A Ici Beyrouth, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) ne cache pas ses appréhensions de voir le Liban sacrifié une fois de plus sur l’autel des intérêts des grandes puissances durant les négociations sur le nucléaire iranien entre Téhéran et la communauté internationale qui se déroulent actuellement dans la capitale autrichienne. 

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Au début des années 2000, lorsque le Liban se trouvait encore sous l’occupation syrienne, Walid Joumblatt avait posé le problème de la vocation et du visage du Liban, abandonné à l’époque à un processus de désertification politique, économique et culturelle mené par Damas, en affirmant que le pays «devrait choisir entre Hanoï ou Hong-Kong», soit entre le modèle dirigiste ou libéral, et ne pouvait être les deux à la fois.
La formule reste plus que jamais d’actualité. Si, depuis, Hanoï et Hong-Kong ont quelque peu inversé les rôles, le Liban, lui, continue de s’embourber dans la même problématique, même si le Léviathan du régime baasiste syrien a cédé la place à la milice pro-iranienne du Hezbollah.
«Nous sommes un Hanoï iranien, pas vietnamien ou libanais, confie d’emblée Walid Joumblatt dans un entretien télévisé exclusif accordé à Ici Beyrouth. Et pour cause : le pays est sous l’emprise et la domination iranienne à travers le Hezbollah.»
Pour le leader druze, le « problème global » à l’origine de la crise qui ravage le pays est certes le Hezbollah, mais « le désastre économique est aussi dû à la faillite du système libanais, à la corruption des Libanais et de la classe politique libanaise, et aussi à un modèle de tourisme, de banques et de restauration qui ne fonctionne plus ». « Il faut mettre en place une économie productive », souligne M. Joumblatt.

Le message aux pays du Golfe
Qu’à cela ne tienne, l’ancien ministre et député désapprouve l’attitude adoptée par les pays du Golfe à l’encontre de l’ensemble du peuple libanais en raison des expéditions militaires menées par le parti chiite, et plus globalement par l’Iran, dans la région. « Le peuple libanais ne peut pas être puni dans son intégralité parce qu’une partie est affiliée au Hezbollah. Pas tous les Libanais sont pro Hezbollah », déplore M. Joumblatt. « Or nous sommes punis collectivement. C’est vrai qu’il y a eu la bavure de ce ministre dont nous attendons toujours la démission et qui ne va pas passer à l’acte. Mais même s’il démissionne, il n’y aura pas de déblocage du Conseil des ministres », a noté le chef du PSP, en allusion aux déclarations du ministre libanais de l’Information, Georges Cordahi, qui avait exprimé son soutien aux rebelles houthis pro-iraniens contre la coalition menée par l’Arabie saoudite dans la guerre du Yémen.
« Abandonner tout le Liban, c’est le livrer au Hezbollah », relève Walid Joumblatt, qui qualifie ce comportement d’ « illogique », soulignant au contraire la nécessité internationale de venir financièrement en aide au Liban dans cette crise, et notamment à l’armée, lourdement affectée par la dévaluation record de la livre libanaise.
« J’aimerais bien que les Saoudiens renouent avec leurs traditions et que (le prince héritier) Mohammad ben Salman reprenne les habitudes de son père et de ses oncles, qui ont passé leur vie et leurs étés au Liban et qui connaissaient bien Beyrouth », a ajouté le chef du PSP, en allusion au désengagement de Riyad de la vie politique libanaise, mû par une nouvelle génération de dirigeants qui n’ont pas connu l’âge d’or du pays et qui, partant, ne s’en soucieraient pas autant que leurs prédécesseurs. « C’est vrai qu’ils ne sont plus les bienvenus au Liban, mais ils pourraient se montrer logiques. Ils abandonnent le pays aux Iraniens, et ces derniers y font ce qu’ils veulent », a noté M. Joumblatt.

La responsabilité du régime syrien
Pour le leader druze, les propos de M. Cordahi ne constituent pas la raison principale du blocage de l’action du gouvernement. « Un lien a été établi entre les réunions du Conseil des ministres et le dossier de l’enquête sur le port », indique-t-il, en allusion au Hezbollah. « C’est aberrant. L’explosion du port mise à part, il y a déjà eu 36 assassinats politiques, sans compter les trois tentatives manquées contre Marwan Hamadé, Elias Murr et May Chidiac. Cela fait donc 39. Et puis il y a cet assassinat collectif du port, sans que le moindre mandat d’arrêt ne soit émis… à part un seul… », a-t-il noté, en allusion au verdict en août 2020 du Tribunal spécial pour le Liban pointant du doigt un membre du Hezbollah dans l’assassinat de Rafic Hariri et ses compagnons, le 14 février 2005, et qui avait rompu avec la longue tradition d’impunité.
« Il faut bien qu’une enquête sur l’explosion du port de Beyrouth soit menée », affirme l’ancien ministre. « Au lendemain du 4 août, j’ai accusé ouvertement le régime syrien d’avoir ramené le nitrate d’ammonium au Liban, qu’il utilisait pour bombarder les villes et les villages syriens avec ses hélicoptères. Pourquoi l’a-t-il ramené à Beyrouth ? A l’époque, la région de Homs était encore en flammes, donc l’axe Beyrouth-Damas était plus sûr. Cela a été fait après l’accord américano-russe sur les armes chimiques syriennes », dit-il, en allusion à l’accord du 14 septembre 2013 entre Washington et Moscou à Genève sur le démantèlement de l’arsenal chimique du régime Assad.


« Aoun doit partir »
Concernant les propos tenus par le président de la République Michel Aoun à la chaîne de télévision satellite al-Jazira durant sa visite officielle au Qatar, selon lesquels il ne songeait pas à la prorogation de son mandat présidentiel sauf si le Parlement lui en fait la demande, Walid Joumblatt a répondu du tac au tac : « Le Parlement ne va jamais le lui demander. Il y aura toujours une majorité ou une minorité qui va dire "non". Nous étions bien 29 députés à avoir dit "non" à la prorogation du mandat d’Emile Lahoud en 2004. Il ne peut pas s’opposer (à la fin de son mandat), il doit partir. Une prorogation de son mandat serait « anticonstitutionnelle ». Mais sa véritable ambition politique c’est de passer le pouvoir d’une manière anticonstitutionnelle à son gendre envers et contre tout. »
« Je ne crois pas qu’il peut réussir ; j’espère qu’il ne le pourra pas », a ajouté M. Joumblatt, estimant que « la tenue des législatives peuvent empêcher cela, ainsi qu’un vaste mouvement de l’opinion publique libanaise qui en a ras le bol de ce pouvoir ».
Interrogé sur la possibilité que l’échéance législative n’ait pas lieu, le leader druze a répondu : « Les élections auront lieu, mais le Courant patriotique libre veut amender la loi électorale actuelle. Cela veut dire que nous devrons retourner à l’ancienne loi et que les expatriés ne pourront élire que six députés représentants six continents. Je ne sais d’ailleurs pas comment nous pouvoir les répartir. C’est aberrant. » Et d’ajouter : « L’objectif est de neutraliser le vote des expatriés. »
Concernant un éventuel événement sécuritaire qui empêcherait la tenue des élections, le chef du PSP a répondu : « J’espère que cela n’aura pas lieu, mais dans ce pays où le cycle des assassinats ne s’est jamais arrêté, il est impossible de savoir. Tout est possible. » « J’espère que les magistrats qui siègent au Conseil constitutionnel pourront aussi réfléchir dans une perspective politique et éviter cet amendement pour ne pas modifier le cours de l’histoire et neutraliser le vote des expatriés », a-t-il noté.

L’appel du pied aux FL et à Hariri
S’agissant de ces alliances politiques durant les prochaines législatives, Walid Joumblatt a précisé qu’il est « impossible de conclure des alliances avec la thawra, parce que je suis considéré par eux comme étant un vieux de la vieille de la classe politique ». « Pas de problème. L’essentiel est que le changement ait lieu et que les gens puissent voter », a-t-il dit. Dans un appel du pied manifeste, il a toutefois indiqué que « la conjoncture politique s’annonce bien avec les Forces libanaises », avant d’ajouter : « J’espère que Saad Hariri rentrera au Liban pour demeurer un acteur principal dans la lignée souverainiste libanaise. Il est toujours le représentant de la majorité des sunnites. Sinon, ce sera la débâcle sunnite et nous aurons affaire à des barons et des ténors un peu partout, sous l’impulsion de la Syrie. »
Concernant ses rapports avec le Hezbollah, M. Joumblatt a dit : « Nous dialoguons toujours, mais parfois c’est un dialogue de sourds, et parfois un dialogue de nécessité parce qu’ils sont là – ils sont partout. »
Même perspective de dialogue de nécessité avec le président de la République et le courant politique dont il est le fondateur et qui « représente, ainsi une assise importante au sein des chrétiens de la Montagne, avec les Forces libanaises, les gens de la thawra et les indépendants ». « On ne peut pas les ignorer », dit-il.

Le péril des négociations de Vienne
Interrogé sur les négociations en cours à Vienne entre Téhéran et la communauté internationale sur le dossier du nucléaire iranien et les risques d’un vaste dérapage sécuritaire au cas où elles viendraient à échouer, Walid Joumblatt a affirmé : « Je ne crains aucune guerre. Je crains simplement qu’avec les négociations de Vienne, le Liban ne disparaisse. Il faudrait rappeler à ces grands interlocuteurs à Vienne, Rob Malley et d’autres, qu’il y a toujours un Liban qui vaut la peine d’être pris en considération, et non pas jeté en pâture et sacrifié sur l’autel des intérêts régionaux et internationaux. » « Le Liban a été livré il y a longtemps par (le secrétaire d’Etat américain) Henry Kissinger aux Syriens. Cette fois, ce serait pire », ajoute-t-il.
Pourtant, le chef du PSP se veut résolument optimiste. « L’expérience de 2005, après l’assassinat de Rafic Hariri, m’a appris qu’il faut toujours garder l’espoir. Nous avons eu à l’époque un très grand espoir. Nous avons lutté - et plus ou moins réussi. Puis après, les circonstances ont changé. Il faut donc tenir. C’est un message adressé aux jeunes. Il faut s’accrocher. (…) Même les jeunes qui ont quitté le pays peuvent nous aider en formant des groupes de pression », dit-il.
Et de conclure en adressant ses félicitations à l’équipe d’Ici Beyrouth pour cette initiative de créer un nouveau média : « Vous faites un grand effort pour donner de l’espoir aux jeunes. »

Ici Beyrouth
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