Rasha el-Ameer, après les larmes de sang, celles de la récompense (amère)


 


L’Union internationale des éditeurs (IPA) a décerné le prix Voltaire 2021 le 30 novembre, en association avec le 35e Salon international du livre de Guadalajara, à Rasha el-Ameer, cofondatrice de la maison d’édition Dar al-Jadeed ainsi qu’à son frère Lokman Slim, sauvagement assassiné en février 2021, et salué comme « un combattant intrépide et engagé pour le droit à la liberté d’expression » par l’Association des éditeurs et des libraires en Allemagne.


Ce prix est une claque à la figure de tous ceux qui n’ont de cesse, depuis 2005, d’assassiner les hommes libres du Liban. Il porte également un message de solidarité adressé dans détours à tous ceux qui se battent, partout dans le monde de l’édition, pour se faire entendre, leur assurant qu’ils ne sont pas seuls à faire face aux autocraties rampantes. La liberté de penser et de s’exprimer demeurera un rempart face à ceux, qualifiés à juste titre par Voltaire et repris par Rasha el-Ameer qui sont « des monstres. «Il est clair qu’un individu qui persécute un homme, son frère - ou son pays parce qu’ils ne partagent pas la même opinion ou les mêmes valeurs, est un monstre». L’émotion à fleur de peau de la sœur de Lokman Slim, conjuguée à son éloquence a médusé le parterre de l’Auditorium Juan Rulfo plein à craquer. À ce prix s’ajoute une dotation de 10 000 francs suisses qui seront versés à Dar al-Jadeed.

Jorge Ramos, le présentateur vedette américain d’origine mexicaine n’a pas manqué de rappeler que les journalistes et éditeurs sont des frères d’armes à travers le monde, des contre-pouvoirs engagés qui partagent le même combat de par leurs écrits et leurs positions, dans l’exercice d’un métier qui devient de plus en plus périlleux dans de nombreux pays : « Pour nous, Lokman en a été la triste illustration ! Cependant, ses écrits, sa pensée ainsi que la cause perdureront, et les questions épineuses continueront à être posées. »
Rasha el-Ameer a reçu ce prix, avec une grande émotion, soulignant lors de son allocution le courage de Lokman « le plus courageux d’entre nous ». « Elle est belle cette rencontre entre Voltaire et Lokman, ce soir, Lokman et le Liban trinquent avec Voltaire ». Développant cette même idée par un tweet, Rasha el-Ameer ajoute « C’est aussi une rencontre entre la justice, les valeurs et les livres », « L’assassin ne lit pas. L’assassin tue et s’enivre de son crime. »

Le lauréat du Prix Voltaire 2021 a perdu sa vie à cause de son engagement pour la liberté d’expression.

La maison d’édition Dar al-Jadeed a été cofondée à Beyrouth, au Liban, en 2000 par Lokman Slim et sa sœur, Rasha el-Ameer. Leur ligne éditoriale est strictement culturelle. Cependant, en février dernier, Lokman Slim a été assassiné suite à une apparition télévisée au cours de laquelle il avait nommé la milice qui tient le pays en otage. Après ceci, et alors qu’il était constamment menacé, le ton des menaces a changé et il était devenu le sujet d’une vaste campagne menée contre lui par les adversaires de la parole libre. L’homme «sans peur» a fini par être assassiné ; assassinat qui a soulevé une vague d’indignation parmi les hommes et les femmes libres du Liban qui ont adopté son slogan “Zero Fear” qui a fait tache d’huile. Ce que Lokman avait l’habitude de dire est maintenant sur toutes les lèvres. Lokman, visionnaire émérite, était un bâtisseur, un leader, un esthète.

« Nous avons déjà reçu des prix, mais celui-ci porte le nom de Voltaire, ce qui signifie beaucoup pour moi, pour nous », a souligné l'éditrice.


«Pour Lokman, j'irai jusqu'au bout du monde»

Rasha el-Ameer, qui fait partie du conseil stratégique d’Ici Beyrouth, nous a confié les mots suivants lors d’un appel téléphonique : « Ce prix-là est vieux de 150 ans. Et cela veut beaucoup dire. Son jury est composé par des personnes qui sont dans les coulisses et non pas sur la scène des prix littéraires. Ils ont même eu l’humilité de changer le nom du prix qui s’appelait « IPA » le troquant contre celui de Voltaire. Ils n’ont pas eu peur de perdre leur crédibilité, bien au contraire. Ceci démontre à quel point ce prix a une valeur éthique et c’est ce qui manque dans cette région du monde. Il faudrait avoir le courage de changer de mots, c’est d’ailleurs pour cela que je les ai beaucoup aimés. C’est pour cela que j’ai effectué ce long voyage, mais j’irai au fin fond du monde pour Lokman. Surtout si sa voix va être écoutée. Et puis j’y suis allée pour le Liban également et je l’ai dit dans mon mot : que Lokman et Lebnan ça résonne tellement bien… »

 

 

https://icibeyrouth.com/liban/10643

 

 

 
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