L’initiative franco-saoudienne décryptée par Marwan Hamadé et Farès Souhaid
Suite au sommet samedi à Jeddah entre le président français Emmanuel Macron et le prince saoudien Mohammed Ben Salman (MBS), Ici Beyrouth fait le point sur l'initiative franco-saoudienne avec le député démissionnaire Marwan Hamadé et l’ancien député Farès Souhaid

Marwan Hamadé: Une dernière chance pour le Liban

Ici Beyrouth - Que s’est-il vraiment passé hier entre Paris, Riyad et Beyrouth ?

Marwan Hamadé - «Ce qui s’est passé hier entre les Français, les Saoudiens et accessoirement avec les Libanais, est une nouvelle chance, peut-être même la dernière offerte au Liban, pour réadapter une feuille de route conséquente, et rétablir le Liban dans sa souveraineté, son indépendance, ses relations avec le monde arabe et le monde en général. Une feuille de route qui offrirait une possibilité à tous, le Hezbollah compris, de réintégrer l’État libanais et ses institutions. Toutefois, cette feuille de route va beaucoup plus loin que celle qui avait été énoncée à la Résidence des Pins, lors de la première visite du président Macron en 2020, car elle est claire, nette et précise, et se réfère aux résolutions 1559, 1701 et 1680 du Conseil de sécurité de L’ONU.
C’est donc une mise à jour beaucoup plus réelle que les termes vagues employés dans l’accord de la Résidence des Pins, que les partis libanais n’avaient pas respectés. Cette nouvelle feuille de route replace l’État libanais dans un contexte de légitimité internationale dont il ne peut plus se dissocier, s’il veut continuer à exister en tant qu’État souverain indépendant et internationalement reconnu. C’est un moment absolument unique, où tout le monde doit faire son choix, inclus les forces souverainistes au Liban, qui doivent s’unir pour gagner les élections, et imposer le retour du pays sur la carte régionale et internationale, et où le Hezbollah devra accepter, bon gré mal gré, de redevenir un parti proprement et uniquement libanais, dissocié de toutes les guerres de la région».

Ici Beyrouth - L’initiative franco-saoudienne pourra-t-elle compter sur l'appui du Hezbollah ? Ce dernier pourrait-il accepter les revendications et conditions saoudiennes ?

Marwan Hamadé - «À mon avis, la communauté internationale a finalement compris que le problème de l’Iran n’était pas uniquement celui d’une prétention au nucléaire, mais aussi celle d’une politique expansionniste qui déstabilise l’ensemble du Proche-Orient. Si le Hezbollah et l’Iran ne se résignent pas à reprendre le chemin d’une négociation franche qui commencerait par l’accalmie dans la région et l’arrêt de l’expansionnisme du projet du wilayet el-faqih, nous n’aboutirons à rien. L’accord de Jeddah entre le président Macron et le prince Mohammed Ben Salman (MBS) fera l’objet d’attaques virulentes à Beyrouth, exactement comme la première initiative de M. Macron, à la différence que cette fois, ce sera probablement la dernière chance offerte au Liban».

Ici Beyrouth - L’initiative va-t-elle contribuer à un dégel des relations entre le Liban et les pays du Golfe ? Quelles sont les perspectives?

Marwan Hamadé - «Je pense que nous allons assister à un certain dégel des relations entre le Liban et les pays du Golfe, mais il n’ira pas plus loin que l’assistance humanitaire, limitée à l’adresse du peuple libanais, et peut-être, à un rétablissement des relations diplomatiques avec l’amorce d’un dialogue. Celui-ci, comme nous avons pu l’observer hier, se limitera au gouvernement libanais et à son Premier ministre, Nagib Mikati».

Ici Beyrouth - La France jouerait-elle un rôle de lien potentiel entre Iraniens et Saoudiens, et quelles répercussions cela pourrait-il avoir, le cas échéant sur le Liban?

Marwan Hamadé - «Il est peu probable que la France pousse son rôle et son ambition à un règlement du conflit stratégique et profondément idéologique entre l’Arabie saoudite et le Liban. Toutefois, elle s’exprimera à Vienne sur l’attitude à prendre à l’égard de l’Iran. Les propos du président Macron hier étaient clairs. Les Français s’aligneront sur la politique américaine à ce sujet, et c’est à ce prix que les Saoudiens auraient lâché beaucoup de lest, notamment sur le problème libanais, à la demande du président Macron».

Ici Beyrouth - Est-ce que vous êtes d’accord avec l’avis du chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt qui pense que le Liban sera sacrifié sur l’autel des accords de Vienne ?


Marwan Hamadé - «Je serai d’accord avec Walid Joumblatt si les négociations de Vienne échouent totalement et si nous ne parvenons pas à un accord ou à un dégel, et par la suite, à endiguer la lutte de l’Iran et de ses alliés avec le reste du monde, autant sur le ring régional que libanais. Il est donc nécessaire pour les Libanais de se ressaisir et de réactiver leur gouvernement afin de mettre sur le tapis la feuille de route issue du communiqué franco-saoudien».

Farès Souhaid: L'initiative restera lettre morte

Ici Beyrouth - Que s’est-il vraiment passé hier entre Paris, Riyad et Beyrouth?

Farès Souhaid - «Il y a un chevauchement de trois évènements. La campagne présidentielle française, en vue de laquelle le président français Emmanuel Macron cherche un succès diplomatique pour la France et les Territoires d’Outre-mer ; la crise politique et diplomatique entre le Liban et les pays du Golfe ; ainsi que le positionnement du Hezbollah. Cependant, nous avons pu observer une victoire pour les deux parties française et saoudienne. En effet, le prince Mohammed Ben Salman (MBS) s’est imposé comme une personnalité incontournable du monde arabe moderne et le président français Emmanuel Macron a réussi sa mission diplomatique. Néanmoins, le Liban est le moins gagnant sur ce plan, car l’engagement fait par le Premier ministre Nagib Mikati ne pourra pas être soutenu, ce dernier étant dans l’incapacité de relever le défi de l’application des principes de souveraineté, d’unité nationale, de paix civile et de stabilité sécuritaire, conformément à l’accord de Taëf, et des résolutions 1559, 1701 et 1680 du Conseil de sécurité des Nations unies ; d’autant plus que M. Macron ne pourra pas faire pression sur l’Iran pour l’application de ces engagements».

Ici Beyrouth - L’initiative franco-saoudienne pourra-t-elle compter sur l'appui du Hezbollah ? Ce dernier pourrait-il accepter les revendications et conditions saoudiennes ?

Farès Souhaid - «L’initiative franco-saoudienne n’engage pas le Hezbollah, parce que les négociations sont menées entre l’Iran et les États-Unis. Au cas où il y aurait des engagements, ils seront faits pour le compte des Américains et non pas celui des Français».

Ici Beyrouth - L’initiative va-t-elle contribuer à un dégel des relations entre le Liban et les pays du Golfe ? Quelles sont les perspectives?

Farès Souhaid - «Le Premier ministre Nagib Mikati est incapable d’appliquer les engagements faits hier aux Français et aux Saoudiens, et je ne suis pas d’avis que l’initiative franco-saoudienne contribuera à un dégel des relations libano-arabes».

Ici Beyrouth - La France jouerait-elle un rôle de lien potentiel entre Iraniens et Saoudiens, et quelles répercussions cela pourrait-il avoir, le cas échéant sur le Liban?

Farès Souhaid  - «Le rôle de pontage est toujours attirant pour les leaders qui représentent des États à la recherche de rôles perdus, mais je ne crois à aucune possibilité de réussite».

Ici Beyrouth- Est-ce que vous êtes d’accord avec l’avis du chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt qui pense que le Liban sera sacrifié sur l’autel des accords de Vienne ?

Farès Souhaid - «La première séance des accords de Vienne n’a pas eu de résultats positifs, mais cela n’implique pas une victoire pour l’Iran. Ce dernier veut une levée des sanctions qui lui sont imposées, alors que les États-Unis tentent de réimposer les conditions de l’accord nucléaire du président Barack Obama de 2015, annulé en 2018 par le président Donald Trump. Les américains se dirigent vers un jeu stratégique, en préparation d’une nouvelle guerre froide, qui aura lieu cette fois avec la Chine. En ce qui concerne le Liban, qui est souvent un bouc émissaire, je ne suis pas d’avis qu’il sera effacé de la carte. Comme on le dit communément, "il en a vu d’autres". Je fais référence à l’occupation syrienne, la guerre de 2006, la mainmise iranienne, etc. La ténacité de ce pays, sa dynamique et sa diversité feront en sorte qu’il soit toujours présent, même s’il est considéré comme un petit joueur sur la scène politique internationale».
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