Incontestablement la plus grande perte cinématographique de 2021. Jean-Paul Belmondo était l’un des derniers monstres sacrés du cinéma: il appartenait à l’inconscient collectif culturel de chacun d’entre nous. Un acteur complet: insaisissable, charmeur, animal, casse-cou et lutin virevoltant dans ses comédies et films d’aventures destinés au grand public; ou tout simplement brillant, tout aussi “magnifique”, dans les films d’art et d’essai.

Né le 9 avril 1933 à Neuilly-sur-Seine, Belmondo a tourné avec certains des plus grands réalisateurs français comme Alain Resnais, Louis Malle, Philippe de Broca, Henri Verneuil, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, François Truffaut, Claude Sautet, Jean-Pierre Melville, Claude Lelouch, Jean-Paul Rappeneau, Georges Lautner ou Gérard Oury. Fils d’un sculpteur et d’une artiste-peinte, il montre peu de goût pour les études, mais manifeste un intérêt certain pour les sports, surtout la boxe. En 1948, durant un séjour en Auvergne pour guérir de la tuberculose, il décide de devenir comédien et fait ses début au théâtre en 1950 en interprétant La Belle au Bois Dormant dans les hôpitaux de la ville de Paris. Il échoue deux fois le concours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique avant d’en venir à bout, en octobre 1952. Mais il y rencontre des personnalités marquantes qui deviendront des amis durables: Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Bruno Cremer, puis Michel Galabru ou Guy Bedos. Si ses professeurs ne croient pas trop dans sa bonne étoile, ce n’est pas le cas du public, qui le prend déjà sous son aile.

Il joue en 1956 dans un premier film, Les Copains du dimanche, qui n’est jamais distribué en salles. Il doit attendre 1958 pour obtenir son premier rôle dans Sois belle et tais-toi (1958) de Marc Allégret, l’occasion de sa première rencontre avec le jeune Alain Delon. Ce n’est qu’en 1959, après avoir pris part à la Guerre d’Algérie, que Belmondo obtient son premier rôle important dans À double tour, de l’immense Claude Chabrol, suivi du cultissime À bout de souffle de Jean-Luc Godard avec Jean Seberg, puis de Classe tous risques de Claude Sautet, avec Lino Ventura.

À bout de souffle et Godard suffisent pour en faire la coqueluche du grand public et de la critique, le symbole rebelle de la Nouvelle Vague. La décennie 60 commence comme sur des roulettes. Belmondo tourne dans foulée sous la direction de Peter Brook, Mauro Bolognini et Vittorio De Sica, retrouve Jean-Luc Godard pour Une femme est une femme, puis interprète le rôle titre de l’excellent Léon Morin, prêtre de Jean-Pierre Melville. Il se tourne ensuite vers le polar avec Le Doulos , puis les films de cape et d’épée, avec Cartouche, sa première collaboration avec Philippe de Broca, grand succès commercial. Il se retrouve confronté à Jean Gabin dans Un singe en hiver d’Henri Verneuil, dont les dialogues sont signés Michel Audiard, puis tient la vedette dans l’excellent L’Homme de Rio (1964) avec Françoise Dorléac – encore un triomphe commercial. Parmi les autres films des années 60 qui contribueront à consolider son statut de star: Cent mille dollars au soleil d’Henri Verneuil; Les Tribulations d’un Chinois en Chine de Philippe de Broca, avec Ursula Andress dont il tombe fou amoureux; le mémorable Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard avec Anna Karina, avec son final de peinture bleu et de dynamite; Le Cerveau de Gérard Oury; La Sirène du Mississipi de François Truffaut avec Catherine Deneuve; ou Un homme qui me plaît de Claude Lelouch.

“Bebel”, comme on le surnomme désormais, devient une valeur sûre du cinéma français – bien que sa carrière ne démarre pas à Hollywood, où il fait quand même une tentative de percée, même s’il s’y sent mal à l’aise. Au début des années 1970, avec Alain Delon, il frappe très fort d’emblée dans Borsalino de Jacques Deray, puis enchaîne film sur film: Les Mariés de l’an II (De Broca), Le Casse (Verneuil), La Scoumoune (José Giovanni), Le Magnifique (De Broca), ou Stavisky d’Alain Resnais, dont le succès relatif le pousse désormais beaucoup plus vers les films à grand public. Il se focalise ainsi sur les films policiers, d’aventures ou les comédie. Dans l’inoubliable Peur sur la ville d’Henri Verneuil, un classique du genre, Belmondo, multipliant les cascades dangereuses sans doublure, se blesse sur le tournage. Il joue ensuite entre autres dans L’Incorrigible de Philippe de Broca et L’Animal de Claude Zidi.

Au début des années 80, sa carrière est à son zénith et ses films attirent en masse les spectateurs, mais déplaisent de plus en plus à la critique: Flic ou Voyou, Le Guignolo et Le Professionnel de Georges Lautner, L’As des as de Gérard Oury, Le Marginal de Jacques Deray, Les Morfalous d’Henri Verneuil, Joyeuses Pâques de Georges Lautner avec Sophie Marceau, ou Hold-up d’Alexandre Arcady, sur le tournage duquel il se blesse encore. En 1987, en revanche, Le Solitaire de Jacques Deray, le “polar de trop”, attire pour la première fois moins d’un million de spectateurs dans les salles… depuis 1963! Après trente ans d’interruption au théâtre, il remonte sur les planches pour interpréter Kean de Jean-Paul Sartre et rencontre un énorme succès. La fin des années 1980 est marquée par un grands succès critique et commercial: le sublime Itinéraire d’un enfant gâté (1989) de Claude Lelouch, par le biais duquel il remporte un César du meilleur acteur parfaitement mérité, mais aussi, au théâtre, où il campe un formidable et mémorable Cyrano de Bergerac, qu’il porte à travers le monde dans le cadre d’une tournée internationale.

Les années 90 comportent aussi leur lot de bons films: L’Inconnu dans la maison de Georges Lautner, Les Misérables du XXe siècle de Claude Lelouch ou Une chance sur deux de Patrice Leconte. Au théâtre, il accumule les succès, avec Tailleur pour dames, La Puce à l’oreille ou Frédérick ou le boulevard du crime d’Éric-Emmanuel Schmitt. S’il continue à tourner jusqu’à la moitié des années 2000, il rencontre néanmoins une série de problèmes de santé qui le poussent d’abord à renoncer aux planches, puis à se faire de plus en plus rare au cinéma, jusqu’à l’annonce de sa retraite en 2015, à 82 ans. Il accumule cependant les distinctions au cours des deux dernières décennies de sa vie: il est promu commandeur dans l’ordre national de la Légion d’honneur (2007), reçoit une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière à Cannes (2011), un Lion d’or similaire à la Mostra de Venise (2016), ou encore un vibrant hommage aux Césars en février 2017, entouré de ses amis et soutenu par une longue standing ovation. Il est élevé à la dignité de grand officier dans l’ordre national de la Légion d’honneur en 2019. Pourtant, l’homme n’a jamais été friand de ce genre de reconnaissance: sa seule véritable légitimité, il l’aura prise toute sa vie du grand public. Il meurt le 6 septembre 2021 à l’âge de 88 ans et un ultime hommage national lui est rendu dans la cour des Invalides.