Revival est une exposition de Tom Young et un concert de piano de Dr Tony Karam dans le Hammam al-Jadid de la vieille ville de Saïda.
Pour y accéder, il a fallu marcher dans le vieux souk baigné de noir ; il a fallu se frayer un passage entre les marchands de légumes et les poissonniers ; il a fallu ne pas glisser sur l’ancien pavé mouillé de pluie, par cet après-midi de novembre.
Puis de l’assombrissement à la lumière, de la misère à la splendeur. Le Liban de tous les paradoxes s’est présenté à nos yeux ébahis et à nos oreilles extasiées, dans un moment de beauté inouïe, dans une lueur de joie logée derrière l’ancienne porte de pierre centenaire, de ce lieu riche en histoire, haut en culture.
Il s’agit en effet d’absence et de présence, d’ombre et de lumière, de mort et de vie. C’est le renouveau, la relance et le réveil.
D’où le titre de l’exposition en anglais : Revival.
Tom Young, l’artiste britannique ayant visité le Liban en 2006, s’y installe définitivement en 2009 et entreprend de peindre le patrimoine libanais, sa beauté et son charme, à travers son pinceau venu d’ailleurs. Lorsque je lui demande comment se fait-il qu’il ait élu domicile dans notre pays, il me répond simplement : « Lebanon is home. »
Tom Young, architecte de formation et, n’ayant pas d’archives à sa disposition, fait ses recherches personnelles pour essayer de dépeindre les histoires de ce hammam situé en plein cœur de la ville de Saïda. Il rencontre des témoins du passé dont il filme les propos qu’il projette ensuite dans le contexte de l’exposition. On comprend qu’avant 1949, le hammam est vivant et plein d’amour ; c’est un lieu de rencontres entre les différents milieux sociaux culturels et religieux. On y vient pour se laver, pour célébrer des cérémonies et rituels de purification prémariage. C’est un lieu de rencontre pour les femmes durant la journée et pour les hommes en soirée.
Lorsque l’eau est devenue source courante dans les maisons privées et que le tremblement de terre de 1956 a détruit la ville de Saïda, le hammam a perdu son rôle essentiel.
Inspiré par la passion et l’enthousiasme du propriétaire, Said Bacho, et par la sensibilité du chef de restauration, Omar Haidar, Tom Young décide de transformer avec eux cet endroit détruit en une aire d’exposition unique en son genre. L’aventure commence en 2019 et le site est réinventé pour en faire un lieu culturel.
Tom Young se souvient avoir visité le souk de la ville de Saïda plusieurs années auparavant avec sa sœur, aujourd’hui décédée. Peindre ses souvenirs pris en photos cette nuit-là avec elle provoque en lui un sens de spiritualité où l’absence et la présence coexistent. Le passage de l’assombrissement vers la lumière est donc un élément essentiel dans ses toiles. Il vit et travaille dans le site pour mieux connaître les gens, pour découvrir leurs histoires et pour recréer leurs souvenirs enfouis dans les pierres de la ville.
Dans ses toiles exposées dans ce nouveau hammam (Hammam al-Jadid), on ressent parfois ce même vide, cette absence ; ces éléments qui devraient être ajoutés, qui devraient pousser à réfléchir, comme cette eau qui coule sur la peau et qui provoque une certaine transparence entre la masseuse et le baigneur, avec une sensualité et une pudeur. La touche de pinceau se fait voir avec émotion sur des toiles qui se perdent dans un labyrinthe où de multiples histoires se créent et où s’inventent des souvenirs.
C’est dans cet environnement enchanteur que le piano à queue du Dr Tony Karam a été installé. Pour redonner vie à ce site vieux de trois cents ans, quoi de plus merveilleux que de découvrir l’instrument de musique trônant majestueusement au milieu du hall central, devant la splendide fontaine dont l’eau s’est remise à couler, et avant d’aller découvrir les petits spas et le grand sauna.
Le Dr Tony Karam, qui nous a déjà fait voyager trois semaines plus tôt au Musée Sursock, vers un monde de musique haut en couleur et en sensations fébriles, a choisi de nous transporter vers cet univers fantastique, en concoctant un répertoire de morceaux musicaux savamment choisis pour mettre en valeur ce lieu historique dans lequel il joue. Médecin et pianiste, il est tout autant artiste dans sa musique que dans sa science et considère que l’art est vivant, exactement comme ces petits êtres humains qu’il aide à naître dans les salles d’accouchement. C’est aussi dans les salles de concert qu’il accouche des merveilles de mélodies qui font couler des larmes d’émotion vive.
Lorsque l’ambiance est si chaleureuse et intime, que l’on ne se trouve pas dans un amphithéâtre prestigieux, mais dans une salle baignée de culture, d’histoire et de souvenirs, rien de plus naturel que de se laisser emporter par une musique divine, à la lumière des chandelles.
L’éclairage est en effet un élément fort dans ce lieu, théâtre où les cinq sens sont en ébullition. On voit le pianiste en contrejour devant une toile gigantesque représentant une scène vivante du hammam, on sent l’odeur du savon et de toutes les senteurs d’époque, on écoute l’Adagio de Bach et l’on sait que le voyage ne fait que commencer. On déguste ses instants de bonheur et on touche sur le clavier de l’artiste, et avec lui, à des moments intenses. On pleure. On frissonne. On vit.
Puis on écoute une étude de Chopin et les doigts du pianiste éclaboussent les touches pour faire éclater la musique en une révolution auditive. On croit qu’on n’en entendra pas de meilleure, puis vient Standchen de Schubert, revisité par Liszt, Horowitz puis Karam, et l’on se laisse glisser vers une douce mélancolie, une lente éclosion d’amour, un sentiment de manque doublé d’espoir. On croit qu’on est seul au milieu des notes qui volent dans les vapeurs du hammam. Et puis, au milieu d’une sonate de Ravel et avec le cliquetis de la fontaine centrale, la scénographie provoque l’émerveillement. Le spectateur joue avec le pianiste, sur un clavier qui flotte dans une atmosphère embuée de larmes et de nuées.
Lorsque Rachmaninoff et Prokofiev font la compétition pour clôturer le concert en beauté, le Dr Karam joue avec une maîtrise inouïe ces morceaux d’une difficulté rare, où la main gauche est mise en avant-première. On a le souffle coupé. On prend part à la force de l’art. On ressent la musique dans les veines, dans la tête ; on s’en imprègne jusqu’aux tréfonds de notre âme.
Une expérience unique vient d’être vécue, là où la musique et la peinture fusionnent au milieu d’une architecture ancestrale. On repart vers des moments historiques vécus trois cents ans plus tôt. On imagine des légendes, on sent le parfum d’un autre temps, on rêve d’un monde meilleur.
On refait la ville de Saïda… dans un bain de jouvence.
Pour y accéder, il a fallu marcher dans le vieux souk baigné de noir ; il a fallu se frayer un passage entre les marchands de légumes et les poissonniers ; il a fallu ne pas glisser sur l’ancien pavé mouillé de pluie, par cet après-midi de novembre.
Puis de l’assombrissement à la lumière, de la misère à la splendeur. Le Liban de tous les paradoxes s’est présenté à nos yeux ébahis et à nos oreilles extasiées, dans un moment de beauté inouïe, dans une lueur de joie logée derrière l’ancienne porte de pierre centenaire, de ce lieu riche en histoire, haut en culture.
Il s’agit en effet d’absence et de présence, d’ombre et de lumière, de mort et de vie. C’est le renouveau, la relance et le réveil.
D’où le titre de l’exposition en anglais : Revival.
Tom Young, l’artiste britannique ayant visité le Liban en 2006, s’y installe définitivement en 2009 et entreprend de peindre le patrimoine libanais, sa beauté et son charme, à travers son pinceau venu d’ailleurs. Lorsque je lui demande comment se fait-il qu’il ait élu domicile dans notre pays, il me répond simplement : « Lebanon is home. »
Tom Young, architecte de formation et, n’ayant pas d’archives à sa disposition, fait ses recherches personnelles pour essayer de dépeindre les histoires de ce hammam situé en plein cœur de la ville de Saïda. Il rencontre des témoins du passé dont il filme les propos qu’il projette ensuite dans le contexte de l’exposition. On comprend qu’avant 1949, le hammam est vivant et plein d’amour ; c’est un lieu de rencontres entre les différents milieux sociaux culturels et religieux. On y vient pour se laver, pour célébrer des cérémonies et rituels de purification prémariage. C’est un lieu de rencontre pour les femmes durant la journée et pour les hommes en soirée.
Lorsque l’eau est devenue source courante dans les maisons privées et que le tremblement de terre de 1956 a détruit la ville de Saïda, le hammam a perdu son rôle essentiel.
Inspiré par la passion et l’enthousiasme du propriétaire, Said Bacho, et par la sensibilité du chef de restauration, Omar Haidar, Tom Young décide de transformer avec eux cet endroit détruit en une aire d’exposition unique en son genre. L’aventure commence en 2019 et le site est réinventé pour en faire un lieu culturel.
Tom Young se souvient avoir visité le souk de la ville de Saïda plusieurs années auparavant avec sa sœur, aujourd’hui décédée. Peindre ses souvenirs pris en photos cette nuit-là avec elle provoque en lui un sens de spiritualité où l’absence et la présence coexistent. Le passage de l’assombrissement vers la lumière est donc un élément essentiel dans ses toiles. Il vit et travaille dans le site pour mieux connaître les gens, pour découvrir leurs histoires et pour recréer leurs souvenirs enfouis dans les pierres de la ville.
Dans ses toiles exposées dans ce nouveau hammam (Hammam al-Jadid), on ressent parfois ce même vide, cette absence ; ces éléments qui devraient être ajoutés, qui devraient pousser à réfléchir, comme cette eau qui coule sur la peau et qui provoque une certaine transparence entre la masseuse et le baigneur, avec une sensualité et une pudeur. La touche de pinceau se fait voir avec émotion sur des toiles qui se perdent dans un labyrinthe où de multiples histoires se créent et où s’inventent des souvenirs.
C’est dans cet environnement enchanteur que le piano à queue du Dr Tony Karam a été installé. Pour redonner vie à ce site vieux de trois cents ans, quoi de plus merveilleux que de découvrir l’instrument de musique trônant majestueusement au milieu du hall central, devant la splendide fontaine dont l’eau s’est remise à couler, et avant d’aller découvrir les petits spas et le grand sauna.
Le Dr Tony Karam, qui nous a déjà fait voyager trois semaines plus tôt au Musée Sursock, vers un monde de musique haut en couleur et en sensations fébriles, a choisi de nous transporter vers cet univers fantastique, en concoctant un répertoire de morceaux musicaux savamment choisis pour mettre en valeur ce lieu historique dans lequel il joue. Médecin et pianiste, il est tout autant artiste dans sa musique que dans sa science et considère que l’art est vivant, exactement comme ces petits êtres humains qu’il aide à naître dans les salles d’accouchement. C’est aussi dans les salles de concert qu’il accouche des merveilles de mélodies qui font couler des larmes d’émotion vive.
Lorsque l’ambiance est si chaleureuse et intime, que l’on ne se trouve pas dans un amphithéâtre prestigieux, mais dans une salle baignée de culture, d’histoire et de souvenirs, rien de plus naturel que de se laisser emporter par une musique divine, à la lumière des chandelles.
L’éclairage est en effet un élément fort dans ce lieu, théâtre où les cinq sens sont en ébullition. On voit le pianiste en contrejour devant une toile gigantesque représentant une scène vivante du hammam, on sent l’odeur du savon et de toutes les senteurs d’époque, on écoute l’Adagio de Bach et l’on sait que le voyage ne fait que commencer. On déguste ses instants de bonheur et on touche sur le clavier de l’artiste, et avec lui, à des moments intenses. On pleure. On frissonne. On vit.
Puis on écoute une étude de Chopin et les doigts du pianiste éclaboussent les touches pour faire éclater la musique en une révolution auditive. On croit qu’on n’en entendra pas de meilleure, puis vient Standchen de Schubert, revisité par Liszt, Horowitz puis Karam, et l’on se laisse glisser vers une douce mélancolie, une lente éclosion d’amour, un sentiment de manque doublé d’espoir. On croit qu’on est seul au milieu des notes qui volent dans les vapeurs du hammam. Et puis, au milieu d’une sonate de Ravel et avec le cliquetis de la fontaine centrale, la scénographie provoque l’émerveillement. Le spectateur joue avec le pianiste, sur un clavier qui flotte dans une atmosphère embuée de larmes et de nuées.
Lorsque Rachmaninoff et Prokofiev font la compétition pour clôturer le concert en beauté, le Dr Karam joue avec une maîtrise inouïe ces morceaux d’une difficulté rare, où la main gauche est mise en avant-première. On a le souffle coupé. On prend part à la force de l’art. On ressent la musique dans les veines, dans la tête ; on s’en imprègne jusqu’aux tréfonds de notre âme.
Une expérience unique vient d’être vécue, là où la musique et la peinture fusionnent au milieu d’une architecture ancestrale. On repart vers des moments historiques vécus trois cents ans plus tôt. On imagine des légendes, on sent le parfum d’un autre temps, on rêve d’un monde meilleur.
On refait la ville de Saïda… dans un bain de jouvence.
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