Acteur, réalisateur, producteur engagé, le grand homme de cinéma Jacques Perrin s’est éteint le 21 avril à Paris, à l’âge de 80 ans.

Né à Paris en 1941, il a consacré sa vie à des projets tournant autour de l’humain. Issu d’un milieu modeste, il n’a jamais cédé aux sirènes du vedettariat, préférant apprendre des autres pour mener à bien ses projets de films, allant de Z (1969) au Peuple migrateur (2001), en passant par La Victoire en chantant (1976) et Himalaya, l’enfance d’un chef (1999).

Jacques Perrin avait joué dans Cinéma Paradiso (1998) (Crédits : AFP)

L’acteur du grand et du petit écran

Difficile pour le jeune Jacques Perrin d’échapper au monde du spectacle avec un père, Alexandre Simonet, régisseur à la Comédie-Française, puis souffleur de Jean Vilar au TNP, et une mère, Marie Perrin, comédienne, premier prix du conservatoire de Lyon. A l’âge de 17 ans, il entre à son tour au conservatoire où il est tout de suite repéré par Jean Yonnel (1891-1968), tragédien à l’illustre voix de baryton.

Il fait ensuite son entrée dans le cinéma italien avec Valerio Zurlini (1926-1982) qui lui donne son premier grand rôle dans La Fille à la valise (1961), puis un deuxième dans Journal intime (1962). Pendant trois ans, Jacques Perrin figure parmi les jeunes premiers les plus en vue du cinéma transalpin. En France, il obtient des rôles dans les films d’Henri-Georges Clouzot (1907-1977) – La Vérité, en 1960 –, de Mauro Bolognini (1922-2001) – La Corruption, en 1963 –, de Costa-Gavras, de Pierre Schoendoerffer (1928-2012) – La 317e Section, en 1965, Le Crabe-tambour, en 1977, L’Honneur d’un capitaine, en 1982, et Là-haut, un roi au-dessus des nuages, en 2004.

Dans les années 1960, alors que le cinéma de la Nouvelle Vague semble se désintéresser de lui, Jacques Demy (1931-1990) le contacte pour Les Demoiselles de Rochefort. Il y accompagnera, dans le rôle du marin rêveur, Danielle Darrieux (1917-2017), Gene Kelly (1912-1996), George Chakiris, Catherine Deneuve et Françoise Dorléac (1942-1967). Pétrifié à l’idée de chanter et de danser, il réitère cependant l’expérience trois ans plus tard, en jouant le prince charmant dans la comédie musicale Peau d’âne.

A gauche, Jacques Perrin aux côtés de Catherine Deneuve (Crédits : AFP)

Lorsque le cinéma le délaisse, Jacques Perrin se tourne vers la télévision, endossant la plupart du temps des rôles de policier, dans une quarantaine de téléfilms et séries. En plus de prêter sa voix à plusieurs documentaires, il anime l’émission sur le septième art, La 25e Heure, sur France 2, produite par lui-même.

Le producteur de cinéma indépendant

En 1968, Jacques Perrin fonde sa propre maison de production, Reggane Films (devenue ensuite Galatée Films) pour reprendre le projet Z, le film de Costa-Gavras. Grâce à une coproduction avec l’Algérie, le film connaît un succès mondial et reçoit l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Jacques Perrin continue de produire les films de Costa-Gavras: Etat de siège (1973), Section spéciale (1975), et travaille sur une adaptation du roman de Dino Buzzati (1940), Le Désert des Tartares (1976).

La même année, il travaille avec Jean-Jacques Annaud sur La Victoire en chantant – l’histoire de militaires français dans la brousse africaine durant la Première Guerre mondiale. Échec au box-office français, le long-métrage, rebaptisé en anglais Black and White in Color, obtient, encore une fois, l’Oscar du meilleur film étranger.

Les Quarantièmes Rugissants (1982), de Christian de Chalonge – inspiré de l’histoire vraie de Donald Crowhurst – endette Jacques Perrin pour dix ans. Cela ne l’empêchera pas de se lancer dans la production de trois films aux tournages rocambolesques: Microcosmos, le peuple de l’herbe (1996), de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, Himalaya, l’enfance d’un chef (1999), d’Éric Valli et Le Peuple migrateur (2001), coréalisé avec Jacques Cluzaud.

Crédits : AFP

Il intègre en 2019 l’Académie des beaux-arts et travaille sur plusieurs films de fiction, notamment Kersten, de Christophe Barratier (sur le médecin finlandais d’Himmler), une adaptation chinoise du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson, ainsi que deux documentaires.

Le réalisateur de documentaires pharaoniques

Dans les années 1990, Jacques Perrin est le seul à oser s’attaquer aux documentaires naturalistes à gros budget. Ces films pharaoniques exigent des années de recherches scientifiques, de repérages, et de matériel, tels Microcosmos: Le Peuple de l’Herbe (1996) sur les insectes, ou Le Peuple migrateur (2001) sur les oiseaux.

C’est dans l’esprit de rappeler les dangers encourus par la planète et de lutter pour sa sauvegarde qu’il entreprend sa grande œuvre, Océans (2010), un hymne à la mer et aux créatures qui y vivent. Ce désir de voyages remonte à l’enfance, à la pension où il fut très tôt placé par ses parents jusqu’à l’âge de 11 ans. Il y passait ses nuits d’insomnie à s’imaginer "partir ailleurs", "respirer autrement". Le grand marin rêveur, obstiné, visionnaire, a poussé son dernier souffle, pour partir ailleurs. Il nous laisse avec cette phrase, déclarée en 2019 au Figaro: "Des gens nous permettent de croire. Comme un Jean Moulin durant la Résistance. On vit de sombres temps, disait Brecht. Mais la clarté, c’est une histoire d’ombre".