Trouver un sens à sa vie par les voies de la psychanalyse, c’est rectifier, incliner, orienter sa vie au plus près de son désir. Le désir, le vrai, le seul, l’indestructible, étant fondamentalement inconscient, a dit Freud, vivre ajusté à son désir implique nécessairement le déchiffrage de l’inconscient, afin qu’il livre son savoir.
L’accès au savoir de l’inconscient passe par les voies de la parole, telle que le dispositif analytique la met spécifiquement en jeu. Au cœur de chaque psychanalyse vit la découverte freudienne selon laquelle un être humain ne peut s’engager dans la parole sans mettre à l’horizon le désir, qui est toujours le sens ultime.
L’invention de Lacan après Freud a consisté à poser qu’aux limites du dicible et de l’interprétable, s’appréhende cet objet infiniment essentiel appelé objet a. L’objet a est l’objet qui cause mon désir, c’est-à-dire l’objet par lequel, depuis les profondeurs les plus intimes, originelles et éternelles de mon être, je suis mû.
Lui faisant toucher le ressort le plus central de ce qui l’anime, une psychanalyse permet à chaque sujet de s’y retrouver dans l’espace prodigieusement logique qui structure et ordonnance sa subjectivité. Dès lors, il cesse d’errer à l’aveugle comme si son monde intérieur était une boîte noire, insondable et sans ordre.
Dans cet espace subjectif, créé et activé par le fait de se penser comme sujet (et non comme objet) de sa propre existence, s’élabore un savoir sur le désir issu de l’interprétation de l’inconscient. Cet espace est aussi le lieu du «bon heur», c’est-à-dire de la chance, ou heureux présage, que constitue pour chacun le rendez-vous avec l’objet a. Quand Lacan revient à cette manière littéraire d’écrire «bon heur», il situe le bonheur au plus près son origine étymologique: heur est issu de l’augurium latin, qui a donné l’augure, la bonne fortune. Par ces références, Lacan met le bonheur en relation avec la bonne rencontre, dont le paradigme est la rencontre amoureuse propice, en laquelle le partenaire amoureux se fait support de l’objet a. Le chapitre précédent a illustré le bon heur de la rencontre avec l’objet a, telle qu’elle peut se produire en différents registres de l’existence: Monsieur K., sorti de son attente évangélique pour aller cueillir sa Fleur de paradis; l’homme naufragé qui s’est saisi de ma voix inquiète comme de sa perche pour apprendre à nager dans le cours de l’existence; cette femme écrivain, amoureuse sensuelle et mystique ayant trouvé à s’unir à son visage du Masculin; cette jeune violoniste, enfin, qui, dans le toucher d’un tissu d’ameublement, a reconnu le véritable instrument de son art.
Cerner son objet cause du désir
Trouver un sens à sa vie par les voies de la psychanalyse, c’est cerner son objet cause du désir, dans sa mystérieuse particularité, mais c’est aussi libérer le rapport que l’on entretient avec lui. Rendre plus libre son rapport à l’objet a signifie d’abord accéder à ce rapport, puis y introduire une clarté, s’y déplacer, en désactiver certains versants obscurs, traverser l’aliénation au scénario qui l’organise. Ainsi, le parcours d’une cure donne au sujet une mobilité nouvelle à l’intérieur de son propre espace, un jeu par rapport à sa position antérieure, une liberté d’inventer ses issues. L’une de ces issues, cruciale dans une psychanalyse, tient à ce déplacement dans le rapport à l’objet a: le sujet peut alors tendre à un lien avec son objet qui anime et élève, apuré d’une part de jouissance obscure et appuyé sur les ailes du désir, finalement proche de la sublimation.
Conduisant le sujet à cette mise au clair progressive du rapport à son désir, la psychanalyse répond à la question du sens, mais pas en tant que parcours spirituel: en tant qu’expérience qui ouvre à l’inconscient, c’est-à-dire à l’univers insoupçonné de la subjectivité humaine et de ses potentialités. Rectifier sa vie au plus près de son désir, en effet, n’est pas une idée du Bien universel, comme peuvent l’être, dans un parcours spirituel, le Nirvana, l’Éveil, ou l’amour du prochain. Ce n’est pas non plus une maxime philosophique, à l’instar, par exemple, de la morale kantienne.
La psychanalyse ne dit pas où est le bien, elle ne prescrit pas de morale, mais elle porte absolument une éthique qui est une éthique du sujet. Cette éthique procède d’un renoncement à une part de jouissance (plus ou moins obscure) et est centrée par l’objet cause du désir. Dès lors, un psychanalyste ne se pose jamais comme sachant a priori ce qui est bien ou bon pour le patient, puisqu’il n’est, dans sa fonction, le tenant d’aucune religion, d’aucune morale, et d’aucune idéologie.
Il n’empêche, le patient ressent un véritable bien après une psychanalyse et souvent même après chaque séance. Ce bien ne provient pas de révélations ou injonctions extérieures, mais d’un ordre intérieur que le patient habite désormais, en sujet responsable, car conduit, par la cure, à répondre de lui-même. Un patient entre en analyse parce qu’il a mal ou va mal; quand il y a accompli son parcours, il est bien.
Une position subjective juste tend à produire des actes justes, pour soi-même aussi bien qu’envers les autres: se traiter comme sujet, unique, responsable et libre, permet de considérer les autres comme étant eux aussi des sujets.
S’éprouver comme lumineusement vivant
Ainsi, une psychanalyse conduit à un jugement éthique sur notre propre action, elle porte en elle une mesure de notre conduite. De cette éthique découle ce qui s’observe chez les patients au terme de leur parcours: un sentiment de légitime fierté, ainsi qu’une légèreté d’être, une joie, voire un enthousiasme, de nature à éclairer une vie.
Trouver un sens à sa vie, par les voies de la psychanalyse, c’est s’éprouver comme lumineusement vivant à partir du noyau désirant qui nous anime, c’est placer au centre de sa vie «une mesure incommensurable, une mesure infinie, qui s’appelle le désir» (cette expression est de Lacan). Être fier de son existence, objet du présent chapitre, c’est revenir au sens, éthique, de sa pensée, de sa parole, de sa conduite, de son action pour s’engager dans une forme de progrès intérieur.
Il y a quelque chose de révolutionnaire dans le progrès intérieur tel qu’il s’accomplit dans une psychanalyse. Une pratique, d’abord inventée à des fins thérapeutiques, va intervenir sur l’être même du patient, lui ouvrant la possibilité d’un progrès intérieur sans Dieu ni maître (n’excluant pourtant pas que chacun le conjugue avec ses propres croyances), progrès axé par ce que nous avons appelé une éthique du sujet. Une telle éthique suppose alors, pour tout sujet venant s’y engager, une certaine position, ou encore une droiture, dans la manière de traiter son désir, de traiter son inconscient et de traiter sa propre parole qui en constitue la voie d’accès.
Dans cette optique, être fier de son existence consiste à pouvoir répondre de celle-ci en se repérant sur des orientations éthiques touchant au noyau de l’être, et que nous proposons de déployer autour de deux axes majeurs: «ne pas céder sur son désir» (formule de Lacan) et aimer son inconscient.
Ces jalons posés, entrons maintenant dans l’expérience vivante de cette inflexion voire cette révision éthique à laquelle mène une psychanalyse.
L’accès au savoir de l’inconscient passe par les voies de la parole, telle que le dispositif analytique la met spécifiquement en jeu. Au cœur de chaque psychanalyse vit la découverte freudienne selon laquelle un être humain ne peut s’engager dans la parole sans mettre à l’horizon le désir, qui est toujours le sens ultime.
L’invention de Lacan après Freud a consisté à poser qu’aux limites du dicible et de l’interprétable, s’appréhende cet objet infiniment essentiel appelé objet a. L’objet a est l’objet qui cause mon désir, c’est-à-dire l’objet par lequel, depuis les profondeurs les plus intimes, originelles et éternelles de mon être, je suis mû.
Lui faisant toucher le ressort le plus central de ce qui l’anime, une psychanalyse permet à chaque sujet de s’y retrouver dans l’espace prodigieusement logique qui structure et ordonnance sa subjectivité. Dès lors, il cesse d’errer à l’aveugle comme si son monde intérieur était une boîte noire, insondable et sans ordre.
Dans cet espace subjectif, créé et activé par le fait de se penser comme sujet (et non comme objet) de sa propre existence, s’élabore un savoir sur le désir issu de l’interprétation de l’inconscient. Cet espace est aussi le lieu du «bon heur», c’est-à-dire de la chance, ou heureux présage, que constitue pour chacun le rendez-vous avec l’objet a. Quand Lacan revient à cette manière littéraire d’écrire «bon heur», il situe le bonheur au plus près son origine étymologique: heur est issu de l’augurium latin, qui a donné l’augure, la bonne fortune. Par ces références, Lacan met le bonheur en relation avec la bonne rencontre, dont le paradigme est la rencontre amoureuse propice, en laquelle le partenaire amoureux se fait support de l’objet a. Le chapitre précédent a illustré le bon heur de la rencontre avec l’objet a, telle qu’elle peut se produire en différents registres de l’existence: Monsieur K., sorti de son attente évangélique pour aller cueillir sa Fleur de paradis; l’homme naufragé qui s’est saisi de ma voix inquiète comme de sa perche pour apprendre à nager dans le cours de l’existence; cette femme écrivain, amoureuse sensuelle et mystique ayant trouvé à s’unir à son visage du Masculin; cette jeune violoniste, enfin, qui, dans le toucher d’un tissu d’ameublement, a reconnu le véritable instrument de son art.
Cerner son objet cause du désir
Trouver un sens à sa vie par les voies de la psychanalyse, c’est cerner son objet cause du désir, dans sa mystérieuse particularité, mais c’est aussi libérer le rapport que l’on entretient avec lui. Rendre plus libre son rapport à l’objet a signifie d’abord accéder à ce rapport, puis y introduire une clarté, s’y déplacer, en désactiver certains versants obscurs, traverser l’aliénation au scénario qui l’organise. Ainsi, le parcours d’une cure donne au sujet une mobilité nouvelle à l’intérieur de son propre espace, un jeu par rapport à sa position antérieure, une liberté d’inventer ses issues. L’une de ces issues, cruciale dans une psychanalyse, tient à ce déplacement dans le rapport à l’objet a: le sujet peut alors tendre à un lien avec son objet qui anime et élève, apuré d’une part de jouissance obscure et appuyé sur les ailes du désir, finalement proche de la sublimation.
Conduisant le sujet à cette mise au clair progressive du rapport à son désir, la psychanalyse répond à la question du sens, mais pas en tant que parcours spirituel: en tant qu’expérience qui ouvre à l’inconscient, c’est-à-dire à l’univers insoupçonné de la subjectivité humaine et de ses potentialités. Rectifier sa vie au plus près de son désir, en effet, n’est pas une idée du Bien universel, comme peuvent l’être, dans un parcours spirituel, le Nirvana, l’Éveil, ou l’amour du prochain. Ce n’est pas non plus une maxime philosophique, à l’instar, par exemple, de la morale kantienne.
La psychanalyse ne dit pas où est le bien, elle ne prescrit pas de morale, mais elle porte absolument une éthique qui est une éthique du sujet. Cette éthique procède d’un renoncement à une part de jouissance (plus ou moins obscure) et est centrée par l’objet cause du désir. Dès lors, un psychanalyste ne se pose jamais comme sachant a priori ce qui est bien ou bon pour le patient, puisqu’il n’est, dans sa fonction, le tenant d’aucune religion, d’aucune morale, et d’aucune idéologie.
Il n’empêche, le patient ressent un véritable bien après une psychanalyse et souvent même après chaque séance. Ce bien ne provient pas de révélations ou injonctions extérieures, mais d’un ordre intérieur que le patient habite désormais, en sujet responsable, car conduit, par la cure, à répondre de lui-même. Un patient entre en analyse parce qu’il a mal ou va mal; quand il y a accompli son parcours, il est bien.
Une position subjective juste tend à produire des actes justes, pour soi-même aussi bien qu’envers les autres: se traiter comme sujet, unique, responsable et libre, permet de considérer les autres comme étant eux aussi des sujets.
S’éprouver comme lumineusement vivant
Ainsi, une psychanalyse conduit à un jugement éthique sur notre propre action, elle porte en elle une mesure de notre conduite. De cette éthique découle ce qui s’observe chez les patients au terme de leur parcours: un sentiment de légitime fierté, ainsi qu’une légèreté d’être, une joie, voire un enthousiasme, de nature à éclairer une vie.
Trouver un sens à sa vie, par les voies de la psychanalyse, c’est s’éprouver comme lumineusement vivant à partir du noyau désirant qui nous anime, c’est placer au centre de sa vie «une mesure incommensurable, une mesure infinie, qui s’appelle le désir» (cette expression est de Lacan). Être fier de son existence, objet du présent chapitre, c’est revenir au sens, éthique, de sa pensée, de sa parole, de sa conduite, de son action pour s’engager dans une forme de progrès intérieur.
Il y a quelque chose de révolutionnaire dans le progrès intérieur tel qu’il s’accomplit dans une psychanalyse. Une pratique, d’abord inventée à des fins thérapeutiques, va intervenir sur l’être même du patient, lui ouvrant la possibilité d’un progrès intérieur sans Dieu ni maître (n’excluant pourtant pas que chacun le conjugue avec ses propres croyances), progrès axé par ce que nous avons appelé une éthique du sujet. Une telle éthique suppose alors, pour tout sujet venant s’y engager, une certaine position, ou encore une droiture, dans la manière de traiter son désir, de traiter son inconscient et de traiter sa propre parole qui en constitue la voie d’accès.
Dans cette optique, être fier de son existence consiste à pouvoir répondre de celle-ci en se repérant sur des orientations éthiques touchant au noyau de l’être, et que nous proposons de déployer autour de deux axes majeurs: «ne pas céder sur son désir» (formule de Lacan) et aimer son inconscient.
Ces jalons posés, entrons maintenant dans l’expérience vivante de cette inflexion voire cette révision éthique à laquelle mène une psychanalyse.
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