©Le taux de change du rouble se situe actuellement aux alentours de 61 roubles pour un dollar, une performance bien meilleure que celle des deux années précédant l’invasion, un dollar valant alors entre 70 et 74 roubles (AFP)
Malgré les sanctions occidentales, le cours du rouble est au plus fort et a même atteint un record historique vis-à-vis du dollar durant le mois de juillet. Une bonne santé économique qui s’explique par l’amélioration de la balance commerciale et la politique de contrôle des capitaux mise en œuvre par la Banque centrale russe.
Alors que l'euro s'est fortement déprécié depuis le début du conflit, le rouble a considérablement gagné en valeur. (AFP)
Quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, c’était la panique sur les marchés financiers russes : le cours du rouble s’effondrait à des niveaux jamais atteints dans l’histoire récente du pays, atteignant 139 roubles pour un dollar. Cette dévaluation massive intervenait peu après l’imposition d’une série de sanctions occidentales contre l’économie russe ; des sanctions qui contraignaient fortement la capacité du pays à commercer avec l’étranger et à accéder à ses réserves monétaires.
Parmi les mesures prises par l’Occident, le gel de plus de la moitié des réserves monétaires de la Banque centrale russe, estimées à 643 milliards de dollars fin février, provoqua un véritable exode des investisseurs qui devaient abandonner rapidement le rouble. Une première victoire pour le président Joe Biden, qui attribua aussitôt cette dévaluation à l’impact des sanctions occidentales, soulignant fin mars que « le rouble est réduit à l’état de ruines » (Russia’s ruble is reduced to rubble).
La satisfaction sera de courte durée pour les Occidentaux : après la chute initiale, le rouble russe a connu une remontée spectaculaire, et a renversé même le record de début mars. Son cours a atteint en effet le 30 juin le taux de 52 roubles pour un dollar, un niveau jamais atteint depuis sept ans.
Le taux de change se situe actuellement aux alentours de 61 roubles pour un dollar, un taux bien meilleur que celui des deux années précédant l’invasion, lorsque le dollar valait alors entre 70 et 74 roubles. Pour le Kremlin, le constat est clair : les sanctions occidentales ont échoué à faire imploser l’économie russe. La santé du rouble contraste avec la dévaluation de l’euro, qui a même frôlé la parité avec le dollar début juillet, une première depuis vingt ans.
Les pétrodollars affluent et soutiennent la monnaie russe
Sous la direction de Sergei Belov, la Banque centrale russe a appliqué une politique drastique de défense du rouble russe, incluant contrôle des changes et achat massif de rouble sur les marchés. (AFP)
Le taux de change d’une monnaie, s’il est flottant comme dans le cas de la Russie, est essentiellement défini par l’état de sa balance courante, c’est-à-dire la somme des échanges internationaux de biens et de services. Une balance courante négative signifie que le pays importe plus qu’il n’exporte, et donc envoie davantage de devises à l’étranger qu’il n’en reçoit, ce qui impactera négativement la demande sur sa monnaie.
Dans le cas de la Russie, le cours du rouble est largement tributaire des fluctuations des prix des hydrocarbures. En 2019, les hydrocarbures représentaient 39% des recettes du budget fédéral, 60% des exportations, et 14% du PIB annuel, selon la Higher School of Economics de Moscou. Des chiffres impressionnants, alors que le cours moyen du baril de Brent n’était que de 64,34 dollars cette année-là, soit largement inférieur aux 97 dollars actuels.
L’une des principales raisons pour laquelle le rouble résiste est simple : le compte courant de la Russie a atteint un surplus astronomique de 166,6 milliards de dollars lors des sept premiers mois de 2022, un chiffre bien supérieur aux 50 milliards atteints en 2021. L’incapacité des États occidentaux à se sevrer du gaz russe et l’achat massif par la Chine et l’Inde du pétrole russe ont permis à Moscou de poursuivre ses exportations et de faire des profits considérables malgré les sanctions.
Parallèlement, le volume des importations russes est retourné aux niveaux atteints au début des années 2000 du fait des sanctions occidentales, selon the Moscow Time. Les données sur les exportations de vingt des principaux partenaires commerciaux de la Russie montrent une baisse de 50 % par rapport au même mois d’il y a un an.
L’équation est donc positive pour la balance courante et le cours du rouble, couronnée « devise la plus performante de l’année » par les experts économiques internationaux.
Une politique drastique de défense de la monnaie
La Banque centrale russe n’est pas étrangère à cette performance : immédiatement après l’imposition des sanctions occidentales, l’institution a émis une série de mesures visant à stabiliser la monnaie et éviter une fuite massive des capitaux vers l’étranger.
Parmi ces mesures, on peut citer un strict contrôle des capitaux, l’augmentation du taux d’intérêt de 9.5% à 20%, l’obligation pour les exportateurs d’échanger 80% de leurs profits en monnaie étrangères avant trois jours, ou encore l’interdiction aux investisseurs étrangers de transférer leurs dividendes hors du pays.
Quelques semaines plus tard, le président Poutine signait deux décrets qui augmentaient considérablement la demande en devises locales : l’imposition aux pays jugés « hostiles » de payer le gaz russe en roubles, et la possibilité pour les compagnies russes de payer leur dette libellée en dollars en roubles, sans l’accord du créancier.
Il est devenu presque impossible pour un citoyen russe de se procurer des monnaies étrangères. Mais, en réalité, la demande sur les monnaies étrangères s’est tout simplement évaporée. Les compagnies possédant des devises étrangères, incapables de les envoyer à l’étranger et faisant face à des restrictions et des taxes bancaires importantes à l’intérieur de la Russie, s’en débarrassaient en masse et contribuaient à renforcer le cours du rouble.
Il est devenu très difficile pour les compagnies étrangères de vendre leurs actifs en Russie, et encore plus de convertir leur capital et le transférer dans leur pays d’origine, ce qui limite la fuite des capitaux. En guise d’exemple, les nombreuses filiales de compagnies occidentales qui ont déserté le marché russe sont contraintes de céder leurs activités à des partenaires locaux, souvent à des prix dérisoires.
Pour couronner le tout, des interventions massives de la Banque centrale sur les marchés financiers ont permis au rouble de se renforcer. Le pays dispose encore de près de 200 milliards de dollars de réserves monétaires, qu’il a utilisées pour acheter en masse des roubles et améliorer son cours vis-à-vis des monnaies étrangères.
Un effet en demi-teinte
Est-ce là, pour autant, un signe de bonne santé de l’économie russe ? La réponse est en demi-teinte : l’appréciation du rouble a permis de limiter l’inflation, mais risque de fragiliser l’économie.
La Russie est une économie exportatrice d’hydrocarbures, ce qui l’expose à la « maladie hollandaise », soit une surévaluation de sa monnaie due à l’afflux de capitaux étrangers qui risque de fragiliser son industrie productive et diminuer sa compétitivité. C’est pourquoi la Banque centrale rachetait traditionnellement les pétrodollars pour se constituer une réserve monétaire et empêcher l’appréciation de la monnaie, ce qui aurait eu aussi un effet négatif sur les comptes publics, les recettes des hydrocarbures étant principalement libellées en dollars.
L’interruption de cette politique, remplacée par l’achat massif de roubles, est en partie à l’origine de ce rouble fort. Pour contrer ce phénomène, la Banque centrale russe a récemment baissé le taux d’intérêt de 20 à 8.5%, a repris ses achats en dollars et en euros, et levé une partie des restrictions aux mouvements de capitaux. Un revirement qui montre bien que la Russie est autant bénéficiaire que victime de cette embellie monétaire, malgré ses rodomontades diplomatiques.
Le rouble, bien que fort, est de plus en plus inutile en dehors du pays. De nombreuses banques étrangères refusent de l’utiliser comme moyen de paiement, la Russie est exclue du système SWIFT de paiement international, et les sanctions empêchent les importateurs russes d’acquérir des biens à l’étranger. Un véritable « effet Potemkin » (phénomène de prospérité illusoire) que cultive le régime pour souligner la résilience de l’économie russe face aux sanctions.
Il est même possible d’affirmer que les sanctions occidentales ont renforcé l’action de la Banque centrale russe, en empêchant les Russes de dépenser leur argent en dehors de leur pays, ce qui a fortement limité la fuite des capitaux. Ainsi, la valeur forte du rouble est un symptôme de l’isolement économique et financier du pays, et ne dissimule pas le reste des indicateurs économiques russes : augmentation de la pauvreté, inflation, effondrement de certains secteurs de l’industrie, et fuite des cerveaux.
Alors que l'euro s'est fortement déprécié depuis le début du conflit, le rouble a considérablement gagné en valeur. (AFP)
Quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, c’était la panique sur les marchés financiers russes : le cours du rouble s’effondrait à des niveaux jamais atteints dans l’histoire récente du pays, atteignant 139 roubles pour un dollar. Cette dévaluation massive intervenait peu après l’imposition d’une série de sanctions occidentales contre l’économie russe ; des sanctions qui contraignaient fortement la capacité du pays à commercer avec l’étranger et à accéder à ses réserves monétaires.
Parmi les mesures prises par l’Occident, le gel de plus de la moitié des réserves monétaires de la Banque centrale russe, estimées à 643 milliards de dollars fin février, provoqua un véritable exode des investisseurs qui devaient abandonner rapidement le rouble. Une première victoire pour le président Joe Biden, qui attribua aussitôt cette dévaluation à l’impact des sanctions occidentales, soulignant fin mars que « le rouble est réduit à l’état de ruines » (Russia’s ruble is reduced to rubble).
La satisfaction sera de courte durée pour les Occidentaux : après la chute initiale, le rouble russe a connu une remontée spectaculaire, et a renversé même le record de début mars. Son cours a atteint en effet le 30 juin le taux de 52 roubles pour un dollar, un niveau jamais atteint depuis sept ans.
Le taux de change se situe actuellement aux alentours de 61 roubles pour un dollar, un taux bien meilleur que celui des deux années précédant l’invasion, lorsque le dollar valait alors entre 70 et 74 roubles. Pour le Kremlin, le constat est clair : les sanctions occidentales ont échoué à faire imploser l’économie russe. La santé du rouble contraste avec la dévaluation de l’euro, qui a même frôlé la parité avec le dollar début juillet, une première depuis vingt ans.
Les pétrodollars affluent et soutiennent la monnaie russe
Sous la direction de Sergei Belov, la Banque centrale russe a appliqué une politique drastique de défense du rouble russe, incluant contrôle des changes et achat massif de rouble sur les marchés. (AFP)
Le taux de change d’une monnaie, s’il est flottant comme dans le cas de la Russie, est essentiellement défini par l’état de sa balance courante, c’est-à-dire la somme des échanges internationaux de biens et de services. Une balance courante négative signifie que le pays importe plus qu’il n’exporte, et donc envoie davantage de devises à l’étranger qu’il n’en reçoit, ce qui impactera négativement la demande sur sa monnaie.
Dans le cas de la Russie, le cours du rouble est largement tributaire des fluctuations des prix des hydrocarbures. En 2019, les hydrocarbures représentaient 39% des recettes du budget fédéral, 60% des exportations, et 14% du PIB annuel, selon la Higher School of Economics de Moscou. Des chiffres impressionnants, alors que le cours moyen du baril de Brent n’était que de 64,34 dollars cette année-là, soit largement inférieur aux 97 dollars actuels.
L’une des principales raisons pour laquelle le rouble résiste est simple : le compte courant de la Russie a atteint un surplus astronomique de 166,6 milliards de dollars lors des sept premiers mois de 2022, un chiffre bien supérieur aux 50 milliards atteints en 2021. L’incapacité des États occidentaux à se sevrer du gaz russe et l’achat massif par la Chine et l’Inde du pétrole russe ont permis à Moscou de poursuivre ses exportations et de faire des profits considérables malgré les sanctions.
Parallèlement, le volume des importations russes est retourné aux niveaux atteints au début des années 2000 du fait des sanctions occidentales, selon the Moscow Time. Les données sur les exportations de vingt des principaux partenaires commerciaux de la Russie montrent une baisse de 50 % par rapport au même mois d’il y a un an.
L’équation est donc positive pour la balance courante et le cours du rouble, couronnée « devise la plus performante de l’année » par les experts économiques internationaux.
Une politique drastique de défense de la monnaie
La Banque centrale russe n’est pas étrangère à cette performance : immédiatement après l’imposition des sanctions occidentales, l’institution a émis une série de mesures visant à stabiliser la monnaie et éviter une fuite massive des capitaux vers l’étranger.
Parmi ces mesures, on peut citer un strict contrôle des capitaux, l’augmentation du taux d’intérêt de 9.5% à 20%, l’obligation pour les exportateurs d’échanger 80% de leurs profits en monnaie étrangères avant trois jours, ou encore l’interdiction aux investisseurs étrangers de transférer leurs dividendes hors du pays.
Quelques semaines plus tard, le président Poutine signait deux décrets qui augmentaient considérablement la demande en devises locales : l’imposition aux pays jugés « hostiles » de payer le gaz russe en roubles, et la possibilité pour les compagnies russes de payer leur dette libellée en dollars en roubles, sans l’accord du créancier.
Il est devenu presque impossible pour un citoyen russe de se procurer des monnaies étrangères. Mais, en réalité, la demande sur les monnaies étrangères s’est tout simplement évaporée. Les compagnies possédant des devises étrangères, incapables de les envoyer à l’étranger et faisant face à des restrictions et des taxes bancaires importantes à l’intérieur de la Russie, s’en débarrassaient en masse et contribuaient à renforcer le cours du rouble.
Il est devenu très difficile pour les compagnies étrangères de vendre leurs actifs en Russie, et encore plus de convertir leur capital et le transférer dans leur pays d’origine, ce qui limite la fuite des capitaux. En guise d’exemple, les nombreuses filiales de compagnies occidentales qui ont déserté le marché russe sont contraintes de céder leurs activités à des partenaires locaux, souvent à des prix dérisoires.
Pour couronner le tout, des interventions massives de la Banque centrale sur les marchés financiers ont permis au rouble de se renforcer. Le pays dispose encore de près de 200 milliards de dollars de réserves monétaires, qu’il a utilisées pour acheter en masse des roubles et améliorer son cours vis-à-vis des monnaies étrangères.
Un effet en demi-teinte
Est-ce là, pour autant, un signe de bonne santé de l’économie russe ? La réponse est en demi-teinte : l’appréciation du rouble a permis de limiter l’inflation, mais risque de fragiliser l’économie.
La Russie est une économie exportatrice d’hydrocarbures, ce qui l’expose à la « maladie hollandaise », soit une surévaluation de sa monnaie due à l’afflux de capitaux étrangers qui risque de fragiliser son industrie productive et diminuer sa compétitivité. C’est pourquoi la Banque centrale rachetait traditionnellement les pétrodollars pour se constituer une réserve monétaire et empêcher l’appréciation de la monnaie, ce qui aurait eu aussi un effet négatif sur les comptes publics, les recettes des hydrocarbures étant principalement libellées en dollars.
L’interruption de cette politique, remplacée par l’achat massif de roubles, est en partie à l’origine de ce rouble fort. Pour contrer ce phénomène, la Banque centrale russe a récemment baissé le taux d’intérêt de 20 à 8.5%, a repris ses achats en dollars et en euros, et levé une partie des restrictions aux mouvements de capitaux. Un revirement qui montre bien que la Russie est autant bénéficiaire que victime de cette embellie monétaire, malgré ses rodomontades diplomatiques.
Le rouble, bien que fort, est de plus en plus inutile en dehors du pays. De nombreuses banques étrangères refusent de l’utiliser comme moyen de paiement, la Russie est exclue du système SWIFT de paiement international, et les sanctions empêchent les importateurs russes d’acquérir des biens à l’étranger. Un véritable « effet Potemkin » (phénomène de prospérité illusoire) que cultive le régime pour souligner la résilience de l’économie russe face aux sanctions.
Il est même possible d’affirmer que les sanctions occidentales ont renforcé l’action de la Banque centrale russe, en empêchant les Russes de dépenser leur argent en dehors de leur pays, ce qui a fortement limité la fuite des capitaux. Ainsi, la valeur forte du rouble est un symptôme de l’isolement économique et financier du pays, et ne dissimule pas le reste des indicateurs économiques russes : augmentation de la pauvreté, inflation, effondrement de certains secteurs de l’industrie, et fuite des cerveaux.
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