Hadi Matar, l’agresseur de Rushdie, et la fatwa mortelle
L’obscurantisme a la mémoire longue. Plus de 30 ans après l’annonce en Iran d'une fatwa le condamnant à mort, Salman Rushdie, auteur des "Versets sataniques" a été placé sous respirateur après avoir été poignardé vendredi au cou et à l'abdomen dans l'État de New York par un homme qui a été arrêté.

L'agresseur a été aussitôt arrêté et placé en détention, l'agent Staniszewski révélant qu'il s'appelait Hadi Matar, 24 ans, de l'État du New Jersey. Ce jeune affichait au grand jour son allégeance khomeiniste au régime iranien, arborant sur son profil Facebook, retiré depuis vendredi de la plateforme, les images à la gloire de la République Islamique d’Iran.
Confusion sur les origines du suspect

Presque immédiatement après l'attentat, des rumeurs commençaient à circuler sur l'identité du suspect. Le nom et les orientations politiques de l'agresseur font automatiquement penser à des origines libanaises. C'est ce qu'affirme un tweet de l'islamologue français Romain Caillet. Mais, pour l'instant, aucune confirmation officielle n'est venue confirmer cette thèse.



 

Par ailleurs, une photo devenue virale publiée par Fox News3 montre que Hadi Matar portait sur lui un faux permis de conduire du nom de " Hassan Mughniyah ", ce qui fait penser d'une façon anecdotique à un autre responsable libanais pro-iranien, Imad Moughniyé, tué vraisemblablement par le Mossad dans l'explosion d'une voiture piégée à Damas. Moughniyé est responsable, entre autres, de l'attentat contre le quartier général des Marines à Beyrouth en octobre 1983 , faisant 300 morts.

 



 

Une autre information publiée par le quotidien arabophone libanais An-Nahar, reprend une déclaration du chef de la municipalité de Yaroun, village du Liban-Sud, dans laquelle l'élu affirme que Hadi Matar n'a jamais connu le Liban, mais que ses parents sont originaires du village précité.
"Félicitations" iraniennes

Immédiatement après son agression, sur l'estrade d'un amphithéâtre d'un centre culturel à Chautauqua, dans le nord-ouest de l'État de New York, Salman Rushdie a été transporté en hélicoptère vers l'hôpital le plus proche où il a été opéré en urgence, a précisé devant la presse le major de la police de l'État de New York, Eugene Staniszewski.

"Les nouvelles ne sont pas bonnes", a déclaré vendredi soir au New York Times l'agent de l'écrivain britannique, Andrew Wylie. "Salman va probablement perdre un œil; les nerfs de son bras ont été sectionnés et il a été poignardé au niveau du foie", a détaillé M. Wylie en précisant que M. Rushdie, 75 ans, avait été placé sous respirateur artificiel.

Samedi, le principal quotidien ultraconservateur iranien, Kayhan, a félicité l'agresseur. "Bravo à cet homme courageux et conscient de son devoir qui a attaqué l'apostat et le vicieux Salman Rushdie", écrit le journal. "Baisons la main de celui qui a déchiré le cou de l'ennemi de Dieu avec un couteau".

Ignorance meurtrière


M. Rushdie, né le 19 juin 1947 à Bombay, deux mois avant l'indépendance de l'Inde - élevé par une famille d'intellectuels musulmans non pratiquants, riche, progressiste et cultivée - avait embrasé une partie du monde musulman avec la publication des "Versets sataniques", conduisant l'ayatollah iranien Rouhollah Khomeiny à émettre en 1989 une "fatwa" demandant son assassinat.

Le titre même des “Versets Sataniques”, quatrième roman de Rushdie, est une référence à la tradition contestée des versets coraniques qui auraient été inspirés par Ibliss au prophète Mahomet, lorsqu’il aurait autorisé les habitants de la Mecque de pouvoir continuer à prier les divinités païennes. Dans l’ouvrage se mêlent réalisme magique et visions oniriques, avec des prostituées portant le nom des épouses du Prophète de l’Islam, ou encore avec la présence de Mahound, nom employé dans la littérature européenne médiévale pour qualifier Mahomet de faux-prophète païen.
La fatwa fatale



 

Mais la "fatwa" n'a jamais été levée et beaucoup de traducteurs de son livre ont été blessés par des attaques, voire tués, comme le Japonais Hitoshi Igarashi, victime de plusieurs coups de poignard en 1991. "Trente ans ont passé", disait-il toutefois à l'automne 2018. "Maintenant tout va bien. J'avais 41 ans à l'époque (de la fatwa), j'en ai 71 maintenant. Nous vivons dans un monde où les sujets de préoccupation changent très vite. Il y a désormais beaucoup d'autres raisons d'avoir peur, d'autres gens à tuer...".

L'auteur avait été contraint dès lors de vivre dans la clandestinité et sous protection policière, allant de cache en cache. Il affronte alors une immense solitude, accrue par la rupture avec sa femme, la romancière américaine Marianne Wiggins, à qui "Les versets..." sont dédiés. Vivant discrètement à New York, Salman Rushdie - sourcils arqués, paupières lourdes, crâne dégarni, lunettes et barbe - avait repris une vie à peu près normale.

Anobli en 2007 par la reine d'Angleterre, au grand dam des extrémistes musulmans, ce maître du réalisme magique, homme d'une immense culture qui se dit apolitique, a écrit en anglais une quinzaine de romans, récits pour la jeunesse, nouvelles et essais.
Réactions



 

"Son combat est le nôtre, universel", a lancé sur Twitter le président français Emmanuel Macron assurant être "aujourd'hui, plus que jamais, à ses côtés".

Le Premier ministre britannique Boris Johnson s'est de son côté dit "atterré que Sir Salman Rushdie ait été poignardé alors qu'il exerçait un droit que nous ne devrions jamais cesser de défendre", en allusion à la liberté d'expression.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré via son porte-parole être "horrifié" par l'attaque, ajoutant "qu'en aucun cas la violence était une réponse aux mots".

"Cet acte de violence est consternant", a estimé le conseiller à la sécurité du président américain Joe Biden, Jake Sullivan.

Rushdie, maître de la satire et l'irrévérence, est la victime des obscurantistes que le philosophe musulman Averroes, ou Ibn Rushd, que le père de Rushdie a choisi comme patronyme, qui dénonçait déjà au XIIe siècle dans son “Discours décisif”: “Ils ont de ce fait précipiter les gens dans la haine, l’exécration mutuelle et les guerres, déchiré la Révélation en morceaux et complètement divisé les Hommes.”

Avec AFP
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