4 août 2020
C’était une fin de journée d’un mois d’août très particulier. Sur une plage en Occitanie.
Une fin d’après-midi ensoleillée, une chaude journée d’été.
Alors que la vie osait timidement reprendre son souffle coupé par une pandémie asphyxiante, alors que les cigales chantaient à tue-tête, faisant fi de toute fourmi; alors que la mer abreuvée de soleil narguait le plus résistant des nageurs, il y a eu cette alerte sur mon téléphone.
Une alerte inattendue. Une alerte inconcevable. Inimaginable. Insoutenable. Une alerte qui s’en vient suspendre la vie, durablement.
Explosion. Beyrouth. Port de Beyrouth.
Explosion. Beyrouth. Deux mots que des années de guerre (combien d’années? On finit par ne plus compter) ont fait rimer malgré eux, en une rime absurde et dénuée de toute poésie.
Explosion. Beyrouth.
C’est plus un oxymoron qu’une rime. Ce n’est pas une rime.
C’est fou comme il suffit de deux mots pour que tout bascule. Pour que l’on bascule de nouveau dans l’horreur de ces images en continu qui défilent sur tous les écrans.
C’est fou comme on peut rester les yeux rivés sur ces images d’une violence inouïe sans pour autant cesser de vivre, continuer à boire la bière fraîche que l’on vient tout juste de commander; fumer une cigarette. Et faire des commentaires.
Explosion. Beyrouth.
Je n’ai pas regardé les images. Non. Je n’ai pas assisté, à distance, à ce spectacle de l’horreur. Je n’ai pas retenu mes larmes au goût aussi salé que la mer qui ceint le port de Beyrouth.
Mon corps est resté présent, pieds enfoncés dans le sable chaud de cette plage du sud de la France.
Mon esprit s’en est allé, là-bas.
Là-bas. À Beyrouth. En ce 4 août 2020, au cœur de Beyrouth.
Un couple d’amoureux, grisé par une belle fin d’après-midi estivale, s’embrasse avec frénésie, à l’ombre d’une terrasse en plein cœur du centre-ville de Beyrouth.
Une mamie surveille ses petits-enfants qui croquent avec gourmandise dans les pommes d’amour qu’elle vient de leur acheter. Avec amour.
À quelques mètres de là, à l’abri de la chaleur, dans son appartement, une maman savoure son café à la cardamone, profitant de ces instants de calme. Ses deux fils sont sortis retrouver leurs copains sur la corniche.
Un peu plus loin, une femme, sur son lit d’hôpital, hurle à la mort entre deux contractions.
Bébé prend son temps pour venir au monde. Et Dieu que l’attente est longue!
Pourtant, cela fait neuf mois qu’elle attend d’être mère. Et ces dernières heures lui paraissent aussi longues que les neuf mois.
Beyrouth l’insouciante. La vie malgré tout et en dépit de tout.
Peuple résilient? Foutaises! Foutaises!
Jusqu’où peut aller la «résilience» d’un peuple qui a déjà été mis à genoux mille et mille fois?
Et à quoi cela mène, la résilience? À alimenter le temps d’une bière, la conversation?
Elle a bon dos, la résilience d’un peuple que l’on poignarde en continu, creusant un peu plus dans ses entrailles, jusqu’à ce qu’aucune cicatrisation ne puisse jamais être espérée.
Explosion. Beyrouth.
Inutile de voir les images qui défilent sur les écrans. Inutile, parce que je le sais, parce que j’ai gardé la mémoire de Beyrouth en temps de guerre.
Je sais les scènes apocalyptiques.
J’entends les sirènes hurler à la mort. Les victimes innocentes. Les vies fauchées, pour rien.
Les chiens qui aboient. La fumée qui s’infiltre jusque dans les poumons. Et qui étouffe.
Le ciel bleu de Beyrouth qui s’est teinté de rouge, d’orange, vrillé par des colonnes de fumée noire.
Je vois la terrasse du café balayée par le souffle de l’explosion, les chaises et les tables désarticulées voltigeant dans les airs assombris.
Que sont devenus les amoureux? Ne s’embrasseront-ils donc plus jamais? Et pourquoi? Évanouis, la mamie et ses petits-enfants. Et toutes les pommes d’amour.
Dans son appartement, à quelques mètres de là, la tasse de café n’est plus qu’un amas de débris. L’appartement n’est plus.
Et les jeunes sur la corniche? Ont-ils retrouvé leurs copains? Retrouveront-ils leur mère? Entre les murs de la chambre d’hôpital, non loin de là, c’est le chaos. Il n’y a plus d’électricité. Les ambulances se succèdent, ramenant les rares survivants que l’on tente, dans la panique, de maintenir en vie.
Dernières contractions. Elle pousse de toutes ses forces. Elle pousse. Un cri strident vrille l’espace de la chambre.
Bébé vient au monde. En ce 4 août 2020. À Beyrouth. Qui n’est plus Beyrouth.
Une explosion de vie contre une explosion meurtrière, criminelle, qui ôte la vie à 233 personnes.
233 vies fauchées. Un crime impuni. Comme tant de crimes au Liban (pour ne pas dire tous les crimes).
Mais, de-ci de-là, on continue à saluer la résilience d’un peuple.
Foutaises!
Il n’y a rien à saluer. Sinon, un jour peut-être, une explosion de réactions, de révolte, de soulèvement, de refus. Du refus de la résilience silencieuse.
C’était une fin de journée d’un mois d’août très particulier. Sur une plage en Occitanie.
Une fin d’après-midi ensoleillée, une chaude journée d’été.
Alors que la vie osait timidement reprendre son souffle coupé par une pandémie asphyxiante, alors que les cigales chantaient à tue-tête, faisant fi de toute fourmi; alors que la mer abreuvée de soleil narguait le plus résistant des nageurs, il y a eu cette alerte sur mon téléphone.
Une alerte inattendue. Une alerte inconcevable. Inimaginable. Insoutenable. Une alerte qui s’en vient suspendre la vie, durablement.
Explosion. Beyrouth. Port de Beyrouth.
Explosion. Beyrouth. Deux mots que des années de guerre (combien d’années? On finit par ne plus compter) ont fait rimer malgré eux, en une rime absurde et dénuée de toute poésie.
Explosion. Beyrouth.
C’est plus un oxymoron qu’une rime. Ce n’est pas une rime.
C’est fou comme il suffit de deux mots pour que tout bascule. Pour que l’on bascule de nouveau dans l’horreur de ces images en continu qui défilent sur tous les écrans.
C’est fou comme on peut rester les yeux rivés sur ces images d’une violence inouïe sans pour autant cesser de vivre, continuer à boire la bière fraîche que l’on vient tout juste de commander; fumer une cigarette. Et faire des commentaires.
Explosion. Beyrouth.
Je n’ai pas regardé les images. Non. Je n’ai pas assisté, à distance, à ce spectacle de l’horreur. Je n’ai pas retenu mes larmes au goût aussi salé que la mer qui ceint le port de Beyrouth.
Mon corps est resté présent, pieds enfoncés dans le sable chaud de cette plage du sud de la France.
Mon esprit s’en est allé, là-bas.
Là-bas. À Beyrouth. En ce 4 août 2020, au cœur de Beyrouth.
Un couple d’amoureux, grisé par une belle fin d’après-midi estivale, s’embrasse avec frénésie, à l’ombre d’une terrasse en plein cœur du centre-ville de Beyrouth.
Une mamie surveille ses petits-enfants qui croquent avec gourmandise dans les pommes d’amour qu’elle vient de leur acheter. Avec amour.
À quelques mètres de là, à l’abri de la chaleur, dans son appartement, une maman savoure son café à la cardamone, profitant de ces instants de calme. Ses deux fils sont sortis retrouver leurs copains sur la corniche.
Un peu plus loin, une femme, sur son lit d’hôpital, hurle à la mort entre deux contractions.
Bébé prend son temps pour venir au monde. Et Dieu que l’attente est longue!
Pourtant, cela fait neuf mois qu’elle attend d’être mère. Et ces dernières heures lui paraissent aussi longues que les neuf mois.
Beyrouth l’insouciante. La vie malgré tout et en dépit de tout.
Peuple résilient? Foutaises! Foutaises!
Jusqu’où peut aller la «résilience» d’un peuple qui a déjà été mis à genoux mille et mille fois?
Et à quoi cela mène, la résilience? À alimenter le temps d’une bière, la conversation?
Elle a bon dos, la résilience d’un peuple que l’on poignarde en continu, creusant un peu plus dans ses entrailles, jusqu’à ce qu’aucune cicatrisation ne puisse jamais être espérée.
Explosion. Beyrouth.
Inutile de voir les images qui défilent sur les écrans. Inutile, parce que je le sais, parce que j’ai gardé la mémoire de Beyrouth en temps de guerre.
Je sais les scènes apocalyptiques.
J’entends les sirènes hurler à la mort. Les victimes innocentes. Les vies fauchées, pour rien.
Les chiens qui aboient. La fumée qui s’infiltre jusque dans les poumons. Et qui étouffe.
Le ciel bleu de Beyrouth qui s’est teinté de rouge, d’orange, vrillé par des colonnes de fumée noire.
Je vois la terrasse du café balayée par le souffle de l’explosion, les chaises et les tables désarticulées voltigeant dans les airs assombris.
Que sont devenus les amoureux? Ne s’embrasseront-ils donc plus jamais? Et pourquoi? Évanouis, la mamie et ses petits-enfants. Et toutes les pommes d’amour.
Dans son appartement, à quelques mètres de là, la tasse de café n’est plus qu’un amas de débris. L’appartement n’est plus.
Et les jeunes sur la corniche? Ont-ils retrouvé leurs copains? Retrouveront-ils leur mère? Entre les murs de la chambre d’hôpital, non loin de là, c’est le chaos. Il n’y a plus d’électricité. Les ambulances se succèdent, ramenant les rares survivants que l’on tente, dans la panique, de maintenir en vie.
Dernières contractions. Elle pousse de toutes ses forces. Elle pousse. Un cri strident vrille l’espace de la chambre.
Bébé vient au monde. En ce 4 août 2020. À Beyrouth. Qui n’est plus Beyrouth.
Une explosion de vie contre une explosion meurtrière, criminelle, qui ôte la vie à 233 personnes.
233 vies fauchées. Un crime impuni. Comme tant de crimes au Liban (pour ne pas dire tous les crimes).
Mais, de-ci de-là, on continue à saluer la résilience d’un peuple.
Foutaises!
Il n’y a rien à saluer. Sinon, un jour peut-être, une explosion de réactions, de révolte, de soulèvement, de refus. Du refus de la résilience silencieuse.
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