Suppléments alimentaires: de l’argent gaspillé?
Le groupe de travail américain sur les services préventifs a émis, en juin dernier, une série de recommandations attestant le manque de preuves solides quant à l’effet protecteur des suppléments alimentaires contre les maladies cardiovasculaires et le cancer. 

Une enquête épidémiologique, menée aux États-Unis entre les années 2011 et 2014, se rapportant à la santé et la nutrition, avait souligné que 52% des 11.024 adultes américains interrogés dans le cadre de l’étude NHANES (acronyme de l’anglais pour National Health and Nutrition Examination Survey, c’est-à-dire Enquête nationale sur l’examen de la santé et de la nutrition) ont déclaré avoir consommé au moins un complément alimentaire au cours du mois précédent, et 31% ont affirmé avoir pris un supplément à base de multivitamines et de minéraux au cours de la même période. Selon cette étude, ces substances sont perçues, par un grand nombre de ceux qui en consomment, comme un moyen de combler les lacunes nutritionnelles dans leur alimentation, et de prévenir ainsi les maladies cardiovasculaires (MCV) et les cancers. En effet, il a été démontré que l’inflammation et le stress oxydatif sont tous les deux impliqués dans la physiopathologie de ces deux familles de maladies, responsables de près de la moitié des décès aux États-Unis. Conséquemment, il avait été suggéré que les compléments alimentaires pourraient avoir des effets anti-inflammatoires et antioxydants protecteurs.

Recommandations mises à jour


Cependant, les résultats d’une étude publiée, le 21 juin dernier, dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) pourraient changer la donne. Le groupe de travail américain sur les services préventifs a conclu que les preuves sont, à ce jour, insuffisantes pour peser les avantages et inconvénients des suppléments alimentaires dans la prévention des MCV ou du cancer. Les auteurs de cette étude déconseillent toutefois d’utiliser des suppléments à base de bêta-carotène ou de vitamine E pour la prévention de ces maladies. En fait, afin de mettre à jour l’ensemble de ses recommandations émises en 2014, le groupe américain a effectué une révision systématique des données probantes sur l’efficacité de la supplémentation avec des nutriments et des multivitamines pour réduire le risque de MCV, de cancer et de mortalité dans la population adulte générale, ainsi que ses méfaits. Les recommandations mises à jour se sont basées sur des études cliniques effectuées sur des adultes âgés d’au moins 18 ans – hormis les femmes enceintes – n’ayant pas de MCV connue, de maladies chroniques (autres que l’hypertension artérielle, le surpoids et l’obésité) ou des carences nutritionnelles.


Risque accru de cancer



Six essais cliniques randomisés (ECR), répondant aux critères d’inclusion précités et faisant état des effets de la supplémentation en bêta-carotène, ont été sélectionnés par l’équipe américaine. Une analyse groupée de cinq études a démontré une augmentation statistiquement significative du risque de mortalité par MCV associée à la supplémentation en bêta-carotène, et cela au bout de 4 à 12 ans de suivi. Deux autres essais, menés auprès de fumeurs ou de personnes ayant été exposés sur leur lieu de travail aux poussières d’amiante en suspension dans l’air ou aux fibres respirables d’amiante, consommant régulièrement un complément alimentaire à base de bêta-carotène (à raison de 20 ou 30 mg par jour) avec ou sans la vitamine A, ont révélé un risque significativement accru de développer un cancer pulmonaire. Par ailleurs, neuf autres ECR relatifs aux effets de la supplémentation en vitamine E ont été retenus. L’analyse de ces dernières ne recense aucun avantage lié à l’utilisation de ce nutriment, sous forme de complément, sur la mortalité, l’incidence du cancer ou la survenue des MCV, après 3 à 10 ans de suivi.

Absence de corrélation mais…


Cinquante-six ECR ont mis en exergue l’absence de corrélation entre la supplémentation en nutriments, notamment les vitamines A, C et D, la niacine (vitamine B3), la pyridoxine (vitamine B6), l’acide folique (vitamine B9), la cobalamine (vitamine B12), le calcium et le sélénium, ou en multivitamines, et la prévention desdites maladies. Les auteurs de cette enquête relèvent toutefois plusieurs facteurs limitants pouvant compromettre ces résultats. En fait, le plus grand essai mené sur les multivitamines, intitulé COSMOS et regroupant 21.442 participants, avait un suivi médian d’uniquement 3,6 ans, une durée jugée trop courte par les chercheurs pour évaluer de telles données. En outre, une étude de cohorte a révélé qu’un apport élevé en vitamine B6 (35 mg/jour) était associé à un risque accru de fracture de la hanche comparé à un faible apport (<2 mg/jour). De plus, plusieurs études suggèrent une association entre la supplémentation en vitamine C ou D et les calculs rénaux.

«Les personnes atteintes d’une maladie aiguë ou chronique peuvent avoir besoin d’une supplémentation en vitamines, minéraux ou multivitamines dans le cadre de la gestion de leur état, ce qui va au-delà de la supplémentation à des fins de prévention visées par cette recommandation», précisent les auteurs. Il est également à mentionner que le département de la santé et des services sociaux des États-Unis et l’Association américaine du cœur recommandent tous deux que les personnes en bonne santé optent pour une nutrition adéquate et variée, puisée dans une liste d’aliments et de boissons sains, plutôt que de se tourner vers les suppléments. Cette recommandation ne s’applique toutefois pas aux enfants, aux femmes enceintes ou susceptibles de tomber enceintes, aux patients atteints d’une maladie chronique, aux personnes hospitalisées ou souffrant d’une carence nutritionnelle. Le groupe de travail américain sur les services préventifs a ainsi recommandé à toutes les femmes prévoyant une grossesse de prendre un supplément quotidien de 0,4 à 0,8 mg d’acide folique.

Distraction dangereuse


Les docteurs Jenny Jia, Natalie A. Cameron, et Jeffrey A. Linder, trois chercheurs de l’Université Northwestern dans l’état de l’Illinois aux États-Unis, ont commenté la publication des nouvelles recommandations par ces termes: «Il est difficile de prouver l’absence d’un avantage pour les multivitamines, mais les preuves actuelles suggèrent que leurs avantages potentiels sur la réduction de la mortalité sont susceptibles d’être faibles.» Et d’ajouter: «Au-delà de l’argent gaspillé, l’attention accordée aux suppléments pourrait être considérée comme une distraction potentiellement dangereuse.» Selon les auteurs, les systèmes de santé et les professionnels de la santé gagneraient à mettre la lumière sur les soins préventifs fondés sur des preuves recommandées par le groupe de travail américain sur les services préventifs, y compris le contrôle de l’hypertension artérielle et les conseils comportementaux pour encourager l’activité physique et une alimentation saine.
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