en Italie, près de Ravenne. C’est là que WASP (World’s Advanced Saving Project), une entreprise engagée dans l’impression 3D écologique, s’est associée à l’architecte Mario Cucinella, connu pour ses projets respectueux de l’environnement. Ensemble, ils ont imaginé une maison faite exclusivement de terre crue, prise directement sur le site, sans ciment, sans fondation lourde. En 2021, Tecla devient la première maison imprimée uniquement avec les ressources du sol local, grâce à un système entièrement automatisé.
Le principe est simple: deux bras robotisés, guidés par un logiciel, déposent la terre mélangée à des fibres végétales (comme du riz ou du chanvre), couche après couche. Chaque couche mesure 12 millimètres. Le résultat? Une maison de 60 m², bien isolée, qui «respire», et dont la construction consomme très peu d’énergie, à peine 6 kilowatts.
La maison Tecla, imaginée par l'architecte Mario Cucinella. © DR
Une maison inspirée de la nature
L’idée vient d’un insecte: la guêpe potière, qui fabrique son nid en argile avec une précision incroyable. Mario Cucinella s’en est inspiré pour imaginer Tecla. Le design reprend les formes douces et arrondies des nids d’argile, mais évoque aussi les maisons traditionnelles africaines ou les bâtiments courbes de Gaudí.
Techniquement, c’est une prouesse. Le programme informatique qui contrôle les bras robotiques comporte environ 7.000 lignes de code. Pas besoin de béton, de clous ni de grues. La terre brute devient une maison habitable avec une simple machine et un peu d’électricité. «De la terre informe à la maison façonnée: aujourd’hui, on peut construire sans nuire, en un simple clic», résume Cucinella.
Mais ce projet va bien au-delà de la technologie. Il porte une ambition sociale forte. Tecla est pensé pour être reproductible partout où l’on manque de logements: dans des zones rurales, des régions pauvres ou après des catastrophes naturelles. Le système WASP peut être transporté dans un conteneur: il comprend les imprimantes, les mélangeurs et les pompes. Une fois sur place, il suffit d’un terrain et de terre pour commencer à construire.
La terre brute devient une maison habitable avec une simple machine et un peu d’électricité. © DR
Un modèle pour l’avenir
En utilisant la terre crue, un matériau vieux comme le monde, mais souvent oublié, Tecla propose une troisième voie entre le béton (polluant) et le bois (souvent responsable de la déforestation). Ce modèle respecte la planète et permet de construire vite, bien et pour pas cher. Pas besoin d’acheminer des matériaux coûteux ni de passer par des chaînes industrielles complexes. Juste une machine et ce que la terre nous offre.
L’enjeu est immense: aujourd’hui, le secteur du bâtiment émet près de 40% des gaz à effet de serre dans le monde. Tecla propose une autre approche: matériaux locaux, faible consommation d’énergie, pas de déchets, régulation naturelle de la température, et un vrai confort de vie. Et puis, il y a l’esthétique: on n’habite plus un cube, mais un cocon, sans angles ni murs rigides.
Bien sûr, il reste des limites. Ces maisons ne dépassent pas un étage: la terre crue ne peut pas encore supporter de grandes hauteurs. L’installation de l’électricité, de l’eau ou des ouvertures reste à perfectionner. Mais les progrès sont rapides. Depuis Tecla, des projets similaires ont vu le jour au Kenya, en Espagne ou aux États-Unis.
Pour Mario Cucinella et WASP, l’objectif n’est pas de construire des maisons futuristes pour les riches, mais des logements simples, dignes et solides pour tous, capables de résister aux crises climatiques et sociales. En ce sens, Tecla est bien une preuve tangible qu’on peut habiter autrement, en s’appuyant sur les ressources du sol plutôt que sur leur épuisement.
À ceux qui, comme des tortues, déplacent leur maison avec eux, lentement et au prix de lourds efforts, ces habitats légers et enracinés offrent l’espoir de posséder un habitat à l’architecture sobre, poétique et surtout réparatrice. Nous avons sans doute beaucoup à apprendre de l’espèce animale, souvent bien plus clémente envers les siens que ne le sont nos sociétés humaines. La guêpe potière, avec sa précision et son génie naturel, serait-elle donc venue, sans le savoir, au secours de la tortue?
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