La déclaration conjointe franco-saoudienne, un réquisitoire tacite contre le Hezbollah
©Photo prise du compte Twitter du président français Emmanuel Macron
La visite du président français Emmanuel Macron en Arabie saoudite a été samedi l’occasion d’apporter un début d’éclaircie dans les relations tumultueuses entre le Liban et les pays du Golfe.
Lors de son entretien avec le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman (MBS), M. Macron a notamment évoqué la crise libanaise et le froid polaire qui règne entre Beyrouth et Riyad en raison de l’influence grandissante de l’Iran sur le pays du Cèdre.
Le Liban avait vu ses relations se détériorer avec l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Koweït, qui avaient adopté des mesures de rétorsion à son encontre après des propos tenus par le ministre de l’Information libanais, Georges Cordahi, lors d’une interview diffusée par la chaîne de télévision al-Jazira en octobre dernier, et durant laquelle il critiquait l’intervention politique et militaire de l’Arabie au Yémen. Suite aux pressions internes et externes, M. Cordahi a finalement démissionné vendredi, soulignant que sa résignation remplissait une condition sine qua non de la part des Français à entreprendre des discussions avec Riyad.
Ce geste a sans doute servi, puisque les deux dirigeants français et saoudien ont «longuement parlé» du Liban au cours de leur entretien, avant d’appeler ensemble au téléphone le Premier ministre libanais, Nagib Mikati, pour trouver une issue au tensions entre Beyrouth et Riyad et exprimer leur «volonté que le gouvernement (libanais) puisse reprendre ses travaux dans des conditions normales, se réunir au plus vite, et mener les réformes utiles». «L'Arabie saoudite et la France veulent s'engager pleinement» en vue d'un «réengagement de la relation» entre Beyrouth et le royaume saoudien, a souligné M. Macron, précisant qu'il appellerait dimanche son homologue libanais Michel Aoun.
Un communiqué franco-saoudien détaillant les sujets abordés par les deux chefs d’Etats a été publié à l’issue de leur entrevue. En ce qui concerne le Liban, les deux parties ont insisté à ce que «l’unité nationale, la paix civile, la stabilité sécuritaire et la souveraineté soient respectés, conformément à l’accord de Taëf et aux résolutions 1559, 1701 et 1680 du Conseil de sécurité des Nations unies». Elles ont également demandé au gouvernement libanais de «lutter contre la corruption, contrôler les frontières, rétablir le monopole de la violence légitime et empêcher que Liban ne soit le point de départ due tout acte terroriste à même de saper la sécurité et la stabilité de la région et de tout trafic de drogue».
De plus, les deux dirigeants se sont engagés à créer ensemble une plateforme d’aides humanitaires en toute transparence, en coopération avec des pays voisins et alliés, afin d’alléger les souffrances du peuple libanais.

Le document conjoint constitue ainsi rien moins qu’un «réquisitoire tacite contre le Hezbollah, même si ce dernier n’est pas expressément nommé», soulignent des sources libanaises souverainistes. Ces sources notent que l'«Arabie a obtenu samedi de Paris une reconnaissance du bien-fondé de ses reproches vis-à-vis du Liban», appréciant à sa juste valeur la signature du président Macron sur un document exprimant un attachement à l’accord de Taëf et aux résolutions internationales comme autorités de référence pour résoudre la crise libanaise. Et ce «à l’heure où Paris s’est souvent montré conciliant ces dernières années vis-à-vis de Téhéran et du Hezbollah, en séparant de manière assez artificielle le dossier de la souveraineté de celui des réformes dans sa stratégie libanaise, comme si les deux pouvaient être dissociés».
Il reste à savoir si cette initiative engagerait le Hezbollah et si ce dernier accepterait les conditions posées par l’Arabie saoudite. Pour l’analyste et général à la retraite Khalil Hélou, «les Saoudiens ne veulent absolument pas négocier avec le Hezbollah. Cependant, il faudrait voir si Paris souhaite vraiment exercer une pression sur le parti chiite, auquel elle ne demande jamais de concessions». `
Même son de cloche de la part de l’historien Makram Rabah, laconique, pour qui «l’initiative franco-saoudienne ne changera absolument rien tant que le Hezbollah tient les rênes du pays».
Par ailleurs et selon une source informée, la Russie souhaiterait aussi s’instaurer en médiatrice importante dans l’assainissement des relations libano-arabes. Mikhaïl Bogdanov, représentant spécial du Président russe pour le Moyen-Orient et l'Afrique, s’apprêterait ainsi à entamer une tournée en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et au Qatar, pour entreprendre à son tour des pourparlers avec les dirigeants du Golfe. D’autres sources proches du dossier ont affirmé que Moscou aurait demandé au Hezbollah d’assouplir ses positions et de calmer le jeu, afin de débloquer la situation avec les pays arabes.
Pour Béchara Khairallah, écrivain et chercheur politique, si «la démission de M. Cordahi faisait partie des conditions saoudiennes en vue d’un déblocage, elle demeure insuffisante». Selon lui, le problème de fond reste l’alignement du Liban officiel sur l’axe iranien. Seul un statut de neutralité pour le Liban, conformément à la déclaration de Baabda élaborée par le président Michel Sleiman en 2012, pourra sortir le Liban de l’impasse.
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