Assis en cercle, les parents des victimes de la monstrueuse explosion au port de Beyrouth discutent de leurs prochaines actions (alors qu’on nous annonçait l’effondrement fatidique des silos) dans la cour de la Cuisine de Marie, leur quartier général à Karantina, fondée le 8 août 2020 par le père Hani Tawk. C’est autour de lui que gravitent les cœurs brisés. Et pourtant, celui qui donne sans compter a traversé plus d’un enfer. Sa Cuisine est devenue un refuge ouvert à tous les paumés de Beyrouth. Elle se développe grâce aux aides d’associations telles que L’Œuvre d’Orient et aux liens d’amitié entre le Liban et la Côte d’Azur. Entretien avec le père Hani Tawk.
Père Hani et le chef Éric Pansu à la cuisine de Marie
Dans la cuisine où mijote dans d’immenses marmites une purée de tomates du potager et où tourne sans répit un vieux ventilateur, Père Hani raconte d’une voix sereine son parcours riche d’expériences partagées, son séminaire, ses crises spirituelles suivies de remontées salutaires et ses missions humanitaires sur les pas de mère Térésa. «J’avais 3 ans quand mon père a été abattu devant moi. À l’âge de 12 ans, je suis entré au séminaire patriarcal maronite de Ghazir où j’ai fait ma scolarité. Je voulais m’engager dans l’humanitaire. Nous avons alors ouvert avec ma mère un refuge pour orphelins à Bcharré, ma vie a pris sens, puis je suis parti comme missionnaire en Inde, en Égypte, en Syrie, en Jordanie, en Espagne, en Grèce et à Chypre. De retour au Liban, j’ai repris mes études de théologie au séminaire puis j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. En 2003, je suis parti à Lyon faire un master de droit international-droits de l’homme et en médiation avant d’être ordonné prêtre, en 2006, dans la paroisse de Bcharré. Nous avons décidé avec ma femme d’être une “famille missionnaire”, de travailler gratuitement au service des autres. En 2015, ma mère a été assassinée par l’un des orphelins dont elle s’était occupée. J’ai été en proie à une profonde crise spirituelle dont je suis sorti au bout de huit mois. J’ai repris ma mission en aidant les familles dans le besoin, en leur apportant mon soutien psychosocial. Quand la révolte d’octobre 2019 a éclaté, je suis resté quatre mois avec le peuple dans la rue. Mais l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août, m’a plongé dans le désespoir. En voyant les ONG affluer pour secourir les habitants, nous avons eu l’idée avec ma femme d’ouvrir une cantine de rue pour nourrir les humanitaires.»
Non loin des silos du port, la Cuisine de Marie n’était au début qu’une petite cantine parmi les diverses associations humanitaires, dans un vaste hangar endommagé puis réhabilité où le soleil pénètre timidement. Après le départ des ONG, le père Hani aménage l’espace pour cuisiner des repas chauds, aidé d’une dizaine de volontaires: «On sert environ 850 plats chauds par jour, depuis deux ans, aux gens qui ont tout perdu dans l’explosion, ainsi qu’aux immigrés. Ils viennent à midi avec un récipient que l’on remplit à la louche. J’ai également aménagé un espace d’activités en faveur des enfants. Avec l’aide de psychothérapeutes, d’ergothérapeutes et d’orthophonistes, nous avons créé un programme pour accompagner les familles des victimes dans une salle conviviale. Un lieu de vie et de rencontre qui accueille des gens de toutes les religions. On distribue aussi des médicaments, des couches et du lait pour nourrissons.»
Solide comme le cèdre du Liban, le père Hani s’active, met la main à la pâte, dispense autour de lui conseils et support. Il a su s’entourer d’une fidèle équipe: «Ici, c’est la cuisine centrale d’où partent les repas cuisinés. Il y a 6 points de distribution en banlieue où des bénévoles assurent le service aux familles inscrites.»
Le père Hani peut compter sur le soutien sans faille de L’Œuvre d’Orient qui, fidèle à sa vocation depuis 1865, donne aux prêtres et aux communautés religieuses les moyens d’accomplir leurs missions au service de tous.
«Principalement, L’Œuvre d’Orient couvre environ 35 % des donations. Il y a aussi ICO, une association autrichienne catholique qui nous aide depuis six mois et nous offre 10.000 euros tous les trois mois , sachant qu’on dépense 500 dollars par jour. Ce qui est énorme.»
Les liens avec la Côte d’Azur se sont forgés à travers l’association Mon Liban d’Azur qui, en juin 2021, a invité l’équipe de la Fondation Paul Bocuse au Liban: «Le chef Éric Pansu, Meilleur Ouvrier de France, est venu à la Cuisine de Marie préparer un repas. Ce jour-là, nous avons servi plus de 800 plats. Le chef a de même concocté un dîner de gala chez Arthaus Beirut qui a permis de récolter 10.000 dollars. Cette somme m’a été remise et j’ai pu acheter un petit van.» En octobre 2021, c’est le chef Nader Al Bacha qui est venu d’Antibes cuisiner une polenta niçoise aux côtés du Père Hani: «C’était pour nous un rapprochement entre la Côte d’Azur et le Liban. Un moment de partage et de solidarité qui a renforcé nos liens d’amitié.» Un mois plus tard, le boulanger d’Antibes, Jean-Paul Veziano, et une délégation de Saint-Jean-Cap-Ferrat se sont rendus à la Cuisine de Marie pour témoigner leur soutien aux Libanais: «Veziano a fait une énorme quantité de pain délicieux.»
Soucieux de la qualité des produits, le père Hani cultive des terrains laissés à l’abandon à Zouk Mikhael et à Chekka où il fait pousser du blé et donne une part de la récolte aux propriétaires: «Nous sommes ce que j’appelle des partenaires de racines, dit-il en riant. À la Cuisine de Marie, nous cuisinons avec nos récoltes et nous sommes aujourd’hui autosuffisants au niveau du blé. Notre slogan est: de la fourche à la fourchette.»
Des projets en gestation? «Oui, plein de projets! Une grande cuisine qui pourra servir jusqu’à 300 couverts sur place et l’ouverture d’un centre d’accueil pour les sans-abri (le premier au Liban) comporant une pharmacie et offrant un suivi médical et un hébergement. Une initiative qu’on va réaliser avec L’Œuvre d’Orient. J’ai également acheté plusieurs machines pour monter une entreprise de couture. Et j’ai récemment ouvert une menuiserie.» Quant au financement, le père Hani s’en remet à la Providence et répète: «Je suis confiant. Chaque jour, on a des miracles!»
Père Hani et le chef Éric Pansu à la cuisine de Marie
Dans la cuisine où mijote dans d’immenses marmites une purée de tomates du potager et où tourne sans répit un vieux ventilateur, Père Hani raconte d’une voix sereine son parcours riche d’expériences partagées, son séminaire, ses crises spirituelles suivies de remontées salutaires et ses missions humanitaires sur les pas de mère Térésa. «J’avais 3 ans quand mon père a été abattu devant moi. À l’âge de 12 ans, je suis entré au séminaire patriarcal maronite de Ghazir où j’ai fait ma scolarité. Je voulais m’engager dans l’humanitaire. Nous avons alors ouvert avec ma mère un refuge pour orphelins à Bcharré, ma vie a pris sens, puis je suis parti comme missionnaire en Inde, en Égypte, en Syrie, en Jordanie, en Espagne, en Grèce et à Chypre. De retour au Liban, j’ai repris mes études de théologie au séminaire puis j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. En 2003, je suis parti à Lyon faire un master de droit international-droits de l’homme et en médiation avant d’être ordonné prêtre, en 2006, dans la paroisse de Bcharré. Nous avons décidé avec ma femme d’être une “famille missionnaire”, de travailler gratuitement au service des autres. En 2015, ma mère a été assassinée par l’un des orphelins dont elle s’était occupée. J’ai été en proie à une profonde crise spirituelle dont je suis sorti au bout de huit mois. J’ai repris ma mission en aidant les familles dans le besoin, en leur apportant mon soutien psychosocial. Quand la révolte d’octobre 2019 a éclaté, je suis resté quatre mois avec le peuple dans la rue. Mais l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août, m’a plongé dans le désespoir. En voyant les ONG affluer pour secourir les habitants, nous avons eu l’idée avec ma femme d’ouvrir une cantine de rue pour nourrir les humanitaires.»
Non loin des silos du port, la Cuisine de Marie n’était au début qu’une petite cantine parmi les diverses associations humanitaires, dans un vaste hangar endommagé puis réhabilité où le soleil pénètre timidement. Après le départ des ONG, le père Hani aménage l’espace pour cuisiner des repas chauds, aidé d’une dizaine de volontaires: «On sert environ 850 plats chauds par jour, depuis deux ans, aux gens qui ont tout perdu dans l’explosion, ainsi qu’aux immigrés. Ils viennent à midi avec un récipient que l’on remplit à la louche. J’ai également aménagé un espace d’activités en faveur des enfants. Avec l’aide de psychothérapeutes, d’ergothérapeutes et d’orthophonistes, nous avons créé un programme pour accompagner les familles des victimes dans une salle conviviale. Un lieu de vie et de rencontre qui accueille des gens de toutes les religions. On distribue aussi des médicaments, des couches et du lait pour nourrissons.»
Solide comme le cèdre du Liban, le père Hani s’active, met la main à la pâte, dispense autour de lui conseils et support. Il a su s’entourer d’une fidèle équipe: «Ici, c’est la cuisine centrale d’où partent les repas cuisinés. Il y a 6 points de distribution en banlieue où des bénévoles assurent le service aux familles inscrites.»
Le père Hani peut compter sur le soutien sans faille de L’Œuvre d’Orient qui, fidèle à sa vocation depuis 1865, donne aux prêtres et aux communautés religieuses les moyens d’accomplir leurs missions au service de tous.
«Principalement, L’Œuvre d’Orient couvre environ 35 % des donations. Il y a aussi ICO, une association autrichienne catholique qui nous aide depuis six mois et nous offre 10.000 euros tous les trois mois , sachant qu’on dépense 500 dollars par jour. Ce qui est énorme.»
Les liens avec la Côte d’Azur se sont forgés à travers l’association Mon Liban d’Azur qui, en juin 2021, a invité l’équipe de la Fondation Paul Bocuse au Liban: «Le chef Éric Pansu, Meilleur Ouvrier de France, est venu à la Cuisine de Marie préparer un repas. Ce jour-là, nous avons servi plus de 800 plats. Le chef a de même concocté un dîner de gala chez Arthaus Beirut qui a permis de récolter 10.000 dollars. Cette somme m’a été remise et j’ai pu acheter un petit van.» En octobre 2021, c’est le chef Nader Al Bacha qui est venu d’Antibes cuisiner une polenta niçoise aux côtés du Père Hani: «C’était pour nous un rapprochement entre la Côte d’Azur et le Liban. Un moment de partage et de solidarité qui a renforcé nos liens d’amitié.» Un mois plus tard, le boulanger d’Antibes, Jean-Paul Veziano, et une délégation de Saint-Jean-Cap-Ferrat se sont rendus à la Cuisine de Marie pour témoigner leur soutien aux Libanais: «Veziano a fait une énorme quantité de pain délicieux.»
Soucieux de la qualité des produits, le père Hani cultive des terrains laissés à l’abandon à Zouk Mikhael et à Chekka où il fait pousser du blé et donne une part de la récolte aux propriétaires: «Nous sommes ce que j’appelle des partenaires de racines, dit-il en riant. À la Cuisine de Marie, nous cuisinons avec nos récoltes et nous sommes aujourd’hui autosuffisants au niveau du blé. Notre slogan est: de la fourche à la fourchette.»
Des projets en gestation? «Oui, plein de projets! Une grande cuisine qui pourra servir jusqu’à 300 couverts sur place et l’ouverture d’un centre d’accueil pour les sans-abri (le premier au Liban) comporant une pharmacie et offrant un suivi médical et un hébergement. Une initiative qu’on va réaliser avec L’Œuvre d’Orient. J’ai également acheté plusieurs machines pour monter une entreprise de couture. Et j’ai récemment ouvert une menuiserie.» Quant au financement, le père Hani s’en remet à la Providence et répète: «Je suis confiant. Chaque jour, on a des miracles!»
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