©Un "accord stratégique" d'une durée de vingt ans devrait prochainement être signé par l'Iran et la Russie. Son contenu reste pour l'heure mystérieux, bien qu'il ait été mis en avant par les autorités des deux États comme un symbole des excellentes relations bilatérales. (AFP)
Partenaires stratégiques sur bien des dossiers régionaux, l'Iran et la Russie sont acculés à adopter une politique axée vers l'Est, vers la Chine et l'Asie Centrale. Une politique qui se traduit par un renforcement des relations russo-iraniennes, d'autant plus que l'isolement diplomatique dont souffre Moscou rend l'entente avec Téhéran bien plus importante que par le passé. Cependant, il ne s'agit pas pour autant d'une alliance, les points de divergence restant nombreux entre les deux pays, dont les politiques entrent en concurrence, en Syrie notamment.
La visite du président Poutine à Téhéran a été l'occasion de mettre en avant les relations russo-iraniennes, rééquilibrées en faveur du dernier. (AFP)
Quelques jours après la tournée du président américain Joe Biden au Moyen-Orient, la visite du président russe Vladimir Poutine en Iran, mardi dernier, a été l’occasion pour les dirigeants russes et iraniens d’envoyer un puissant message d’unité face à l’Occident. Le chef du Kremlin s'est affiché à côté de l’ayatollah Khamenei, dans une véritable mise en scène célébrant «l’alliance» russo-iranienne, ponctuée de déclarations d'amitié et d'annonce d'accords économiques.
L'image de Vladimir Poutine accueilli chaleureusement par le ministre iranien des Affaires étrangères, défilant sur le tapis rouge à l’aéroport de Téhéran, est parue presque incongrue. Le président russe a d'ailleurs limité au maximum ses voyages depuis l'invasion de l'Ukraine: il s’agissait seulement de sa seconde visite internationale depuis février dernier.
Unis par leur hostilité envers l’Occident, la Russie et l’Iran partagent des intérêts sécuritaires et militaires importants. La complaisance iranienne pour l’invasion russe de l’Ukraine constitue une manifestation de cette convergence d’intérêt, Téhéran estimant que les "agissements" de l’OTAN en Europe de l'Est ont provoqué la guerre. L’Iran aurait même signé récemment un accord commercial avec la région sécessionniste de Donetsk, selon le gouvernement de cette "république" créée par Moscou. L’argumentaire russe sert parfaitement la propagande officielle du régime iranien, qui se considère lui-même persécuté par l’Occident.
En plus de cette opposition aux États-Unis, les deux pays entretiennent une coopération sécuritaire considérable en Syrie et en Asie Centrale, région qui fait l’objet d’une véritable « cogestion » russo-iranienne. C’est dans ce cadre que Moscou est l’un des principaux fournisseurs d’armes de la République islamique, et prévoirait de lui vendre prochainement des missiles S-400 ainsi que des avions de chasse Sukhoï Su-35.
De son côté, la Russie lorgnerait sur les drones iraniens, une industrie qu’a fortement développé le pays dans le cadre de sa stratégie de défense asymétrique. Selon la Maison-Blanche, des responsables russes auraient visité récemment un aérodrome situé au centre du pays pour tester des drones iraniens en vue d’une utilisation en Ukraine.
Des déclarations rejetées par l’Iran et la Russie, et qui semblent peu probables. En effet, la capacité de production et le niveau technologique de l’industrie militaire iranienne ne peuvent pas être comparés aux dimensions du complexe militaro-industriel russe. Vraies ou pas, elles révèlent en tout cas l'inquiétude que suscite en Occident l’entente russo-iranienne.
Le système de défense aérien S-300, acquis par l'Iran en 2007 pour une valeur de 800 millions de dollars, n'a été livré par la Russie qu'en 2016. (AFP)
Adlène Mohammedi, directeur scientifique du centre de recherche stratégique AESMA, qualifie cette relation de « partenariat relativement flexible » plutôt qu'une véritable alliance pérenne. Selon lui, " Téhéran considère Moscou comme un partenaire important dans le rapport de force avec Washington".
Il existe de nombreux points de friction, comme la coopération sécuritaire russo-israélienne en Syrie, ou encore les relations cordiales que la Russie entretient avec l’Arabie Saoudite, rival régional de l’Iran.. Des rapports diplomatiques ont, en effet, révélé l'existence d'une coopération militaire étroite entre les forces russes en Syrie et les forces aériennes de l'État hébreu. Les Russes, qui contrôlent l'espace aérien syrien, doivent accorder l'autorisation de survol du territoire à l'aviation israélienne. Celle-ci a ciblé à maintes reprises des bases iraniennes ou celles du Hezbollah en Syrie. Ces discordances n’ont certes pas empêché une entente sur des sujets clefs, mais limitent tout de même le potentiel d'une coopération plus renforcée.
Les deux pays sont disposés à afficher leurs relations diplomatiques à travers des annonces tonitruantes et les signatures d’accords. Mais ils continuent d'entretenir une méfiance mutuelle qui ne permet pas d'avancer certains dossiers de coopération mutuelle. Une politique des slogans et des effets d’annonce, qui vise à prouver à la communauté internationale qu’ils n’ont pas besoin de l’Occident pour leur développement économique et leur défense.
Sur le dossier des armements, la Russie a ainsi livré à l’Iran, avec dix ans de retard, le système de défense antiaérienne S-300, acheté en 2007 pour une valeur de 800 millions de dollars. Elle avait, en effet, suspendu l’accord en raison des sanctions onusiennes visant l’Iran en 2010, ce qui a amené cette dernière à demander 4 milliards de dollars de compensation. Ce n’est qu’en 2016 que le système d'armement a été finalement livré.
Même scénario pour la coopération nucléaire, la Russie étant le principal gestionnaire de la centrale de Boushehr. L’ambassadeur russe à Téhéran avait expliqué à un magazine iranien que l’Iran doit des centaines de millions de dollars à la Russie, ce qui amène celle-ci à interrompre de manière récurrente la production d’électricité.
La Russie n'a pas hésité, en mars dernier, à utiliser les négociations autour de l'accord sur le nucléaire iranien comme monnaie d'échange contre la fin des sanctions sur l'économie russe. (AFP)
La Russie est un signataire clef de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), conclu entre l’administration Obama et le président réformiste Hassan Rohani en 2015, avec la participation de pays européens. Moscou y tient le rôle de médiateur entre l’Iran et l’Occident. En effet, elle est chargée par la communauté internationale de racheter à l’Iran son surplus d’uranium enrichi, selon les niveaux permis par l’accord.
En mars dernier, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait tenté d’utiliser cet atout en sa faveur, conditionnant le retour au JCPOA à la garantie que le commerce russo-iranien ne sera pas affecté par les sanctions occidentales visant Moscou. Cette tentative avait un double intérêt pour la Russie : ouvrir la possibilité de contourner les sanctions à travers l’Iran, et obtenir un allègement de celles-ci en échange de l’accord russe sur la réactivation du JCPOA.
Cependant, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, avait affirmé, lors de sa visite à Moscou en mars dernier, que les négociations sur le JCPOA ne seront pas liées au conflit en Ukraine, refusant par là même le chantage russe.
Cet échec révèle le rééquilibrage de la relation entre les deux partenaires, d’une asymétrie de puissance à une coopération d’égal à égal. « Depuis la guerre en Ukraine, dans le rapport de force Washington-Téhéran, la Russie a désormais encore plus de raisons de pencher plus franchement du côté iranien (notamment dans le cadre des négociations sur le nucléaire). En Syrie, même si le dialogue russo-turc demeure central, la Russie est aujourd'hui un peu moins encline à pousser le pouvoir syrien et ses alliés iraniens à faire des concessions » conclut Adlene Mohammedi. Selon les observateurs, les soldats iraniens auraient remplacé la présence militaire russe, concentrée à présent en Ukraine, dans de nombreuses régions de Syrie.
La visite du président Poutine à Téhéran a été l'occasion de mettre en avant les relations russo-iraniennes, rééquilibrées en faveur du dernier. (AFP)
Quelques jours après la tournée du président américain Joe Biden au Moyen-Orient, la visite du président russe Vladimir Poutine en Iran, mardi dernier, a été l’occasion pour les dirigeants russes et iraniens d’envoyer un puissant message d’unité face à l’Occident. Le chef du Kremlin s'est affiché à côté de l’ayatollah Khamenei, dans une véritable mise en scène célébrant «l’alliance» russo-iranienne, ponctuée de déclarations d'amitié et d'annonce d'accords économiques.
L'image de Vladimir Poutine accueilli chaleureusement par le ministre iranien des Affaires étrangères, défilant sur le tapis rouge à l’aéroport de Téhéran, est parue presque incongrue. Le président russe a d'ailleurs limité au maximum ses voyages depuis l'invasion de l'Ukraine: il s’agissait seulement de sa seconde visite internationale depuis février dernier.
Unis par l'hostilité envers l’Occident
Unis par leur hostilité envers l’Occident, la Russie et l’Iran partagent des intérêts sécuritaires et militaires importants. La complaisance iranienne pour l’invasion russe de l’Ukraine constitue une manifestation de cette convergence d’intérêt, Téhéran estimant que les "agissements" de l’OTAN en Europe de l'Est ont provoqué la guerre. L’Iran aurait même signé récemment un accord commercial avec la région sécessionniste de Donetsk, selon le gouvernement de cette "république" créée par Moscou. L’argumentaire russe sert parfaitement la propagande officielle du régime iranien, qui se considère lui-même persécuté par l’Occident.
En plus de cette opposition aux États-Unis, les deux pays entretiennent une coopération sécuritaire considérable en Syrie et en Asie Centrale, région qui fait l’objet d’une véritable « cogestion » russo-iranienne. C’est dans ce cadre que Moscou est l’un des principaux fournisseurs d’armes de la République islamique, et prévoirait de lui vendre prochainement des missiles S-400 ainsi que des avions de chasse Sukhoï Su-35.
De son côté, la Russie lorgnerait sur les drones iraniens, une industrie qu’a fortement développé le pays dans le cadre de sa stratégie de défense asymétrique. Selon la Maison-Blanche, des responsables russes auraient visité récemment un aérodrome situé au centre du pays pour tester des drones iraniens en vue d’une utilisation en Ukraine.
Des déclarations rejetées par l’Iran et la Russie, et qui semblent peu probables. En effet, la capacité de production et le niveau technologique de l’industrie militaire iranienne ne peuvent pas être comparés aux dimensions du complexe militaro-industriel russe. Vraies ou pas, elles révèlent en tout cas l'inquiétude que suscite en Occident l’entente russo-iranienne.
Le système de défense aérien S-300, acquis par l'Iran en 2007 pour une valeur de 800 millions de dollars, n'a été livré par la Russie qu'en 2016. (AFP)
Un partenariat flexible plutôt qu'une alliance
Adlène Mohammedi, directeur scientifique du centre de recherche stratégique AESMA, qualifie cette relation de « partenariat relativement flexible » plutôt qu'une véritable alliance pérenne. Selon lui, " Téhéran considère Moscou comme un partenaire important dans le rapport de force avec Washington".
Il existe de nombreux points de friction, comme la coopération sécuritaire russo-israélienne en Syrie, ou encore les relations cordiales que la Russie entretient avec l’Arabie Saoudite, rival régional de l’Iran.. Des rapports diplomatiques ont, en effet, révélé l'existence d'une coopération militaire étroite entre les forces russes en Syrie et les forces aériennes de l'État hébreu. Les Russes, qui contrôlent l'espace aérien syrien, doivent accorder l'autorisation de survol du territoire à l'aviation israélienne. Celle-ci a ciblé à maintes reprises des bases iraniennes ou celles du Hezbollah en Syrie. Ces discordances n’ont certes pas empêché une entente sur des sujets clefs, mais limitent tout de même le potentiel d'une coopération plus renforcée.
Les deux pays sont disposés à afficher leurs relations diplomatiques à travers des annonces tonitruantes et les signatures d’accords. Mais ils continuent d'entretenir une méfiance mutuelle qui ne permet pas d'avancer certains dossiers de coopération mutuelle. Une politique des slogans et des effets d’annonce, qui vise à prouver à la communauté internationale qu’ils n’ont pas besoin de l’Occident pour leur développement économique et leur défense.
Sur le dossier des armements, la Russie a ainsi livré à l’Iran, avec dix ans de retard, le système de défense antiaérienne S-300, acheté en 2007 pour une valeur de 800 millions de dollars. Elle avait, en effet, suspendu l’accord en raison des sanctions onusiennes visant l’Iran en 2010, ce qui a amené cette dernière à demander 4 milliards de dollars de compensation. Ce n’est qu’en 2016 que le système d'armement a été finalement livré.
Même scénario pour la coopération nucléaire, la Russie étant le principal gestionnaire de la centrale de Boushehr. L’ambassadeur russe à Téhéran avait expliqué à un magazine iranien que l’Iran doit des centaines de millions de dollars à la Russie, ce qui amène celle-ci à interrompre de manière récurrente la production d’électricité.
De l’accord sur le nucléaire iranien à l'invasion de Ukraine
La Russie n'a pas hésité, en mars dernier, à utiliser les négociations autour de l'accord sur le nucléaire iranien comme monnaie d'échange contre la fin des sanctions sur l'économie russe. (AFP)
La Russie est un signataire clef de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), conclu entre l’administration Obama et le président réformiste Hassan Rohani en 2015, avec la participation de pays européens. Moscou y tient le rôle de médiateur entre l’Iran et l’Occident. En effet, elle est chargée par la communauté internationale de racheter à l’Iran son surplus d’uranium enrichi, selon les niveaux permis par l’accord.
En mars dernier, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait tenté d’utiliser cet atout en sa faveur, conditionnant le retour au JCPOA à la garantie que le commerce russo-iranien ne sera pas affecté par les sanctions occidentales visant Moscou. Cette tentative avait un double intérêt pour la Russie : ouvrir la possibilité de contourner les sanctions à travers l’Iran, et obtenir un allègement de celles-ci en échange de l’accord russe sur la réactivation du JCPOA.
Cependant, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, avait affirmé, lors de sa visite à Moscou en mars dernier, que les négociations sur le JCPOA ne seront pas liées au conflit en Ukraine, refusant par là même le chantage russe.
Cet échec révèle le rééquilibrage de la relation entre les deux partenaires, d’une asymétrie de puissance à une coopération d’égal à égal. « Depuis la guerre en Ukraine, dans le rapport de force Washington-Téhéran, la Russie a désormais encore plus de raisons de pencher plus franchement du côté iranien (notamment dans le cadre des négociations sur le nucléaire). En Syrie, même si le dialogue russo-turc demeure central, la Russie est aujourd'hui un peu moins encline à pousser le pouvoir syrien et ses alliés iraniens à faire des concessions » conclut Adlene Mohammedi. Selon les observateurs, les soldats iraniens auraient remplacé la présence militaire russe, concentrée à présent en Ukraine, dans de nombreuses régions de Syrie.
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