La version libanaise de la théorie du droit divin
L’archevêque Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) est un évêque, prédicateur et écrivain français, probablement très peu connu du grand public au Liban. Cet homme d’Église était non seulement un grand orateur, mais également l’un des plus grands théoriciens en droit divin, une croyance largement répandue en Europe aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, selon laquelle le roi détenait un pouvoir absolu, de droit divin justement, qui ne peut pas faire l’objet d’une quelconque contestation ou opposition.

La théorie du droit divin a longtemps été le pilier de la vie politique dans de nombreux pays européens, et ce, jusqu’au déclenchement de la Glorieuse Révolution en Grande-Bretagne en 1688, qui a conduit au renversement du roi James II, pour avoir utilisé à outrance cette autorité absolue et creusé un fossé énorme entre le peuple britannique et le pouvoir.

Cent ans plus tard, la Révolution française a radicalement changé le cours de l’Histoire et a consacré une nouvelle ère sur les plans politique, économique et social. Parallèlement, les États-Unis d’Amérique, qui connaissaient de grands développements après la guerre de Sécession, ont inscrit dans leur Constitution de nouveaux principes de droit civique.

La séparation de la religion et de l’État a été le fruit de grandes luttes politiques. Son succès a notamment permis une grande renaissance culturelle, sociale et humaine qui a contribué à façonner l'Europe, faisant du Vieux Continent une civilisation du progrès aboutie dans de nombreux domaines. Le monde arabe, quant à lui, est resté à la traîne de ce mouvement évolutionniste en raison de la prédominance des dissensions sectaires et religieuses au sein de ses différentes sociétés, devenues captives du passé avec toutes ses complexités, ses problèmes et ses héritages.

Par ailleurs, ces conflits sectaires ont été alimentés par la Révolution islamique en Iran, déclenchée en 1979 par différentes factions qui ont rapidement été écartées en usant de moult moyens pour faire place à une révolution à caractère purement religieux. Une révolution qui a changé le cours des événements dans la région arabe et au Moyen-Orient, et ouvert la voie à la course à l’extrémisme avec d’autres pays dans la région.

La guerre qui a opposé l'Irak et l'Iran de 1980 à 1988 n'a fait que consacrer ces divisions, outre les énormes pertes humaines et économiques qu’elle a engendrées. Le conflit régional aigu s'est rapidement transformé en conflits sporadiques par procuration, comme ce fut le cas au plus fort de la guerre froide, qui a opposé les deux pôles, à savoir, les États-Unis et l’Union soviétique avant sa chute en 1991.

Cependant, malgré l'intensité de tous ces conflits sanglants, l’éthique de la guerre observée, à quelques exceptions près, notamment dans les médias ou autres plateformes, a rarement frôlé les discours religieux à proprement parler.

Or, force est de constater que le dernier discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a dérogé à cette règle, lorsqu'il a déclaré avoir été chargé par Dieu de sa mission ici-bas, retirant de la sorte à quiconque le droit de remettre en cause le rôle politique, militaire et sécuritaire que le parti chiite exerce à plus d’un niveau. Le secrétaire général du Hezbollah s’est carrément réapproprié la théorie du droit divin, en vogue en Europe au XVIIᵉ siècle, et qui est désormais révolue.


Les réseaux sociaux n'ont pas tardé à rebondir sur ce discours tellement archaïque par son contenu, et tout aussi inédit par sa forme, sa clarté et sa franchise. Les réactions aux propos du secrétaire général du Hezbollah, qui a été droit au but, ont oscillé entre appui et désapprobation. Si l'on comprend bien les objections de la part d’une opinion publique de plus en plus critique de la politique du parti et de son rôle tentaculaire dans la région, il serait en revanche légitime de se poser des questions sur les fervents partisans de cette nouvelle conception du pouvoir avancée par Hassan Nasrallah.

Qu’un citoyen soutienne un parti ou un autre est somme toute naturel et compréhensible dans le cadre de la vie politique. Qu’un parti cherche à soulever des vagues de soutien populaire en fonction de ses positions politiques et de ses programmes dans le but de renforcer sa position sur la scène locale est également compréhensible. Tous les partis politiques se font concurrence afin d’obtenir une plus grande part de représentation politique au sein des institutions constitutionnelles.

Mais qu'un parti recoure à ce type de rhétorique d’un autre temps, fondée sur la dimension religieuse, dans le seul but d’attirer un soutien plus large de la société, sans qu’il ait de compte à rendre, est des plus surprenants et soulève des points d'interrogation majeurs sur les perspectives de ce discours et ses répercussions nationales. Plus grave encore reste le message implicite véhiculé aux autres forces politiques qui sont fondamentalement opposées au projet politique du parti de Dieu. En d’autres termes, toute opposition à l’avenir laissera à penser qu’il s’agit d’une opposition aux dimensions religieuses sur lesquelles se fondent les actions du parti, son idéologie et ses agissements.

Le Hezbollah a toujours fièrement revendiqué sa politique inspirée de la doctrine islamique, ainsi que son programme politique qui vise à établir un état islamique au Liban, même s’il a revu sa copie et prétend vouloir l’approbation des forces locales pour ce faire. En réalité, le parti chiite est conscient de l’impossibilité de l’aboutissement de ce projet, compte tenu des considérations historiques, politiques, communautaires et sectaires propres au Liban.

De ce fait, l'opinion publique a tous les droits de poser une question fondamentale liée au sens de ce repli tactique opéré par Hassan Nasrallah et de son recours à cette rhétorique teintée d’une dimension religieuse aussi marquante à ce moment-là en particulier.

Partant, il est très légitime de s’interroger sur la portée de ce discours sur le plan local ou régional, surtout à un moment où les tensions régionales sont à leur comble et que le dossier crucial de la délimitation des frontières maritimes est sur le point d’être bouclé!

 
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