Taïwan ou la malédiction de l’isolement diplomatique
Alors que les relations entre Taïwan et la Chine traversent la plus grande crise depuis les années 1990, la visite de la présidente de la Chambre des Représentants américaine Nancy Pelosi ravive la question de la place diplomatique de l'île. Taipei subit les conséquences de la politique d’isolement menée par Pékin, qui s’est accentuée depuis 2016 avec l’élection de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen.

Carte publiée en 2021, avant que le Nicaragua ne rompe ses relations avec Taïwan (AFP)

 

Refuge du gouvernement nationaliste chinois depuis 1949, l’île de Taïwan a tout d’abord bénéficié d’une importante reconnaissance internationale, puisqu'elle était considérée comme le siège du gouvernement chinois légitime, face à la Chine continentale gouvernée par les communistes. En effet, suite à la défaite du Kuomintang face aux communistes chinois, le parti du président déchu Tchang Kaï-chek de la République de Chine s’établit à Taïwan. Chacun des deux États estiment alors être le seul représentant de la « vrai » Chine. Cependant, dès 1950, le Royaume-Uni change de position et reconnait diplomatiquement la République populaire comme représentante légitime de la Chine. Il sera suivi par le Canada en 1970.

En 1971, l'Assemblée générale de l'ONU vote à la majorité la résolution 2758 qui officialise le transfert de siège de Taïwan à la Chine (AFP)

 

L’année 1971 porte le coup de grâce à la République de Chine (Taïwan), qui perd son siège aux Nations Unies au profit de la République Populaire de Chine. L’Assemblée générale de l’ONU vote, en effet, à la majorité, la Résolution 2758 qui officialise ce transfert de siège. Sans reconnaissance internationale, Taïwan perd rapidement ses relations diplomatiques avec les autres États. Ainsi, 75 pays rompent leurs relations avec l’île au profit de la Chine communiste entre 1971 et 2020. Les deux pays reconnaissant le « principe d’une seule Chine », les autres États ne peuvent plus conserver des relations avec les deux parties.

En 1979, les États-Unis rompent leurs relations diplomatiques avec Taïwan en reconnaissant la Chine communiste. Cependant, le Congrès américain vote le "Taïwan Relations Act", qui permet à Washington de fournir des armes à l’île pour assurer sa défense. Depuis, les États-Unis sont l’allié le plus puissant de l’île, tout en menant une politique dite « d’ambiguïté stratégique », c’est-à-dire qu’ils ne disent pas s’ils interviendront en cas d’attaque contre Taïwan.



Depuis, le Parti communiste chinois n’a eu de cesse de vouloir réintégrer Taïwan dans son giron, notamment à travers une politique d’isolement diplomatique. La Chine veut éviter tout recours à la force armée pour la réunification. Aujourd'hui, Taïwan ne bénéficie de relations diplomatiques formelles qu’avec 14 petits, voire micro-États, principalement d’Amérique latine et du Pacifique, le Vatican étant le seul État européen ayant gardé des liens avec l’île. « La Chine exerce depuis des années une stratégie de pression diplomatique sur l’île afin de l’isoler du reste du monde, et c’est bien pour cela que beaucoup de Taïwanais ont soutenu la visite de Nancy Pelosi malgré les tensions qui ont suivi, car elle leur rappelle qu’ils ne sont pas seuls », souligne Antoine Bondaz, chercheur au sein de Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et spécialiste de Taïwan.



 

La démocratisation de Taïwan va cependant bouleverser les orientations stratégiques du pays. En effet, bien que le Kuomintang continue d'affirmer le principe d’une seule Chine, le Parti Démocrate Progressiste (DPP), lui, penche plutôt pour l’indépendance de l’île et opte pour la dénomination de Taïwan au lieu de "République de Chine". En 2007, le président taïwanais Chen Shui-bian dépose la candidature de l’île sous le nom de Taïwan pour l’adhésion à l’ONU, mais elle sera refusée.
Le tournant de 2016


La présidente taïwanaise actuelle Tsai Ing-wen considère Taïwan comme un État de facto indépendant, malgré le manque de reconnaissance internationale. C’est justement son élection en 2016 qui va aggraver les relations avec la Chine. Elle promeut une plus grande reconnaissance internationale de Taïwan, même si elle reste attachée au statu quo. En réponse, la Chine annonce que « tant que le DPP sera au pouvoir, tôt ou tard, Taïwan n’aura plus aucun allié diplomatique ». Selon Antoine Bondaz, « depuis l’élection de Tsai Ing-wen en 2016, la Chine a appliqué une stratégie de pression tous azimuts: militaire, économique, diplomatique, psychologique, etc. C’est en partie pour cela que les Taïwanais ont sûrement moins réagi que les Européens à ce qui s’est passé ces dernières semaines, car ils en ont l’habitude et savent que Pékin cherchera toujours un prétexte pour faire pression » .



 

La Chine va redoubler d’efforts pour isoler encore davantage l'île, notamment en proposant des avantages économiques aux pays qui acceptent de rompre leurs relations avec Taïwan. Ainsi, depuis 2016, huit États ont changé de camp, dont le dernier en date est le Nicaragua. Le Parti communiste chinois utilise ses capacités financières comme levier pour convaincre les pays étrangers de changer d’allégeance. Les Iles Solomon auraient notamment rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan pour la somme de 500 millions de dollars. Selon le ministre taïwanais des Affaires étrangères, Joseph Wu, « la Chine ne cesse de chercher à étouffer Taïwan sur la scène internationale ».
Un tableau pas tout noir

Cependant, le tableau n’est pas tout noir. En 2013, la Nouvelle-Zélande devient le premier État à signer un accord de libre-échange avec Taïwan. En 2021, la Lituanie accepte d'accorder à l’ambassade officieuse du pays la permission d'utiliser le nom de Taïwan, ceci provoqua l’ire de Pékin qui rompt tous contacts diplomatiques et commerciaux avec Vilnius. Taïwan a également renforcé ses liens politiques et économiques avec les pays d’Europe de l’Est.

Images de chars rouillés et de piques anti-débarquement qui parsèment les plages des îles taïwanaises de Kinmen qui se trouvent tout juste face au littoral de la Chine continentale. (AFP)

 

Entre 2009 et 2016, la Chine avait toléré que Taïwan soit considéré comme un État observateur lors d’Assemblées générales d’agences internationales comme l’OMS. Mais, depuis 2016, la Chine bloque toute tentative taïwanaise de participer à des évènements internationaux de ce genre. La même année, la présidente taïwanaise lance la New Southbound Policy qui vise à renforcer les relations économiques et culturelles avec 18 pays. L’un des objectifs de cette politique est de renforcer l’indépendance de Taïwan en entrant en concurrence avec la Chine dans le domaine économique.

Selon le Global Diplomacy Index établi en 2019 par le think tank australien Lowy institute, Taïwan possède 107 représentations à l'étranger, soit le même niveau que la Malaisie et légèrement au-dessus de la Suède, bien que ce chiffre soit en baisse. La Chine reste cependant l’État qui possède le plus de représentations à l’Étranger (276), devant les États-Unis et la France. Taïwan possède toutefois des sièges dans certaines organisations internationales tels que le Comité olympique international ou l’Organisation mondiale du commerce, sous le nom de «Territoire douanier distinct de Taïwan, Penghu, Kinmen, Matsu ou Taipei chinois».

Des parlementaires américains lors d'une récente rencontre avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen à Taipei (AFP)

 

Depuis 2015, les États-Unis ont renforcé leur coopération avec l’île, en lançant notamment le Global Cooperation and Training Framework (GCTF), une plate-forme qui permet à Taïwan d’apporter une aide internationale dans des domaines tels que la santé publique ou la protection de l’environnement. Le GCTF a ainsi autorisé à Taïwan de renforcer ses partenariats avec les pays de la région et d'étendre encore sa présence internationale.

Les pays européens ont suivi la dynamique américaine, et les visites de diplomates occidentaux se sont accentuées sur l’île, dont la dernière en date est bien sûr la visite de la présidente de la Chambre des Représentants américaine Nancy Pelosi. L’Union européenne a en outre mentionné explicitement le nom de Taïwan dans sa Stratégie de coopération en zone Indopacifique. Ainsi, malgré les nombreuses menaces et pressions chinoises, l’île conserve des relations stratégiques importantes qui pourraient la soutenir en cas d’une invasion chinoise. Dans cette hypothèse, Antoine Bondaz estime que « non seulement on peut imaginer une intervention américaine, voire japonaise, mais l’île aurait le soutien de nombreux pays Occidentaux. Les Européens ont, par exemple, cosigné une déclaration sans précédent du G7 sur Taïwan et certains indiquent que les sanctions adoptées contre la Russie pourraient être dupliquées contre la Chine si elle envahissait Taïwan ».
Commentaires
  • Aucun commentaire